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vement comme des flots : ils ne ceffent » de s'écouler, tant qu'er fin, après avoir » fait un peu plus de bruit, & traversé un >peu plus de pays les uns que les autres, > ils vont tous enfemble fe confondre » dans un abîme où l'on ne reconnoît plus ni Princes, ni Rois, ni toutes ces autres qualités fuperbes qui diftinguent » les hommes ; de même que ces fleuves » fi vantés demeurent fans nom & fans » gloire, mêlés dans l'Océan avec les ri»vieres les plus inconnues.

C'eft ee que M. de Voltaire a auffi exprimé avec la même nobleffe.

Cer infecte infenfible enfeveli fous l'herbe,
Cet aigle audacieux qui plane au haut du Ciel,
Rentrent dans le néant aux yeux de l'Eternel.
Puis il ajoute :

Les Mortels font égaux; ce n'eft point la naissance
C'est la feule vertu qui fait leur différence;

Il eft de ces Mortels favorifés des Cieux,

Qui font tout par eux-mêmes & rien par leurs A yeux.

Ces maximes portent un vrai caractere de fublimité, auffi-bien que cette belle Epitaphe du Maréchal de Rantzau, où l'Auteur s'adreffant au tombeau, lui dit s

Du corps du grand Rantzau tu n'as qu'une des

parts,

L'autre moitié refta dans les Plaines de Mars;
Il difperfa par-tout les membres & fa gloire :
Tout, abbattu qu'il fûr, il demeura vainqueur ;
Son fang fut en cent lieux le prix de fa victoire,
Et Mars ne lui laiffa rien d'entier que le cœur.

On fait qu'il n'y eut jamais de Géné ral d'Armée aufli mutilé que le Maréchal de Rantzau; il avoit perdu à la guerre un bras, une jambe, un œil, une oreille, &, comme dit Bourfaut, il ne lui reftoit qu'un de tout ce qu'un homme peut avoir deux.

Voici d'autres maximes très-nobles.

Le premier qui fut Roi, fut un foldat heureux :
Qui fert bien fon pays n'a pas befoin d'Ayeux.

Philoctete dit, en parlant d'Hercule, dont il avoit partagé la gloire & les tra

vaux :

L'amitié d'un grand homme eft un bienfait des Dieux,

Qu'euffai-je été fans lui? Rien que le fils d'un Roi.

Le fublime des penfées n'a pas toujours befoin d'être foutenu par la pompe & l'e nergie des expreffions; fouvent il s'ac

commode très-bien du ftyle le plus fimple, & il n'en eft que plus fublime. C'est ce qu'on peut voir dans ce mot plein de mépris & de fierté avec lequel Pharafmane congédie l'Ambaffadeur Romain. Retournez dès ce jour apprendre à Corbulon, Comme on reçoit ici les ordres de Néron.

Et dans cet autre mot moins faftueux, plus fimple & encore plus beau, de Brutus à l'Ambaffadeur de Porfenna :

Reportez-lui la guerre, & dites à Tarquin
Ce que vous avez vu dans le Sénat Romain.

Ce trait admirable eft bien digne de la noble confiance que ce Conful avoit déja témoignée en difant aux Sénateurs affemblés :

Arons vient voir ici Rome encor chincelante,
Découvrir les refforts de fa grandeur naiffante,
Epier fon génie, observer son pouvoir;
Romains, c'eft pour cela qu'il le faut recevoir.
L'ennemi du Sénat connoîtra qui nous fommes;
Et l'efclave d'un Roi va voir enfin des hommes.
Que dans Rome à loifir il porte fes regards,
Il la verra dans vous, vous êtes fes remparts.
Qu'il révere en ces lieux le Dieu qui nous raffsem

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Qu'il paroiffe au Sénat, qu'il l'écoute, & qu' tremble.

Ce dernier morceau peint admirablement la fierté courageufe de ces grands Républicains; auffi fe rapporte-t-il moins au fublime des pensées, qu'à l'efpece de fublime dont nous allons parler.

Sublime des Sentimens.

Ce mot n'a pas befoin de définition; il exprime une chofe que tout le monde entend, que tout le monde fe pique d'avoir, & qui eft cependant fort rare. Mais en voici des exemples.

Abner, ami de Joad, lui apprend avec crainte les dangers dont ce Grand-Prêtre eft menacé; il lui peint Athalie inquiete & furieufe,prête à porter fur lui une main facrilege, & à profaner le Sanctuaire de Dieu.Joad, fans s'émouvoir, lui répond;

Celui qui met un frein à la fureur des flots,
Sait auffi des méchans arrêter les complots.
Soumis avec refpect à fi volonté fainte,

Je crains Dieu, cher Abner, & n'ai point d'autre

crainte.

Cette intrépidité héroïque, cette confiance vertueufe dans le fecours divin eft le comble de la fublimité,

Le même Joad voyant qu'il ne refte dans l'enceinte du Temple que de jeunes filles & de foibles Lévites, s'écrie:

Voilà donc quels vengeurs s'arment pour ta que relle !

Des Prêtres, des Enfans, & Sagelle éternelle !
Mais fi tu les foutiens, qui peut les ébranler ?

Ces beaux vers expriment admirablement les fentimens d'une ame, vraiment Ifraëlite, dont le courage & la foi ne s'alar nent point à l'afpect des dangers les plus preffans, & qui, comme un aurre Abraham,efpere com re toute efpérance, perfuadée que le Dieu des Armées forme dans l'art des Combats les mains qui s'arment pour foutenir les droits,

1

L'inflexible Brutus, arbitre de la def tinée du feul fils qui lui refte, d'un fils vertueux, d'un fils illuftre par plufieurs victoires remportées fur les ennemis de la République naiffante, & qui n'étoit coupable que d'avoir balancé un moment entre Rome où fon devoir le retenoit, & la fille de Tarquin vers qui l'entraînoit fon amour; Brutus oubliant qu'il eft pere, pour le fouvenir qu'il eft citoyen, étouffe la voix de la nature & de l'humanité,condamne à une mort infâme ce fils, l'unique

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