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Les Bellegardes, les Buffis,
Les Guifes & les Baffompieres?
S'il reste encor quelques foucis
Lorfque de l'Acheron on a traversé l'onde,
Quelle indignation leur donnent les recits
De ce qui fe paffe en ce monde !

Dans plus d'un réduit agréable,
On voyoit venir tour à tour
Tout ce qu'une fuperbe Cour
Avoit de galant & d'aimable;
L'efprit, le refpe&t & l'amour

Y répandoient for tout un charme inexplicable;
Les innocens plaifirs par qui le plus long jour
Plus vite qu'un moment s'écoule,
Tous les foirs s'y trouvoient en foule,
Et les tranfports & les defirs,
Sans le fecours de l'espérance,
A ce qu'on dit, prenoient naiffance
Au milieu de tous ces plaifirs.

Cetheureux tems n'eft plus, un autre apris fa place,
Les Jeunes gens portent l'audace

Jufques à la brutalité.

Si Madame Deshoulieres revivoit aujourd'hui, adouciroit-elle l'amertume de fes plaintes ?

C'eft dommage qu'en général la verfification de cette Elégie foit un peu trop

molle & trop lâche ; les mœurs s'y trou vent peintes avec force & avec vérité ; le tableau contraftant de la galanterie de nos Peres, a tout l'agrément capable de la faire regretter.

J'ajouterai encore un exemple, moins pour éclaircir la matiere, que pour mettre un beau modele de plus devant les

yeux.

HIPPOLYTE à Aricie.

Moi qui, contre l'Amour fiérement révolté,
Aux fers de fes captifs ai long-tems insulté,
Qui des foibles mortels déplorant les naufrages,
Penfois toujours du bord contempler les orages ;
Affervi maintenant fous la commune loi,
Par quel trouble me vois-je emporté loin de moi?
Un moment a vaincu mon audace imprudente,
Cette ame fi fuperbe eft enfin dépendante:
Depuis près de fix mois, honteux, desespéré,
Portant par tout le trait dont je fuis déchiré,
Contre vous,contre moi,vainement je m'éprouve.'
Préfente, je vous fuis; abfente, je vous trouve;
Dans le fond des forêts votre image me suit.
La lumiere du jour, les ombres de la nuit,
Tout retrace à mes yeux les charmes que j'évite ;.
Tout vous livre à l'envi le rebelle Hippolyte.
Moi même, pour tout fruit de mes foins superflus,
Maintenant je me cherche & ne me trouve plus ar

Monarc,mes

javelots,monchar,toutm'importune. Je ne me fouviens plus des leçons de Neptune. Mes feuls gémiffemens font retentir les Bois, Et mes courfiers oififs ont oublié ma voix.

La différence dont nous parlons ici a quelque rapport avec la figure nommée Anthitefe, comme la fimilitude avec la comparaison & avec la figure appellée Paralleles. Nous traiterons de ces figures dans la fuite.

SECTION V.
Des Circonftances.

LES circonftances font d'un très grand

ufage dans l'Art Oratoire ; elles expo fent le véritable état des chofes ; ce font elles qui diftinguent, qui caractérisent. qui rendent méprifables ou héroïques vertueufes ou criminelles, les actions des hommes.

Medée embrâfant le Palais de Creüle égorgeant fes propres enfans aux yeux de Jafon leur pere, eft fans doute une femme impitoyable, une mere dénaturée; mais le défespoir qui la devore, son amour violent pour un perfide qu'elle a rendu poffeffeur de la Toifon d'or, pour

qui elle a abandonné fon pere & fa pas trie, à qui elle a facrifié fon honneur, immolé Pélias & Abfyrthe fon propre frere; la honte de fe voir préférer une rivale, les mouvemens d'amour, de haine, de crainte, de jaloufie & de rage, qui la déchirent; toutes ces circonftan ces modifient fon action. Ses crimes paffés femblent excufer fes crimes préfens (fi cependant un crime peut en excufer un autre).

Orefte paroît inexcufable de lever un bras parricide fur Clitemneftre fa mere ; mais elle-même s'étoit fouillée du fang d'Agamemnon, C'eft la pitié qui rend Oreste impie, il venge un pere, & fur qui? Sur une mere. Ovide ofe douter s'il fit un crime ou une action de piété.

Progné plongeant le couteau dans le fein du jeune Ithis fon fils, femble révolter la nature; mais l'outrage fanglant que Terée vient de faire à fa fœur Philomele, à fon Pere Pandion, à elle-même, l'occupe vivement, & lui ferme les yeux à tout autre objet : elle ne voit plus fon fils dans Ithis, elle n'y voit que le fils de Terée. Le filence de fa four plus fort que les cris & que les larmes de cet enfant, détermine fon bras: c'eft Philomele qui immole Ithis par les mains de

Progné: fon crime envisagé de cette maniere, reçoit quelque excufe ; mais Ovide lui rend toute fon horreur par les circonftances ingénieufes qu'il y ajoute. Cet enfant innocent qui ne s'attend point à fon malheur, entre, falue fa mere avec un air enjoué,s'approche d'elle, lui tend fes petits bras, fe jette à fon col, l'embraffe, lui fait mille careffes enfantines, Progné ne peut foutenir ce fpectacle; elle s'attendrit, des larmes coulent de fes yeux, fa colere fe défarme, fa fureur l'abandonne; elle alloit céder Pourquoi faut-il qu'elle rappelle fa férocité ?

D'un autre côté, le Suicide chez les Payens étoit quelquefois regardé comme une action héroïque; la mort de Caton l'illuftra autant que fa vie : mais Néron réduit aux dernieres extrêmités, devenu l'objet de l'exécration publique, poursuivi par une armée victorieufe que la vengeance anime, declaré ennemi du Sénat & du Peuple Romain, & comme tel, condamné aux tourmens les plus cruels & les plus ignominieux, Néron eft-il un Héros, même parmi les Partisans du Suicide, lorfque pour dérober fa tête à l'infamie qui le menace, il eft obligé d'emprunter une main étrangere pour pouffer la fienne? Ces exemples font

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