Images de page
PDF
ePub

Que les Romains preffés de l'un à l'autre bout, Doutent où vous ferez, & vous trouvent par-tout.

Mithridate ne s'exprime pas moins noblement.

Marchons, & dans fon fein rejettons cette guerre, Que fa fureur envoie aux deux bouts de la terre. Attaquons dans leurs murs ces Conquérans fifiers, Qu'ils tremblent à leur tour pour leurs propres foyers.

'Annibal l'a prédit, croyons en ce grand homme' Jamais on ne vaincra les Romains que dans Rome, Noyons-la dans fon fang justement répandu, Brûlons ce Capitole où j'étois attendu ; Détruifons les honneurs, & faisons disparoître La honte de cent Rois.

Tout ceci n'eft que du ftyle fublime; c'eft la haine, c'eft la vengeance embellie des couleurs d'un courage & d'une fermeté inébranlables; mais l'hémiftiche qui fuit renferme un vrai fublime de fentiment.

La honte de cent Rois, la mienne peut-être.

Ce trait dévoile une grande ame, élevée au deffus des caprices du fort, qui òfé envifager d'un œil ferme ces idées humiliantes de défaite & de honte, afin d'en'

[ocr errors]

effacer le fouvenir, & d'en détruire les monumens par le coup le plus hardi. Toutes les paffions & les foibleffes des hommes fe rapportent à ce troifieme ordre de chofes qui ne font pas fublimes par elles mêmes, mais qui font fufceptibles de différens afpects, & auxquelles par conféquent le ftyle peut donner de la fublimité.

C'est ce qu'on a pu voir dans l'éloquent difcours de Moloch, qui n'annonce en effet que de la rage & du défespoir, mais qui les produit fous les traits plus agréables de la hardieffe, de l'impétuofité & de la grandeur.

Il en eft de même de tous les defirs, de tous les mouvemens & de toutes les affections du cœur de l'homme. Rien n'est plus aifé que de leur donner du ridicule, & c'eft ce qu'on fait dans la Comédie. Rien n'eft plus aifé que de leur donner un air de grandeur, & c'eft ce qu'on fait dans la Tragédie. Voilà pourquoi l'amour d'Harpagon fait rire, & celui de Mithridate intéreffe. Voilà en quoi diffe-rent le grand, le furieux, le terrible Hérode de M. de Voltaire, & l'imbécille Sganarelle du Cocu imaginaire.

En réfumant donc toute la doctrine du ftyle fublime, on voit 1°, qu'il a la vertu

d'embellir les chofes fublimes par elles mêmes, foit images, foit penfées, foit fentimens, & que fon fecours leur est prefque toujours utile.

2°. Qu'il ne peut toucher aux chofes qui, n'étant point fublimes par ellesmêmes, n'ont d'ailleurs qu'un cara&ere & qu'un afpect.

3°. Que fon triomphe eft d'élever jufqu'au fublime les chofes qui, n'étant point déterminées par elles-mêmes au noble & au grand, ont cependant un beau côté par lequel elles peuvent être confidérées.

Quel feroit donc le genre de fublime le plus parfait ? Ce feroit fans doute celui qui réuniroit la fublimité des images, des penfées, des fentimens & du ftyle. Les exemples en font rares, mais il n'eft pas imposible d'en trouver.

Ces quatre beaux vers qui peignent f bien la confiance admirable de Joad, & que nous avons rapportés au sublime de fentiment, parce que c'eft en effet le sentiment qui y domine, & qui en fait la principale beauté ; ces quatre vers renferment auffi une image & une pensée extrêmement fublimes.

Celui qui met un frein à la fureur des flots

Sait auffi des méchans arrêter les complots.
Soumis avec respect à sa volonté fainte,

Je crains Dieu, cher Abner, & n'ai point d'autre crainte.

Le fublime d'image fe trouve dans le premier vers, le fublime de penfée dans le fecond, le fublime de fentiment dans les deux derniers, & le fublime de ftyle dans tous les quatre.

11 faut cependant obferver qu'il y a des chofes auffi fublimes qu'elles le peuvent être, quoiqu'elles ne réuniffent pas les quatre efpeces de fublime.

Marianne peut échapper à la mort que fon cruel époux lui prépare; elle n'a qu'à fe montrer aux Prêtres & au Peuple, leur représenter fon innocence & fes malheurs, & feconder les efforts de Varus; fa confidente l'y engage par les confidérations les plus fortes: mais la généreuse Marianne a pris un plus noble parti.

Le vrai courage (répond-elle), eft de favoir fouf frir.

Non d'aller exciter une foule rébelle

A lever fur fon Prince une main criminelle;
Le vrai courage eft de favoir fouffrir.

Voilà du fublime de penfée, & fur-tout

du fublime de fentiment, & ce fublime eft pouffé auffi loin qu'il peut l'être ; mais le fublime d'image ne s'y trouve point, parce que la fituation, la chofe qu'il s'agit d'exprimer, n'eft pas fufceptible d'image.

Prefque toutes les Odes du Rouffeau tant facrées que profanes, font des modeles parfaits de fublimité: je crois qu'il en faudroit excepter l'Ode à une Veuve, & quelques autres, admirables dans leur genre, mais qui, par la tendreffe & la douceur dont elles font remplies, femblent appartenir plutôt au ftyle tempéré qu'au ftyle fublime.

Comme le Sublime eft fait pour de grands fujets, il ne peut gueres être employé à propos que dans la Poéfie épique & lyrique, dans les Tragédies, dans les Panégyriques, les Oraifons funebres, les Sermons, & quelques Plaidoyers d'une nature peu commune.

[ocr errors]
« PrécédentContinuer »