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Du fublime des Paroles.

C'eftici proprement ce qu'on appelle le ftyle fublime. C'eft lui qui, par la vivacité, l'énergie & la nobleffe de l'expreffion, fait répandre un caractere de fublimité fur des images, des penfées & des fentimens qui, par eux-mêmes, n'auroient rien de fublime.

Par exemple, la colere étant plutôt un vice qu'une vertu, tient plus de la bassesse que de la fublimité. Elle devient cependant fublime dans la bouche de Moloch, lorfqu'emporté par des mouvemens impétueux de rage & de défefpoir, il exhale ainfi fa haine implacable contre le Toutpuiffant au milieu de l'affemblée des Anges rébelles.

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Tandis que nous concerterons des » mefures indignes de nous, faudra-t-il » que des millions d'efprits armés qui » n'attendent que le fignal de l'efcalade, »reftent ici languiffans & bannis de leur » véritable Patrie? Faudra-t-il qu'ils acceptent pour leur demeure cette infâme » & noire caverne, où nous a renfermés le cruel qui regne par notre lâcheté »Non; fervons-nous des flammes & des furies de l'Enfer pour forcer tous en

» femble un paffage vers les montagnes » éternelles: faifons de nos propres tor>>tures des armes contre notre tyran ;

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כל

qu'il entende le tonnerre infernal af» fronter la foudre dans fes mains; oppo» fons à fes éclairs le feu livide qui nous » dévore; montrons une rage égale ; jet»tons l'horreur parmi fes Anges,& qu'il » tremble en voyant fon Trône même >>couvert de ce foufre & de ces flammes qu'il a préparées contre nous.

כל

Ces paroles, horriblement fublimes & magnifiquement impies, font très-bien placées dans la bouche d'un Démon, & fur-tout du Démon de la guerre.

Pour bien entendre la pratique & l'ufage du ftyle fublime, il faut obferver que les idées générales des chofes peuvent fe rapporter à trois e peces. Les unes font fublimes par elles mêmes, & forment ce que nous avons appellé fublime des images, fublime des penfées, fublime des fentimens ; telle eft, par exemple, l'idée de la création qui s'opere par un fcul mot; telle eft la pensée de l'égalité des mortels, diftingués par la feule vertu; telle eft enfin un fentiment de grandeur, de générofité, &c.

Ces chofes étant fublimes par elles

mêmes, fe paffent quelquefois fort bien du fecours de l'expreffion, comme nous l'avons obfervé à l'égard du mot de Pharafmane à l'Ambaffadeur Romain, & de Brutus à l'Ambaffadeur Tofcan.

Il faut cependant convenir qu'en général, quelle que foit par elle-même la fublimité de ce premier ordre d'idées, le fublime des paroles en rehauffe encore l'éclat. Auffi on a pu voir que dans prefque tous les exemples qui ont été cités, le fublime des paroles étoit joint à la fublimité, foit des images, foit des pensées, foit des fentimens, qui ne faifoient que gagner à cette jonction.

A l'égard des idées des chofes qui ne font pas fublimes par elles mêmes, il y a une diftinction importante à faire: ou ces chofes n'ont qu'un feul afpect, ou elles peuvent être confidérées fous des points de vue différens.

Les chofes qui n'ont qu'un afpect, ne peuvent être ennoblies par le ftyle fublime. Par exemple, les idées plaifantes ne font fufceptibles que d'un tour plaisant, & le ftyle le plus pompeux ne peut que leur donner un air burlesque; il ne peut pas les rendre fublimes.

Il en eft de même des chofes tendres & touchantes; elles peuvent émouvoir,

attendrir, percer le cœur ; mais elles ne peuvent ni l'étonner, ni l'élever; le style fublime ne peut donc rien faire pour elles, parce que leur effence réfifte au fublime, & fe renferme conftamment dans fon caractere de tendreffe & de douceur.

Refte un troisieme ordre de chofes qui pas fublimes par elles-mêmes

ne font

mais qui, pouvant être envisagées fous différens points de vûe, laiffent au style le moyen de les élever jufqu'à la dignité des chofes fublimes. Par exemple, l'idée de la guerre & de fes plus grands fuccès n'a rien par elle-même de vraiment fu. blime; elle a même un côté odieux & méprifable, qui ne présente que l'image des défordres, des crimes, des calamités, des défolations. L'art de l'éloquence.confifte à écarter ce tableau funefte, & à n'offrir qu'une perfpective séduisante, ornée de tout ce que la gloirea de plus brillant, & la victoire de plus heureux. C'est par l'effet de cet art,c'est par la vertu du style fublime que Mithridate paroît fi grand dans ce tableau.

Ce Roi, qui feula durant quarante ans Laffé tout ce que Rome eut de Chefs importans Et qui, dans l'Orient balançant la fortune

Vengeoit de tous les Rois la querelle commune Meurt

C'eft auffi par la même raifon que nous admirons ces beaux vers de la Henriade.

Regardez dans Denain l'audacieux Villars,
Difputant le tonnerre à l'Aigle des Céfars;
Arbitre de la paix que la victoire amene,
Digne appui de fon Roi, digne rival d'Eugene.
Celui-ci dont la main raffermit nos remparts,
C'eft Vauban, c'eft l'ami des vertus & des arts.
Malheureux à la Cour, invincible à la Guerre
Luxembourg fait trembler l'Empire & l'Angle-

terre.

XIPHARÉ S á Mithridate.

Continuez, Seigneur, tout vaincu que vous êtes,
La guerré, les périls font vos feules retraites;
Rome pourfuit en vous un ennemi fatal,
Plus conjuré contre elle & plus craint qu'Annibal,
Tout couvert de fon fang, quoi que vous puiffiez
faire,

N'en attendez jamais qu'une paix fanguinaire,
Telle qu'en un seul jour un ordre de vos mains,
La donna dans l'Afie à cent mille Romains.

Embrafez par nos mains le Couchant & l'Aurore, Rempliffez l'Univers fans fortir du Bofphore;

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