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A donc mis entre nous d'impuiffantes barrieres!
Je fuis à lui. L'Autel a donc reçu nos vœux,
Et déja nos fermens font écrits dans les Cieux.
O toi qui me pourfuis, ombre chere & fanglante!
A mes fens défolés ombre à jamais préfente!

Cher Amant! fi mes pleurs, mon trouble, mes remords

Peuvent percer ta tombe & paffer chez les Morts;
Si le pouvoir d'un Dieu fait furvivre à fa cendre
Cet efprit d'un Héros, ce cœur fidele & tendre,
Cette ame qui m'aima jufqu'au dernier foupir,
Pardonne à cet hymen où j'ai pu confentir.
Il falloit m'immoler aux volontés d'un pere,
Au bien de mes Sujets dont je me fens la mere,
A tant de malheureux, aux larmes des vaincus,
Au foin de l'Univers, hélas! où tu n'es plus.
Zamore, laiffe en paix mon ame déchirée
Suivre l'affreux devoir où les Cieux m'ont livrée;'
Souffre un joug impofé par la néceffité;
Permets ces nœuds cruels, ils m'ont affez coûté.

Tragédie d'Hérode & de Mariamne.

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Tu meurs, & je refpire encore! Mânes facrés, chere ombre, épouse que j'adore! Refte pâle & fanglant de l'objet le plus beau, Je te fuivrai du moins dans la nuit du tombeau ! Quoi! vous me retenez! Quoi! Citoyens perfides, Vous arrachez ce fer à mes mains parricides !.

Ma chere Mariamne, arme-toi, punis-moi !
Viens déchirer ce cœur qui brûle encor pour toi
Electre, Tragédie d'Orefte.

Dieux! vous rendrez Oreste aux larmes de fa fœur,
Votre bras fufpendu frappera l'oppreffeur !
Orefte, entens ma voix, celle de ta patrie,
Celle du fang verfé qui t'appelle & qui crie',
Viens du fond des forêts où tu fus élevé,
Où les maux exerçoient ton courage éprouvé.
Aux monftres des forêts ton bras fait-il la guerre ?
C'eft aux Monftres d'Argos, aux Tyrans de la terre,
Aux meurtriers des Rois que tu dois t'adreffer.
Viens qu'Electre te guide au fein qu'il faut percer!

Dans un autre endroit de la même Tragédie, Eleare apoftrophe ainfi le fer qu'elle avoit trouvé fur le tombeau d'Agamemnon.

Glaive affreux, fer fanglant, qu'un outrage nou

veau.

Expofoit en triomphe à ce facré tombeau,
Fer teint du fang d'Orefte, exécrable trophée,
Qui trompas un moment ma douleur étouffée,
Toi qui n'es qu'an outrage à la cendre des Morts,
Sers un projet plus digne & mes juftes efforts!.

POLYEUCTE, à Pauline..

Le déplorable état où je vous abandonae,,

Eft bien digne des pleurs que mon amour vous donne ;

Et l'on peut au Ciel fentir quelques douleurs,.
J'y pleurerai pour vous l'excès de vos malheurs.
Grand Dieu! de vos bontés il faut que je l'ob
tienne ;

Eile a trop
de vertus pour n'être pas Chrétienne :
Avec trop de mérite il vous plût la former,
Pour ne vous pas connoître & ne vous pas aimer,
Pour vivre des Enfers efclave infortunée,
Et fous leur trifte joug mourir comme elle eft-née

Racine, Tragédie d'Andromaque..

Non, nous n'efpérons plus de vous revoir encor,
Murs facrés, que n'a pu conferver mon Hector!

Dans l'Idoménée de M. de Crébillon;. Erixene, fille de Mérion, Prince rébelle, tâche en vain de combattre fa tendreffe pour le fils du Roi de Crete: elle s'excite à la vengeance par la contemplation des lieux où elle avoit vu périr fon. pere qu'elle apoftrophe avec beau coup de vivacité & de nobleffe.

Non, mon pere, ton fang lâchement répandu
A tes fiers ennemis ne fera pas vendu;

Et le cruel Vainqueur qui furprend ma tendreffe
Ajoute à fes forfaits celui de ma foibleffe:
Je faurai le punir de fon crime & du mien.

Apoftrophe de Rousseau à l'Amour.

Venez, cher tyran

de mon ame,

Venez ; je vous fuirois en vain ;

Et je vous reconnois à ces traits pleins de flamme Que vous allumez dans mon sein.

Monologue de Rodogune dans la Tragédie de Corneille, qui porte le nom de cette Princeffe des Parthes.

Sentimens étouffés de colere & de haine,
Rallumez vos flambeaux à celles de la Reine;
Et d'un oubli contraint rompez la dure loi,
Pour rendre enfin just ce aux mânes d'un grand Roi,
Rapportez à mes yeux fon image fanglante,
D'amour & de fureur encor étincelante,

Telle que je le vis, quand tout percé de coups,
Il me cria: Vengeance; adieu je meurs pour vous.
Chere ombre,hélas ! bien loin de l'avoir poursuivie,
J'allois baiser la main qui t'arracha la vie,
Rendre un refpect de fille à qui verfa ton fang;
Mais pardonne aux devoirs que m'impose mon
rang.

Plus la haute naiffance approche des couronnes,
Plus cette grandeur même affervit nos perfonnes.
Nous n'avons point de cœur pour aimer ni haïr;
Toutes nos paffions ne favent qu'obéir.

Le confentiras-tu cet effort de ma flamme,
Toi, fon vivant portrait, que j'adore dans l'ame,
Cher Prince, dont je n'ofe en mes plus doux sou-
haits,

Fier encor le nom aux murs de ce Palais ?

Je fais quelles feront tes douleurs & tes craintes ; Je vois déja tes maux, j'entens déja tes plaintes; Mais pardonne aux devoirs qu'exige enfin un Roi A qui tu dois le jour qu'il a perdu pour moi.

Ce Prince que Rodogune apoftrophe dans ces huit derniers Vers, eft Antiochus fils de Démétrius Nicanor, Roi de Syrie, qu'elle avoit vu maffacrer entre fes bras par Cléopatre fa Rivale, premiere épouse de Démétrius & mere d'Antiochus & de Séleucus fon frere.

L'Apoftrophe, comme on voit, eft un mouvement violent & imprévu qui frappe, qui faifit, qui étonne, & qui convient très-bien aux paffions ardentes & tumultueuses, toujours impatientes d'éclater tout-à-coup par un impétueux transport. Cette figure doit cependant être amenée avec art: on doit y difpofer l'auditeur par des mouvemens plus doux ; puis quand on l'a attiré infenfiblement, on l'enleve tout-à-coup avec violence, & fans lui

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