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nault, une jeune fille brouillée par la coquetterie de fa mere avec fon amant qu'elle n'a pas vû depuis long tems, & qu'on lui a peint comme un infidele, lui écrit ce billet.

Je voudrois vous parler & nous voir feuls tous deux :

Je ne conçois pas bien pourquoi je le defire; Je ne fais ce que je vous veux;

Mais n'auriez-vous rien à me dire?

Je cite ces jolis vers pour exemple de ftyle laconique, non feulement parce que n'écrire que quatre lignes à fon amant eft un Laconifme parfait, mais plutôt parce que ces quatre lignes font très-expreffives, & fignifient beaucoup.

Dans le Nicoméde de Corneille, cè Prince confeille à Prufias, Roi de Bithinie, de n'être ni Mari, ni Pere, c'eft-à-dire, de n'avoir les foibleffes ni de l'un, ni de l'autre. Prufias lui demande ce qu'il doit donc être : Roi, lui répond Nicoméde.

Dans l'Horace du même Auteur, Julie qui n'avoit vû que le commencement du combat des trois Romains contre les trois Albains, annonce au pere des Horaces que les Curiaçes font victorieux; que

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deux de fes fils font morts, & que le troi fieme, fe trouvant trop foible contre trois, a cherché fon falut dans la fuite : ce vieillard idolâtre de Rome est insenfible à la perte de ses fils; il s'indigne de la lâcheté de celui qui lui refte, & s'écrie avec tranfport:

Pleurez le deshonneur de toute notre race,
Et l'opprobre éternel qu'il laiffeau nom d'Horace
JULIE.

Que veuliez-vous qu'il fit contre trois ?

HORAC E.

Qu'il mourût.

La noble & mâle affurance que Médée conferve au milieu des malheurs dont elle devroit être accablée, annonce un courage invincible, & une fermeté d'ame inébranlable. Sa Confidente lui dit :

Forcez Faveuglement dont vous êtes féduite, Pour voir en quel état le fort vous a réduite, Votre Pays vous hait, votre Epoux est sans foi Dans un grand revers que vous refte-t-il ?

MÉDÉE.

Moi

Porus, le plus brave & le plus vaillant des Rois de l'Inde, obligé de céder à l'a fortune d'Alexandre qu'il avoit balancée

quelque tems par des prodiges de valeur, eft amené vaincu & défarmé devant ce jeune Héros. Il ne lui parle que d'un ton fier & menaçant. Alexandre en eft étonné, & lui dit :

Votre fierté, Porus, ne se peut abaiffer; Jufqu'au dernier soupir vous m'ofez menacer : En effet, ma victoire en doit être alarmée ; Votre nom peut encor plus que toute une armée : Je m'en dois garantir. Parlez donc; dites-mok: Comment prétendez-vous que je vous traite? PORUS.

En Roi.

Voici une fiere & courte réponse de Brutus à Céfar.

CESAR.

Ah! c'eft ce qu'il falloit reprocher à Pompées
Par la feinte vertu la tienne fut trompée.
Ce Citoyen fuperbe, à Rome plus fatal,
N'a pas même voulu Céfar pour fon égal.
Crais-tu,s'il m'eût vaincu, que cette ame hautaine
Eût laiffé refpirer la liberté Romaine?

Ah! fous un joug de fer il t'auroit accablé.
Qu'eût fait Brutus alors?

BRUTU S.

Brutus l'eût immolé:

Laprécifion des réponses de Thyeste à

fon barbare frere dont il craint d'être reconnu, a je ne fais quoi de fier, de noble & de grand.

ATRÉE.

Etranger malheureux, que le fort en courroux,
Laffé de te poursuivre, a jetté parmi nous!
Quel eft ton rang, ton nom? Quels humains t'ont
vu naître ?

THYESTE.

Les Thraces.

ATRÉE.

Philocléte.

Et ton nom?

THYEST E.

Pourriez-vous le connoître

ATRÉE.

Ton rang?

THYESTE.

Noble, fans dignité

Et toujours le jouet du destin irrité.

ATRÉE.

Où s'adreffoient tes pas? Et de quelle contrée
Revenoit ce vaiffeau brifé près de l'Eubée?

THYES TE.

De Seftos; & j'allois à Delphes, &c.

On fait affez combien il eft difficile d'être court. La précifion demande du

tems, des foins, une application & un travail dont tout le monde n'est pas capable. Le Cardinal du Perron, parlant d'une réponse de Coëffetau, dit fort bien: Il l'auroit faite plus courte s'il avoit eu plus de tems. Un des plus profonds & des plus vaftes génies que la France ait produits, dit auffi à la fin d'une de fes Lettres : je n'ai fait celle-ci plus longue, que parce que je n'ai pas eu le loifir de la faire plus courte. Un des plus illuftres Auteurs du dernier fiecle, qui joignoit à la plus profonde érudition un efprit jufte & un goût exquis (chofes très-rares parmi les Savans), fait cette réflexion fenfée.

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» C'eft peut-être le plus mal-aifé de »tous les ouvrages, que celui de bien abréger; il faut un difcernement peu » commun, pour juger quelles font les » circonftances dont la fuppreffion obf> curcit ou n'obfcurcit pas un ouvrage.

"

Il feroit difficile de déterminer l'usage de ce ftyle. On ne trouve pas toujours l'occafion d'exprimer tant de chofes en fi peu de mots. Tout ce qu'on peut dire, c'eft qu'en général il doit régner dans tous les difcours un certain Laconifme qui confifte à retrancher toutes fuperAuités, & à fe fervir de termes expreffifs.

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