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Donc par raison bien & dûement déduite
On pourroit voir chaque chofe réduite
En fon état, s'il arrivoit qu'un jour
L'autre devint l'Intendant à son tour;
Car regagnant ce qu'il eût, étant Maître,
Ils reprendroient tous deux leur premier être;

Dans la Fable de Tircis & d'Amarante, que l'Amour eft naïvement définit

Tircis difoit un jour à la jeune Amarante :
Ah! fi vous connoiffiez comme moi certain mak
Qui nous plait & qui nous enchante,
Il n'eft bien fous le Ciel qui vous parût égal!
Souffrez qu'on vous le communique,
Croyez-moi, n'ayez point de peur.
Voudrois-je vous tromper, vous, pour qui je me
pique

Des plus doux fentimens que puiffe avoir un cœur !
Amarante auffi-tôt réplique:

Comment l'appelfez-vous ce mal? Quel est son nom?

L'Amour. Ce mot eff beau :donnez-moi quelques

marques

A quoi je le pourrai connoître. Que fent-on ? Des peines près de qui le plaifir des Monarques Eft ennuyeux & fade: on s'oublie, on se plaît. Toute feule en une Forêt.

Se mire-t'on près d'un rivage?

Ce n'eft pas foi qu'on voit; on ne voit qu'une image Qui fans ceffe revient, & qui fuit en tous lieux; Pour tout le refte on ek fans yeux.

Il est un Berger du Village,

Dont l'abord, dont la voix, dont le nom fait rougir, On foupire à fon fouvenir,

On ne fait pas pourquoi, cependant on soupire On a peur de le voir, encor qu'on le defire. Amarante dit à l'instant:

Oh! Oh! C'est là ce mal que vous me prêchez tant?

Il ne m'eft pas nouveau; je penfe le connoître.
Tircis à fon but croyoit être,

Quand la Belle ajouta : Voilà tout justement
Ce que je fens pour Clidamant.

L'autre penfa mourir de dépit & de honte.
Il est force gens comme lui,

Qui prétendent n'agir que pour leur propre

compte,

Et qui font le marché d'autrui.

Les énigmes & les logogryphes fe rapportent à la définition; ils n'en different que par la forme myftérieufe dans la quelle ils font enveloppés. Dans l'Enigme, on définit la chofe par fes propriétés effentielles. Dans le Logogryphe, on la définit par le nombre des lettres qui compofent fon nom, & par l'affemblage, da

tous les mots qui peuvent s'y trouver. Dans l'un & dans l'autre on laiffe deviner la chofe. J'en donnerois des exemples, files Journaux & les Mercures n'en fourniffoient pas aflez tous les mois.

La définition demande beaucoup de jugement, une grande attention au fujet, qui veut être peint avec des couleurs qui Jui foient propres & qui le diftinguent de tout autre.

Il y a une autre espèce de définition moins exacte & moins fcrupuleufe que celle ci; on l'appelle Description : nous en parlerons au Traité des Figures.

La Fable de Tircis & d'Amarante, que nous venons de rapporter, tient autant de la Defcription, que de la fimple Définition. La Poéfie en général, & même l'Eloquence décrivent plus qu'elles ne définiffent. Une définition rigoureuse en vers eft une espece de phénomene. Telle eft, par exemple, celle que contiennent ces deux Vers, où un de nos Myfteres eft exprimé avec une précision fi heureuse.

La Puiffance, l'Amour avec l'Intelligence,
Unis & divifés, compofent fon effence.

SECTION II.

De l'énumération des Parties,

L'ENUMERATION confifte à parcourir

diverfes circonftances qui conviennent à une chose. Venons aux exemples. M. de Fenelon fait un beau dénombrement de tous les monftres qui environnoient le trône de Pluton dans les enfers.

» Aux pieds de ce trône étoit la mort pâle & dévorante avec fa faulx tranchante qu'elle aiguifoit fans ceffe. Autour d'elle voloient les noirs foucis, les cruelles défiances, les vengeances tou»tes dégoutantes de fang, & couvertes de plaies; les haines injuftes, l'avarice qui fe ronge elle même ; le defefpoir qui fe déchire de fes propres mains; » l'ambition forcenée qui renverfe tout; latrahifon qui veut fe repaître de fang, » & qui ne peut jouir des maux qu'elle a faits; l'envie qui verfe fon venin mor» tel autour d'elle, & qui fe tourne en ra»ge dans l'impuiflance où elle eft de nuire; l'impiété qui fe creufe ele même » un abîme fans fond, où elle fe précipite fans efpérance; les fpectres hideux, les

fantômes qui repréfentent les morts » pour épouvanter les vivans, les fonges affreux, les infomnies auffi cruelles que » les triftes fonges. Toutes ces images fu» nebres environnoient le fier Pluton, & » rempliffoient le Palais où il habite.

Dans la Henriade, S. Louis tranfporte Henri IV en efprit aux enfers.

Là, git la fombre Envie à l'oeil timide & louche
Verfant fur des lauriers les poifons de fa bouche:
Le jour bleffe fesyeux dans l'ombre étincelans
Trifte amante des morts, elle hait les vivans.
Elle apperçoit Henri, fe détourne & foupire.
Auprès d'elle eft l'Orgueil qui fe plaît & s'admire;
La Foibleffe au teint pâle, aux regards abattus,
Tyran qui cede au crime, & détruit les vertus ;
L'Ambition fanglante, inquiete, égarée,
De trônes, de tombeaux, d'esclaves entourée ;
La tendre Hypocrifie aux yeux pleins de douceur,
Le ciel eft dans fes yeux, l'enfer eft dans fon cœur;
Le faux Zele étalant fes barbares maximes
Et l'Intérêt enfin pere de tous les crimes.

La critique n'a pas épargné même ce beau morceau. On a dit que M. de Voltaire donnoit à tous ces êtres métaphysi• ques des fentimens & des attributs qui ne

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