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Conteur,à mettre de l'expreffion dans fes Tableaux, de l'intérêt dans fa narration, de l'agrément dans fes épisodes ; au Differtateur, a éviter le bavardage & le Pédantifme: il dit au Philofophe qui veut éclairer les hommes & rendre fes découvertes utiles, dépouillez le fafte fçavant, humanisez votre ftyle; point de Grec, point de Latin, fi vous parlez à des François ; il n'eft point de sciences obscures, mais il en eft d'abftraites; mettez-les à la portée de l'intelligence la plus foible; que les difficultés s'applaniffent fous votre plume; & qu'on puiffe s'applaudir, après vous avoir lû, d'avoir acquis à fi bon marché des connoiffances utiles & agréables auxquelles on croyoit devoir

renoncer.

C'est ce même goût qui infpire à l'homme du monde les bonnes plaifanteries, la vivacité maligne de l'Epigramme, la fineffe du Madrigal, la molleffe ingénieufe de la chanfon; le badinage élégant; la noble aifance, la légereté naïve & féconde du ftyle épiftolaire ; enfin les graces variées d'une converfation tantôt enjouée, tantôt férieufe, toujours amufante & intéreffante.

On voit quelle eft l'union intime & néceffaire de l'art & du goût:la Rhétorique forme le goût; le goût infpire ce que la

Rhétorique ne peut enfeigner. Le goût marcheroit en aveugle & s'égareroit fans les préceptes qui dirigent fa courfe; les préceptes fans le goût feroient comme le grain femé fur des pierres ; les ouvrages excellens ne font jamais produits que par un concert heureux de la nature & de l'art.

Il ne fera pas étranger à mon fujet d'examiner ici quel fondement peut avoir un reproche affez général qu'on fait à notre fiecle : le goût, dit-on,fe pervertit. On s'écarte de la nature, chacun veut avoir de l'efprit, & en avoir fans ceffe; tous nos ouvrages à la mode font de froids recueils de bons mots & d'Epigrammes fans folidité, fans confiftance pareils à des éclairs qui brillent à chaque inftant dans une nuit profonde, & difparoiffent auffi-tôt fans qu'il en refte aucune trace; de tout cela on conclut que le fiecle de Louis XIV ayant été pour nous le fiecle d'Augufte, & le tems marqué pour le triomphe des beaux Arts, nous touchons au moment de cette révolution fatale que le goût éprouva à Rome, lorfque Seneque & Pline, par une délicateffe recherchée dans ies penfées & dans l'expreffion, corrompirent l'éloquence que Cicéron & Céfar avoient perfectionnée.

Des Cenfeurs plus Mifantropes vont même jufqu'à prétendre que c'en est déjà fait, que tout eft perdu, & que le mal eft prefque fans remede: mille Auteurs périodiques proteftent que leur noble intention eft d'arrêter, s'il fe peut, le cours de cetorrent, qui va peut-être à force de politeffe nous ramener la barbarie. Le célebre Abbé Desfontaines a combattu toute fa vie par des Epigrammes ce goût exceffif pour l'Epigramme. La fçavante Madame Dacier a fait un bon livre des caufes de la corruption du goût; mais ne feroit-il pas arrivé à Madame Dacier de trouver la caufe d'un effet qui n'exiltoit point?

Bien des gens fort fenfés difent que toutes ces menaces & toutes ces prédictions fondées fur l'exemple des Romains, ne les effrayent point du tout. 1o. Parce qu'en fuppofant toutes chofes égales, on ne peut jamais conclure bien sûrement d'un événement à un autre ; l'expérience nous montrant tous les jours des effets contraires produits par les mêmes causes, & les mêmes effets produits par des caufes toutes différentes.

2°. Ils ofent douter que Seneque & Pline ayent en effet corrompu l'Eloquence Romaine. Ils difent que des Auteurs pleins de fens & d'agrément, dont les ou

vrages fe lifent avec autant d'utilité que de plaifir, ne peuvent leur paroître des corrupteurs de goût ; & qu'enfin ils ne reconnoiffent de goût corrompu, que celui qui produit des ouvrages ridicules ou ennuyeux. Si pourtant la cenfure ne tombe que fur quelques endroits trop emphatiques des Tragédies de Seneque, ils les abandonnent d'auffi bon cœur quer certains vers de Ciceron.

3°. Ce grand reproche de dépravation de goût leur eft extrêmement fufpect: ils difent que c'eft un de ces propos univerfels de tous les tems & de tous les lieux, quelquefois vrais, quelquefois faux, toujours répétés au hafard & fans examen. Le monde ne leur paroît point avoir changé depuis près de dix-huit cens ans, qu'Horace a affuré que la perverfité avoit toujours été & iroit toujours en croiffant. Une foif infatiable des richeffes, un mépris groffier pour le mérite. & les talens, une dépravation générale du goût, font, difent-ils, trois reproches: que la mauvaise humeur des Milantropes atoujours faits au fiecle & au climat dans. lefquels ils ont eu le malheur de vivre. Enfin ils conviennent que trop fouvent les guerres, les ravages, les défolations détruifant les asyles des Mufes, ont élevés

le thrône de la barbarie fur les ruines des arts mais ils affurent que par tout où les arts peuvent être cultivés en paix, ils ne peuvent qu'être perfectionnés.

Je n'entreprendrai pas de décider fi leurs raifons font bonnes ou mauvaises: je les rapporte: qu'on en juge. Mais voici quelques exemples que la Rhétorique peut citer, & quelques réflexions qu'elle peut faire au fujet de l'efprit.

Conftance, fils de Conftantin, alloit combattre Vetranion qui lui difputoit l'Empire, les armées étoient en présence & prêtes à s'attaquer; mais les deux concurrens aimerent mieux remettre la décision de cette grande affaire au jugement, qu'aux armes de leurs. Soldats.. Conftance & Vetranion monterent fur le même trône, & s'affirent à côté l'un de l'autre, revêtus des ornemens impériaux, mais défarmés ; leurs Soldats, rangés autour d'eux, tenoient l'épée nue à la main, écoutant attentivement. Conftance parla avec tant de force & tant de dignité, que les troupes, emportées par fon éloquence, le proclamerentfeul Empereur, & obligerent Vetranion de defcendre du trône, de dépouiller la pour pre, & de la porter à Conftance.

L'éloquence de l'Orateur Marc-Antoine

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