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PREFACE.

LA Rhétorique a deux objets; elle apprend à compofer d'excellens. Ouvrages, elle apprend à les goûter. Le goût, cette heureufe faculté de l'ame qui n'eft fouvent chez les hommes que le fruit de l'étude & du travail, la Nature l'a libéralement accordé aux femmes.

Tous les jours leur ignorance aimable, 'A la honte du Grec & du Latin, fait voir Combien au cabinet le monde eft préférable; Et le fentiment au favoir.

Pour peu que cet inftinct délicat foit perfectionné par la lecture des bons Livres, il acquiert bientôt chez les femmes une efpece d'infaillibilité à laquelle notre fexe n'atteint que bien rarement. Mais ce goût eft un apanage trop noble pour se borner à fentir la fineffe d'une Epigramme, l'agrément d'un

A

Conte, la délicateffe d'un Madrigal, il faut l'étendre à tout, & l'appliquer aux objets les plus grands & les plus diftingués; il faut l'accoutumer à s'attendrir dans la Tragédie, à s'élever dans le Poëme Epique, à goûter des raifons folides dans un Plaidoyer, des vérités confolantes ou terribles dans un Sermon. Ainfi donc, fans prétendre ouvrir aux femmes la carriere du Barreau ou de la Chaire, que nous leur avons prudemment fermée, on peut leur propofer fur tous ces genres des réflexions & des exemples, foit pour former le goût naiffant des jeunes perfonnes, foit pour flatter le goût déja formé des autres.

Il eft certain que l'ufage, toujours respectable par fa tyrannie, a interdit aux femmes les ouvrages qui fuppofent une Profeffion. Les hommes fe font arrogé le droit exclusif de paroître dans les Ecoles, dans les Tribunaux, &c. comme celui de s'entretuer fuiyant de certains prin

cipes. On voit peu d'exemples de Profeffions favantes exercées par les femmes. Ceux qu'on pourroit citer, font au nombre de ces fingularités hiftoriques qui ne tirent pas à con féquence.

Hypatie, Platonicienne illuftre donna des leçons publiques de Philofophie dans Alexandrie.

Une Athénienne, nommée Agnodice, fe déguifa en homme pour exercer la Médecine. Ses fuccès infpirerent de la jaloufie aux Médecins fes confreres, qui, ayant bien obfervé fa conduite, l'accuferent en Justice réglée de s'introduire chez les femmes pour les corrompre. Le coupable fut même convaincu; ce qui arrive quelquefois à des Innocens: celui-ci en fut pourtant quitte pour avouer fon fexe. Les Médecins furent un peu furpris. Les femmes intervinrent au procès. L'Aréopage rendit un Arrêt, qui permit aux femmes d'exercer la Médecine. Mais à l'égard des Ouvrages qui

ne fuppofent que des talens, les femmes doivent-elles fe borner au plaifir de les lire & de les goûter? La bienséance leur defend - elle d'avoir publiquement de l'efprit, de le cultiver, d'en faire éclore les fruits, d'enrichir le Théâtre & la République Littéraire? Est-ce un tort pour elles d'acquérir des Graces de plus, & de nouveaux moyens de charmer, de joindre l'art de penfer à l'art de plaire, d'embellir les talens, d'en être embellies, de remplir leurs têtes d'idées comme leurs cours de fentimens, de fe ménager du moins la reffource confolante des connoiffances & des lumieres pour cet âge où la beauté perd fon empire, où l'efprit feul conferve le fien, où tout manque aux femmes frivoles, où ces vains amusemens qu'on honore affez fauffement du nom de plaisirs, ne font plus même de faifon? Il faut renvoyer quiconque trouvera cette queftion douteufe à l'Epitre Dédicatoire d'Alzire,

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