Images de page
PDF
ePub

L'exorde en général coit être fimple & modefte; c'eft en prenant d'abord un ton foumis & refpectueux,que l'Orateur peut s'infinuer par dégrés dans les efprits, & s'en rendre enfuite le maître. Un Orateur impétueux, qui débute par des foudres & des éclairs, fouleve contre lui l'Auditeur indigné. On ne gagne rien par la violence. Les hommes s'intéreffent en général pour la timide foibleffe, qui femble implorer leur appui, & reconnoître en eux une supériorité qui les flatte. Un Orateur qui fe préfente d'un air modefte & timide eft donc bien plus favorablement écouté, que celui qui fe préfente d'un air affuré & triomphant.

Après la mort d'Achille, Ajax préten dit que les armes de ce Héros lui étoient dues. Ulyffe entra en concurrence avec lui. L'un & l'autre expofe fes prétentions en présence des Princes confédérés. Ajax, Guerrier vaillant, mais mauvais Orateur, dit tout ce qu'il faut précisément pour indifpofer l'efprit de fes Juges;il s'emporte, il éclate, il femble leur reprocher les fervices qu'il leur a rendus, & leur injustice & leur ingratitude.

» Grands Dieux! s'écrie-t-il, c'eft à la » vûe de la flotte que nous plaidons, & c'eft un Ulyffe qu'on ofe mettre en pa

20

"

rallele avec moi! Mais ce lâche a-t-if » pû tenir devant Hector, lorfque ce fier Troyen portoit le feu dans nos vailfeaux ? C'est moi qui arrêtai ce terrible » ennemi & qui le repoussai; c'est à moi qu'on doit la confervation de la flotte ». Ce brufque emportement convient fort au caractere violent & furieux d'un sọldat farouche, tel qu'Ajax : mais il étoit bien peu propre affurément à lui rendre fes Juges favorables.

Ulyffe n'étoit pas à beaucoup près aufsi hardi ni auffi courageux, mais c'étoit le plus rufé & le plus éloquent de tous les Grecs: il prend d'abord le ton le plus moderé,& les manieresles plus engageantes; il fait paroître un refpect infini pour fes Juges, un dévouement entier à la caufe commune, & une extrême affliction de la perte que les Grecs viennent de faire.

»Illuftres Grecs, dit-il, fi vos vœux » & les miens euffent été exaucés, ces ar » mes ne feroient point la matiere d'une fi trifte conteftation; vous les pofféde»riez encore, cher Achille, & nous jouirions du bonheur de vous pofféder vous même. Mais puifqu'un fort fatal nous enleye ce Héros (pourfuit-il, en faifant femblant d'effuyer fes larmes), » qui peut, à plus jufte titre, prétendre

30

» aux

» aux armes du grand Achille, que celui qui a procuré aux Grecs cet invincible » Guerrier?

[ocr errors]

La comparaifon de ces deux exemples fait connoître en quoi confifte l'artifice de l'exorde. Mais cette modération, ce fang froid, ces mouvemens fi doux & fi adroitement concertés ne conviennent pas à toutes fortes de fujets. Il eft des conjonctures où un mouvement éclatant & impétueux produit un très bon effet.

Il y a donc deux fortes d'Exorde, le brufque & le tempéré. Le brufque eft fait pour les paffions véhémentes & pour les grands événemens. L'Orateur agité de pensées tumultueufes éclate tout-àcoup, & faifit fes Auditeurs par un enthoufiafme violent & imprévu.

[ocr errors]

EXEMPLES.

Exorde de la premiere Catilinaire de
Ciceron.

»Jufqu'à quand enfin, Catilina, abuferas-tu de notre patience? jufqu'à quand ta hardieffe effrenée & furieufe » bravera-t'elle notre jufte reffentiment? » Quoi! ni la garde qui veille à la fûreté » publique, ni la crainte du peuple, ni eton arrêt déja prononcé dans le cœur de

E

tous les gens de bien, ni le refpect dû à » ce lieu facré, ni l'afpect de ces auguftes » Sénateurs, n'ont pû ébranler ton infolente audace! Ne vois tu pas que tes » complots perfides font dévoilés; que la » conjuration eft découverte ; qu'aucun de nous n'ignore ce que tu as fait cette » nuit & la nuit précédente; à quelle coupable affemblée tu as préfidé ; quelles réfolutions plus coupables encore y » ont été prifes? O temps! ô mœurs! Le Sénat le fait, le Conful le voit, & ce » traître refpire! Que dis-je? il refpire! il met dans le Sénat un pied téméraire ; il prend part aux délibérations de ce Corps vénérable; il jette fur chacun de nous des regards fanguinaires; il marque de l'œil la place où il veut enfon» cer le poignard!

כג

D

30

ע

Dans l'Oraifon funebre de Madame la Ducheffe d'Aiguillon.

Qu'attendez-vous de moi, Meffieurs? & quel doit être aujourd'hui >>mon miniftere? Je ne viens ni déguiser » les foibleffes, ni flatter les grandeurs humaines, ni donner à de fauffes vertus » de fauffes louanges. Malheur à moi, fi j'interrompois les facrés Myfteres pour faire un éloge profane, fi je mélois l'ef

[ocr errors]

prit du monde à une cérémonie de Religion, & fi j'attribuois à la force ou à » la prudence de la chair, ce qui n'eft dû » qu'à la grace de Jefus-Chrift.

D

Dans la Tragédie d'Alzire, Zamore fouffle ainfi l'efprit de vengeance dans le çœur des Américains,

Amis de qui l'audace aux mortels peu commune
Renaît dans les dangers, & croît dans l'infortune,
Illuftres compagnons de mon funefte fort,
N'obtiendrons nous jamais: la vengeance ou la
mort?

Vivrons-nous fans fervir Alzire & la Patrie,
Sans ôter à Gufman fa déteftable vie,
Sans punir, fans trouver cet infolent Vainqueur,
Sans
venger mon pays qu'a perdu fa fureur?
Dieux impuiffans! Dieux vais de nos vaftes
Contrées,

A des Dieux ennemis vous les avez livrées!
Et fix cens Espagnols ont détruit fous leurs coups
Mon Pays & mon Trône, & vos Temples & vous

ZOPIRE à Omar, dans Mahomet.

Eh bien ! après fix ans tu revois ta Patrie,
Que ton bras défendit, que ton cœur attahie, ?
Ces murs font encor pleins de tes premiers
exploits.

Deferteur de nos Dieux, déferteur de nos loix,

« PrécédentContinuer »