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Mais puifque ces fuccès, s'ils ne font pas les plus folides, font les plus flatteurs, que ne doit-on pas faire pour fe les procurer? fur-tout pour triompher de ces défauts naturels qui peuvent abfolument être corrigés par une longue étude, par un travail pénible & opiniâtre. Quelles difficultés n'a pas furmontées ce célebre Démofthene? Il graviffoit contre des montagnes & des rochers efcarpés, récitant d'une feule haleine les Périodes les plus longues; il faifoit lutter fa voix contre les flots de la Mer irritée, & s'efforçoit d'en furmonter le bruit, il s'enferma pendant des mois entiers dans un cabinet fouterrain, paffa des jours & même des nuits, à former & à perfectionner devant un miroir l'action de fon vifage, de fes yeux, de fes mains, de tout fon corps. Il feroit difficile de décider jufqu'à quel point tout cela doit être imité. En général, c'eft la nature seule que l'on doit fuivre dans la prononciation, dans les différens geftes, dans les diverfes inflexions de la voix, plutôt que les préceptes, fouvent vagues & ftériles de la plupart des Rhéteurs. Tout dépend donc de la maniere plus ou moins forte, plus ou moins délicate dont la nature se

fait entendre à tel ou tel Orateur. Il femble que toutes chofes d'ailleurs égales, l'Orateur le plus éloquent dans la compofition devroit être auffi le plus éloquent dans la prononciation, puisque le même génie qui a fu puifer dans la Nature les traits & les mouvemens qui convenoient -au fujet, femble devoir y puifer auffi les tons vrais qui conviennent à ces mouvemens; cependant il y a des exemples du contraire, mais ces exemples pourroient bien n'être qu'une exception à la regle.

La belle prononciation fait fentir toutes les beautés du difcours, elle en releve l'éclat, & en cache les défauts aux yeux des fpectateurs. L'action donne de la force aux raifons, excite les mouvemens, touche les cœurs, & fait paffer dans l'ame des auditeurs toutes les paffions dont l'Orateur eft agité. On fent affez que pour produire ces effets, l'Orateur doit bien entrer lui-même dans les paffions qu'il veut exciter, varier fon gefte & le ton de fa voix,felon la diverfité des mouvemens qu'il veut infpirer, y conformer l'air de fon visage, montrer des yeux ardens & enflammés dans l'indignation & dans la colere, doux & pleins d'un tendre feu

dans l'amitié, rians dans la joie; triftes & abattus dans la douleur. Voulez-vous que je pleure? dit un Auteur ancien, il faut que vous pleuriez vous-même le premier; alors étant convaincu de votre infortune, j'en ferai vivement touché. En un mot, tous les fentimens, toutes les pallions doivent fe produire dans le gefte, dans la voix, dans l'air du visage, & fur-tout dans les yeux.

Que votre œil avec vous me convainque & me touche:

On doit parler de l'œil autant que de la bouche: Que la crainte & l'espoir, que la haine & l'amour, Comme furun Théâtre, y regnent tour-à-tour.

Les Rhéteurs diftinguent trois fortes de geftes; le gefte imitatif qui contrefait le geste d'une perfonne;le gefte indicatif, qui n'exprime que la penfée, & le gefte affectif qui eft le tableau de l'ame, la vie du difcours, & qui feul fait triompher l'éloquence & développe la Nature toute entiere. Il n'y a pas une paffion, pas un mouvement de chaque paflion, pas une feule partie de ce mouvement, qui n'ait fon gefte & fon ton particulier, fa modulation, fes dégrés de geftes & de tons.

Une langue, quelque énergique, quelque riche qu'elle foit, reste souvent au deffous de l'idée qu'elle veut exprimer. Souvent elle ne fait que deffiner ce qui devroit être peint, ou même profondément gravé. Un feul cri nous émeut jusqu'au fond des entrailles; il en est de même des geftes. Un coup-d'œil dit plus vîte & plus, que tous les difcours. Une attitude, un maintien peut nous convaincre, & nous expliquer à la fois mille chofes que le difcours feul ne débrouilleroit pas fi facilement. Le langage de la déclamation eft auffi fécond & auffi riche qu'il eft énergique. Il a des expreffions pour figurer avec les paroles & les tours de toute efpece. Il n'y a pas une feule figure foit de penfées, foit de mots à laquelle il ne réponde auffi une figure de geftes & de tons; mais celles de penfées & de mots se préfentent nettement dans des exemples, au lieu que les figures de geftes & de tons, comme nous l'avons déja remarqué, ne peuvent être ni tracées fur le papier, ni montrées dans des exemples particuliers, ni même prescrites par des préceptes certains; on ne peut fur cet article que recommander une étu de délicate & profonde de la Nature.

Les Juges de l'Aréopage se défioient, dit-on, du gefte, & pour en éviter la séduction, ils n'écoutoient les Orateurs que dans les ténebres; ainfi ils ne pouvoient être entraînés que par les charmes de la voix.

. Le beau gefte charme les yeux, la belle voix enchante les oreilles, la peinture des mouvemens les excite.Heureux ceux qui ont reçu ces talens de la nature! Elle feule peut les donner.Mais l'art, le goût, l'étude peuvent corriger, diriger, perfectionner dans ce genre comme dans tous les autres,

RESUMO

ÉSUMONS en deux mots les préceptes épars dans ce Livre.Les ouvrages du reffort de l'éloquence fe réduisent à deux efpeces; les uns font des ouvrages de fimple agrément où l'éloquence n'emploie que ce qu'elle a de plus doux, de plus fin, de plus leger, de plus aimable; les autres font des ouvrages férieux & nobles où l'éloquence déploie tantôt toute la tendreffe du fentiment, tantôt toutes les richeffes de la fublimité.

Pour les ouvrages de fimple agrément, point de leçons ; le goût eft le feul pré

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