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La tendrelle en gémit. Mais les retours vers elle Sont de trop dangereux retours.

On fait combien la Fontaine excelloit dans ce ftyle. Que d'agrémens dans cette ingénieufe Fable!

Du Palais d'un jeune Lapin
Dame Belette un beau matin
S'empara : c'est une rufée.

Le maître étant abfent, ce lui fut chofe ailée

Elle

porta chez lui fes Penates, un jour Qu'il étoit allé faire à l'Aurore fa cour

Parmi le thim & la rofée.

Après qu'il eut brouté, trotté, fait tous les tours,
Jannot Lapin retourne aux fouterrains féjours.
La Belette avoit mis le nez à la fenêtre.
O Dieux hofpitaliers! que vois je içi paroître
Dit l'animal chaffé du paternel logis:
Hola, Madame la Belette,

Que l'on déloge fans trompette,

Ou je vais avertir tous les rats du pays.
La Dame au nez pointu répondit que la terre

Etoit au premier occupant;

C'étoit un beau fujet de guerre

Qu'un logis ou lui-même il n'entroit qu'en rampant!

Et quand ce feroit un Royaume,

Je voudrois bien favoir, dit-elle, quelle loi

K

En a pour toujours fait l'octroi

A Jean, fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume
Plutôt qu'à Paul, plutôt qu'à moi ?

Jean Lapin allégua la coutume & l'ufage :
Ce font, dit-il, les loix qui m'ont de ce logis
Kendu Maître & Seigneur, & qui, de pere en fils,
L'ont de Pierre à Simon, puis à moi Jean tranfmis;
Le premier occupant est-ce une loi plus fage?
Or bien, fans crier davantage,

Rapportons nous, dit-elle, à Rominagrobis.
C'étoit un Chat vivant comme ua dévot Hermite;
Un Chat faisant la Chatemite,

Un faint homme de Chat, bien fourré, gros & gras,
Arbitre expert fur tous les cas.

Jean Lapin pour Juge l'agrée.
Les voilà tous deux arrivés

Devant Sa Majefté fourrée.

Grippeminaud leur dit, mes enfans, approchez; Approchez: je fuis fourd, les ans en font la caufe. L'un & l'autre approcha ne craignant nulle chose. Auffi-tôt qu'à portée il vit les conteftans,

.

Grippeminaud le bon apôtre,

Jettant des deux côtés la griffe en même tems,
Mit les plaideurs d'accord en croquant l'un & l'autre

Ceci reflemble fort aux débats qu'ont par fois
Les petits Souverains fe rapportant aux Rois.

Toutes les Poéfies légeres de M. de

Voltaire font des fources inépuifables d'efprit & d'agrémens. Avec quelles graces & quelle vérité il peint les ridicules de nos vifites, & le vuide de nos converfations!

Après dîné, l'indolente Glicere,

Sort

pour fortir, fans avoir rien à faire.

On a conduit fon infipidité

Au fond d'un char, où montant de côté,
Son corps preffé gémit fous les barrieres

D'un lourd pannier qui paffe aux deux portierės;
Chez fon amie au grand trot elle va,

Monte avec joie, & s'en repent déja,

L'embraffe & baille, & puis lui dit : Madame,
J'apporte ici tout l'ennui de mon ame,
Joignez un peu votre inutilité,

A ce fardeau de mon oifiveté.

Si ce ne font fes paroles expreffes,
C'en eit le fens. Quelques feintes careffes,
Quelques propos fur le jeu, fur le tems,
Sur un Sermon, fur le prix des rubans,
Ont épuisé leurs ames excédées.
Elles chantoient déja faute d'idées ;,

Dans le néant leur cœur eft abforbé,

Quand dans la chambre eatre Monfieur l'Abbé

&c.

Oppofons à ce Tableau général un

portrait particulier, auffi reffemblant qu'il eft agréable.

Ramene à fes amis charmans,
Ramene à ces belles demeures,
Ce bel efprit de tous les tems,
Cet homme de toutes les heures.
Orne pour lui, pour lui fufpens
La courfe rapide du tems:
Il en fait un fi bel usage !
Les devoirs & les agrémens,

En font chez lui l'heureux partage,
Les femmes l'ont pris fi fouvent
Pour un ignorant agréable,

Les gens en us, pour un Savant,
Et le Dieu jouflu de la table,
Pour un connoiffeur fi gourmand!
Qu'il vive autant que fon ouvrage
Qu'il vive autant que tous les Rois
Dont il nous décrit les exploits
Et la foibleffe & le courage,
Les mœurs, les paffions, les loix,
Sans erreur & fans verbiage.
Qu'un bon eftomac foit le prix
De fon cœur, de fon caractere,
De fes chanfons, de fes écrits,
Il a tout; il a l'art de plaire,
L'art de nous donner du plaisir;
L'art i peu connu de jouir ;

Mais il n'a tien, s'il ne digere,

Grand Dieu, je ne m'étonne pas

Qu'un ennuyeux, un.

Entouré dans fon galetas

De fes livres rongés des rats,

Nous endormant, dorme fans peine.

Jamais Eglé, jamais Sylvie,
Jamais Life à fouper ne prie
Un Pédant à citations,

Sans goût, fans grace & fans génie ;

Hélas! les indigestions

Sont pour la bonne compagnie.

Il n'y a qu'un pas du ftyle fimple au ftyle plaifant; ce dernier ne difiere de l'autre que par un ton plus gai & une naïveté plus marquée. En voici deux exemples:

Epitaphe de la Fontaine, faite par luimême.

Jean s'en alla comme il étoit venu,
Mangeant fon fonds avec fon revenu,
Croyant tréfor chofe peu néceflaire.
Quant à fon tems, bien le fut difpenser ;
Deux parts en fit, dont il fouloit passer
L'une à dormir, & l'autre à ne rien faire.

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