Images de page
PDF
ePub

Moins tu dois t'offenser de fon injufte effroi.
Rends-moi ton cœur, ta main, ma chere Zenɔbie;
Et daigne, dès ce jour, me fuivre en Arménie,
Célar m'en a fait Roi: viens me voir désormais,
A force de vertus effacer mes forfaits.

Racine peint avec autant de douceur que de délicateffe les mouvemens d'inquiétude qui s'emparent de Junie, & les preffentimens tendres auxquels elle fe livre, lorfque Britannicus fe fépare d'elle pour aller à ce feftin fatal où Néron de voit le faire empoisonner.

JUNIE.

Mais Narciffe, Seigneur, ne vous trahit-il point?

BRITANNICU S.

Et pourquoi voulez-vous que mon cœur s'en défie

JUNIE.

Et que fais-je ? Il y va, Seigneur, de votre vie. Tout m'eft fufpect: Je crains que tout ne foit fé

duit;

Je crains Néron; je crains le malheur qui me fuit
D'un noir preffentiment malgré moi prévenue,
Je vous laiffe à regret éloigner de ma vue.
Hélas! fi cette paix dont vous vous repaiffez,
Couvroit contre vos jours quelques pieges dreffés
Si Néron, irrité de notre intelligence,

Avoit choifi la nuit pour cacher fa vengeanse!
S'il préparoit fes coups tandis que je vous vois,
Et fi je vous parlois pour la derniere fois!
Ah, cher Prince !

L'Elégie de Mademoiselle Deshoulieres, fur la mort de fon Amant, mérite, par la tendreffe qui y regne, & l'élégance avec laquelle elle eft écrite en quelques endroits, de trouver ici fa place.

Au milieu des plaifirs fur cet heureux rivage,
Mon cœur toujours chargé du poids de fes don

leurs,..

Se fait un ordinaire ufage

De fes foupirs & de fes pleurs,

Et je porte par-tout la chere & trifte image
D'un amant dont la mort cause tous mes malheurs:

Du deftin de Tirfis à toute heure occupée,

Les plus touchans plaifirs font pour moi fans appassi
Je ne fens que le coup dont mon ame eft frappée ;
Tout me peint en tous lieux l'horreur de fon trépas:
Et quand à cette horreur ma raifon échappée
Me conduit aux pieds des Autels,

Pour offrir de mon cœur les déplaisirs mortels
Hélas! ce pieux facrifice

Eft tout-à-coup interrompu;
J'accuse le Ciel d'injustice,

Et pleine de la mort qui cause mon fupplice,
Je ne vois que le prix du bien que j'ai perdu.

Dans ces cruels inftans, à ma douleur fidelle; 4
Je n'entens plus la voix du Seigneur qui m'appelle:
Tout renouvelle mon tourment,

Et je fens rallentit mon zele:

Ma paffion reprend une force nouvelle,

Et mon cœur tout entier retourne à mon Amanté
Laffe d'avoir trouvé la fortune inflexible,
J'attendrai fans frayeur ce moment fi terrible,
Ce moment où du corps l'ame fe désunit.
La mort de Tirfis m'applanit

Ce chemin, aux mortels fi rude & fi pénible.

Vous qui reconnoiffez toujours D'un Etre fouverain l'éternelle fageffe; Vous, hélas! que la grace accompagne fans ceffe, Et qui dans le repos voyez couler vos jours, Joignez à la douleur qui m'agite & me preffe, De vos utiles vœux l'infaillible fecours.

Voici quelques autres exemples, où il entre beaucoup d'imagination & de fentiment; ils font tirés des Poéfies de Madame Deshoulieres.

DAPHNI S.

EGLOGUE A M. D'AUDIFRET.

Daphnis, le beau Daphnis, l'honneur de ces Ha

meaux,

Qui, dans la tranquille Aufonie,

De Pan conduifoit les Troupeaux,

Accablé fur ces bords d'une peine infinie,
Négligeoit fes moutons, brifoit fes chalumeaur;
Ses charmes n'avoient plus leur éclat ordinaire :
L'enjoué Lifidor dont le doux entretien
Si fouvent avoit fu lui plaire,

Conduit par le hafard dans ce lieu folitaire,
Ne l'eût pas connu fans fon chien.

STANCES.

Dans un charmant défert où les jeunes Zéphirs
Content mille douceurs à leur divine Flore,
Je forme d'innocens dèfits,

En fongeant au Berger que j'aime & qui m'adore;
Et je rêve à tous les plaisirs,

Que, s'il étoit ici, je goûterois encore.

Hélas! cent fois la nuit; hélas! cent fois le jour Je m'imagine voir dans ce bois folitaire

Daphnis prêt d'expiter d'amour,

Me dire en foupirant : L'aftre qui nous éclaire
Ne voit rien quand il fait son tour,

Qu'on doive préférer au bonheur de vous plaire?

MADRIGAL.

Qu'eft devenu cet heureux tems,

Où le chant des oiseaux, les Aeurs d'une prairie, Et le foin de ma Bergerie

Me donnoient de fi doux momens?

Cet heureux tems n'eft plus ; & je ne fais quel trouble

Fait que tous les plaifirs font pour moi fans dou

ceur :

J'ignore ce qui met ce trouble dans mon cœur ;
Mais, auprès d'Iris il redouble.

LES MOUTONS.

IDYLLE.

Hélas! petits moutons, que vous êtes heureux! Vous paffez dans nos champs, fans foucis, fans allarmes,

Auffi tôt aimés qu'amoureux!

On ne vous force point à répandre des larmes;
Vous ne formez jamais d'inutiles defirs;
Dans vos tranquilles cœurs l'amour suit la nature :
Sans reffentir ses maux vous avez fes plaifirs:
L'ambition, l'honneur, l'intérêt, l'imposture,
Qui font tant de maux parmi nous,
Ne fe rencontrent point chez vous.
Cependant nous avons la raifon pour partage
Et vous en ignorez l'ufage,

« PrécédentContinuer »