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SECTION PREMIER E.

Du Genre Judiciaire.

CE font les Plaidoyers & les disputes

qui compofent ce genre, & c'eft particu lierement dans ces difcours où on a un Juge à ménager, qu'il faut mettre en œuvre toutes ces parties d'oraison, dont on a parlé dans le fecond Livre qui traite de la Difpofition.

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Corneille, à ce qu'il paroît, eût excellé dans la Plaidoierie, fi fon génie ne fe fûttourné du côté de la Poéfie dramatique, dont il a été le Pere parmi nous. On trouve dans fes fublimes Tragédies, plufieurs Caufes très-éloquemment plaidées; mais comme la paffion domine dans le tragique, l'énergie & la vivacité tiennent lieu fouvent de ces proportions, de cette régularité, de cette fymétrie que les Orateurs de fang froid mettent avec art dans leurs difcours. Rien n'eft plus éloquent que cet endroit du Cid, ou Chiméne éplorée fe jette aux pieds du Roi de Caftille, & lui demande vengeance de la mort du Comte de Gormas fon pere, que Dom Rodrigue venoit de tuer en

duel. (Ce Comte de Gormas, comme on fait, avoit donné un foufflet au vieux Dom Diégue, pere de Rodrigue).

CHIMENE.

SIRE, mon pere eft mort, mes yeux ont vu fon fang Couler à gros bouillons de fon généreux flanc = Ce fang qui tant de fois garantit vos murailles, Ce fang qui tant de fois vous gagna des batailles, Ce fang qui tout forti fume encor de courroux De fe voir répandu pour d'autres que pour vous, Qu'au milieu des hafards n'ofoit verferla guerre, Rodrigue envotre Cour vient d'en couvrir la terre. J'ai couru fur le lieu fans force & fans couleur, Je l'ai trouvé fans vie. Excufez ma douleur, SIRE, la voix me manque à ce récit funefte, Mes pleurs & mes foupirs vous diront mieux le refte.

. Je l'ai trouvé fans vie, Son flanc étoit ouvert,& pour mieux m'émouvoir. Son fang fur la pouffiere écrivoit mon devoir; Ou plutôt fa valeur en cet état réduite, Me parloit par fa plaie, & hâtoit ma poursuite; Et pour le faire entendre au plus juste des Rois, Par cette triste bouche elle empruntoit ma voix. SIRE, ne fouffrez pas que fous votre puiffance, Regne devant vos yeux une telle licence; Que les plus valeureux avec impunité Soient exposés aux coups de la témérité :

Qu'un jeune audacieux triomphe de leur gloire, Se baigne dans leur fang, & brave leur mémoire. Un fi vaillant Guerrier qu'on vient de vous ravir, Eteint, s'il n'eft vengé, l'ardeur de vous fervir. Enfin mon pere eft mort,j'en demande vengeance.

Vous perdez en la mort d'un homme de fon rang: Vengez la par une autre, & le fang par le fang; Immolez non à moi, mais à votre couronne, Mais à votre grandeur, mais à votre personne, Immolez ... au bien de tout l'Etat,

Le téméraire Auteur d'un fi haut attentat.

Voici la réponse de Dom Diégue qui défend la caufe de fon fils.

Qu'on eft digne d'envie Lorsqu'en perdant la force, on perd auffi la vie! Et qu'un long âge apprête aux hommes généreux, Au bout de leur carriere un deftin malheureux ! Moi, dont les longs travaux ont acquis tant de gloire,

Moi, que jadis par-tout a suivi la victoire,
Je me vois aujourd'hui, pour avoir trop vécu,
Recevoir un affront, & demeurer vaincu.
Ce que n'a pu jamais combat, fiege, embuscade,
Ce que n'a pu jamais Arragon, ni Grenade,
Ni tous vos ennemis, ni tous mes envieux,
Le Comte en vetre Cour l'a fait prefqu'à vos yeux;

Jaloux de votre choix, & fier de l'avantage
Que lui donnoit fur moi l'impuissance de l'âge
SIRE, ainfi ces cheveux blanchis fous le harnois,
Ce fang pour vous fervir prodigué tant de fois,
Ce bras jadis l'effroi d'une armée ennemie,
Descendoient au tombeau tout chargés d'infamię
Si je n'euffe produit un fils digne de moi,
Digne de fon Pays, & digne de fon Roi,
Il m'a prêté fa main, il a tué le Comte,
Il m'a rendu l'honneur, il a lavé ma honte:
Si montrer du courage, & du reffentiment,
Si venger un foufflet mérite un châtiment,
Sur moi feul doit tomber l'éclat de la tempête #

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Si Chimene fe plaint qu'il a tué fon pere,
Il ne l'eût jamais fait fi je l'euffe pu faire.

Ah! confervez pour vous le bras qui peut fervir,
Aux dépens de mon fang fatisfaites Chimene,
Je n'y réfifte point, je confens à ma peine,
Et loin de murmurer d'un rigoureux decret',
Mourant fans deshonneur, je mourrai fans regret

Dans une autre Tragédie,Horace, après avoir fait triompher Rome d'Albe par la défaite des Curiaces, tue fa propre fœur dans un tranfport de colere, parce qu'elle témoignoit trop de regret de la mort d'un des Curiaces fon Amant, & que dans fa

douleur elle s'emportoit jufqu'à faire des imprécations contre Rome; Valere, un autre Amant de fa foeur, voulant venger cette mort, fe porte pour Accufateur d'Horace devant Tullus Hoftilius, Roi, de Rome. Voici fon plaidoyer..

SIRE, puifque le Ciel entre les mains des Rois,
Dépofe fa juftice & la force des loix,

Et que l'état demande aux Princes légitimes
Des prix pour les vertus, des peines pourlescrimes
Souffrez qu'un bon Sujet vous fasse souvenir
Que vous plaignez beaucoup ce qu'il vous faug
punir.
Souffrez.

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Le vieil Horace, pere de l'accufé, l'in↔ terrompt tout d'un coup, & s'écrie: Quoi! qu'on envoie un Vainqueur au fupplice?

Cette brufque répartiefi naturelle à un pere dans une pareille circonflance, vaut toute feule un Plaidoyer; nous verrons cependant par la fuite la réponse de ce Vieillard.

VALERE continue:

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Souffrez donc, ô grand Roi, le plus juste des Rois Que tous les gens de bien vous parlent par ma

voix.

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