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teffe, quand je fonge que je la pafferai fi fouvent éloignée de vous.

Je ne conçois point du tout la délicateffe de ceux qui peuvent trouver fade de femblables répétitions.

..

J'ai pris plaifir à accumuler toutes ces formules de fentiment, pour faire voir en combien de diverfes manieres une Plume éloquente peut tourner agréablement une même chofe; combien le fentiment eft fécond, quand il eft vrai; fous combien de formes il fait fe reproduire.

Les Lettres Péruviennes (un des plus jolis ouvrages cue l'imagination d'une femme ait produits), font des modeles parfaits de la naïveté la plus ingénieuse, & de cet art fingulier que avenons d'admirer dans Madame de Sévigné, de peindre le fentiment avec la vivacité la plus capable de l'infpirer.

Voilà ces Lieux Oratoires dont quel. ques Rhéreurs font tant de bruit, & dans lefquels ils font confifter route l'éloquence; au lieu que fes véritables fources font l'efprit, le goût, & la connoiffance du cœur humain.

Il faut cependant confidérer qu'il y a des ouvrages dont l'éloquence particu liere doit néceffairement être puifée dans

de certaines fources: un fermon où on ne mettroit en œuvre ni l'Ecriture, ni la Tradition, & dans lequel on fubftitueroit des traits purement moraux aux vérités évangeliques, ne feroit pas un bon ouvrage dans fon efpece; non plus qu'un Plaidoyer dont les principes & les raifonnemens n'auroient d'autre fource qu'une imagination fyftématique, rébelle à l'autorité des Loix.

Les differtations font encore un genre d'ouvrage affervi aux autorités; il faut donc faire un choix judicieux des plus refpectables,ne les point trop accumuler, les placer à propos, les préfenter dans le jour le plus favorable à l'opinion qu'on veut faire valoir.

A l'égard de l'imitation, il y a une régle générale à obferver, c'est de n'entreprendre jamais de compofer, fans avoir bien nourri, bien pénétré fon ame de la lecture des meilleurs Auteurs, & fans avoir allumé fon feu au flambeau de leur génie.

Fin du premier Livre,

LIVRE SECOND.

CHAPITRE PREMIER.

CE n'el

De la Difpofition

E n'est point affez d'avoir, par le fecours de l'Invention, trouvé des raifons folides & convaincantes; la force & la beauté du difcours consistent moins dans ces raifons, que dans un certain arran→ gement jufte,naturel & régulier de toutes les parties quile compofent. La confusion eft plus infupportable dans un discours que par-tout ailleurs. Quelque belles quelque vives que foient vos penfées, fi elles n'ont cette proportion & cette fymétrie que demande & qu'infpire la nature, il n'en réfultera qu'un cahos rebutant, qu'une maffe informe, faite pour choquer & pour déplaire. Il en eft d'un difcours, comme d'un ouvrage d'architecture; les raifons, les argumens en font les matériaux: il ne fuffit pas de les affembler, il faut les placer, & les mettre en œuvre. C'eft l'élégante conftruction des

matériaux qui forme le bel Edifice ; c'eft la difpofition bien ménagée de toutes les parties de l'Oraison, qui forme le beau difcours.

Ces parties d'oraifon font l'Exorde qui renferme la propofition, enfuite la Narration, la Confirmation qui renferme la réfutation; enfin, la Péroraifon eu conclu→ fion.

C'eft la nature elle-même qui a tracé ce plan; l'art ne fait que lui prêter fon fecours. L'ordre naturel demande, 1o.que l'Orateur commence à gagner la bienveil lance & l'attention de fes Auditeurs par un exorde qui leur donne une haute ou agréable idée de fon fujet & de fa perfon në même ; 2°. qu'il expofe ce fujet d'une maniere claire, ornée & intéreffante, 3°. qu'il confirme par de folides preuves tout ce qu'il a avancé; qu'il réfute tous les argumens qu'on peut lui oppofer; qu'il éclairciffe les difficultés principales qu'on lui peut faire; 4°. qu'il accumule fur la fin les figures les plus pathétiques, fi fon but eft de toucher; ou qu'il raffemble avec vivacité tous les moyens dans une courte récapitulation, pour entraîner l'efprit de fes Juges, fi fon objet eft de perfuader.

Cette diftribution des parties d'Oraifon regarde plus particulierement, com

me on voit, les ouvrages du Barreau, que toute autre espece d'ouvrages. On fent bien en effet que dans un Poëme Epique, par exemple, ou dans un Poëme Dramarique, il n'eft queftion ni de confirmation, ni de péroraifon; cependant les détails de ces fortes d'ouvrages nous fourniront indifféremment des exemples de toutes les parties d'oraifon. Voyons quels font les devoirs de l'Exorde.

CHAPITRE I I.

De l'Exorde,

L'EXORDE eft au difcours oratoire, ce que la tête eft au corps humain; c'eft ce qu'il y a de plus apparent & de plus fenfible; c'eft ce que l'Auditeur écoute le plus attentivement; c'eft ce qui le rebute ou qui le rend propice. Souvent fi un exorde eft bon, il aveugle l'Auditeur fur les défauts du refte de l'ouvrage; s'il eft mauvais, il entraîne tout l'ouvrage dans fa difgrace, quelque bon que cet ouvrage puiffe être d'ailleurs: tant eft grande la force des premieres impreffions: tant est irrévocable le premier Jugement que l'efprit humain a porté,

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