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que le sommeil ne l'empêchât de s'entretenir avec Dieu. Si quelqu'un se plaignoit en sá présence de ce qu'on avoit interrompu son sommeil, il disoit ordinairement : « Que je saurois bon gré à celai » qui m'éveilleroit, puisque par là il me fourniroit >> l'occasion de chanter les louanges de mon Créa» teur, et de procurer sa gloire. » La vue seule de son extérieur inspiroit l'amour de la vertu. Son cœur étoit tellement pénétré de componction, qu'il ne pouvoit célébrer la sainte messe sans pleurer. Plus d'une fois les larmes abondantes qu'il versoit dans le tribunal de la pénitence, en arrachèrent aux pécheurs les plus endurcis.

Cuthbert, qui vouloit vivre dans une union encore plus intime avec Dieu, quitta son monas. tère, avec la permission de son abbé, et se retira dans la petite île de Farne, qui en est éloignée de neuf milles. C'étoit une solitude affreuse, où il n'y avoit ni eau, ni arbres, ni blé. Le Saint s'y bâtit un ermitage, qu'il environna d'un fossé, et l'on dit qu'il mérita par la ferveur de ses prières, que Dieu lui fit trouver de l'eau dans sa propre cellule. Comme il avoit apporté avec lui des instrumens propres au labourage, il sema d'abord. du blé qui ne vint point, puis de l'orge qui, quoique semée hors de saison, rendit une abondante récolte. Il fit construire une maison à l'entrée de l'île, et du côté de Lindisfarne, afin d'y loger les frères qui le venoient voir. Il alloit les y trouver pour les entretenir sur des matières spirituelles. Il prit ensuite la résolution de ne plus sortir de sa cellule, se contentant d'instruire, par la fenêtre ceux qui le visitoient. Il consentit pourtant à avoir une entrevue avec une sainte abbesse nommée Elflède. Elle étoit fille du roi Oswi, et, avoit été consacrée à Dieu des sa naissance. En 680, elle

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succéda à sainte Hilde dans le gouvernement de l'abbaye de Whitby. L'entrevue se passa dans l'île de Cocket, alors remplie de saints anachorètes.

Cuthbert fut élu évêque de Lindisfarne, dans un synode tenu par saint Théodore à Twiford, sur l'Alne, au royaume de Northumberland; mais quand il fallut obtenir son consentement, on éprouva de grandes difficultés de sa part. On ne put l'arracher de sa solitude, malgré les lettres qu'on lui écrivit, et les députés qu'on lui envoya. Enfin le roi Egfrid, qui avoit assisté au synode, l'alla trouver en personne avec le saint évêque Trumwin, et plusieurs autres personnes respectables par leur vertu. Tous ensemble se jetèrent à ses pieds, et le conjurèrent, par les plus pressans motifs, d'accepter une place où il pourroit procurer à Dieu une si grande gloire. Il se rendit à la fin, et sortit de sa cellule, mais en versant un torrent de larmes. Il fut sacré à Yorck, le jour de Pâques, par saint Théodore, assisté de six évêques.

Le Saint, pour avoir changé d'état, ne diminua rien de ses austérités ordinaires ; il se regarda comme un hommé dévoué au salut du prochain, et ne pensa plus qu'à travailler à la sanctification du troupeau qui avoit été confié à ses soins. Il avoit une tendre charité pour les pauvres, et pourvoyoit en même temps à leurs besoins spirituels et corporels. Il prenoit avec zèle le parti de la justice, mais sans rien perdre de la tranquillité de son ame. Accoutumé à voir Dieu en tout, il ne s'étonnoit point des divers événemens de la vie. Il étoit supérieur à toutes les épreuves, et y trouvoit même une source de joie. Le don des miracles que Dieu lui accorda, le fit surnommer le Taumathurge de la Grande-Bretagne. On rapporte, entre autres choses, qu'il guérit avec de l'eau

bénite plusieurs personnes dont les maladies étoient réputées incurables. Il connut par révélation, et découvrit le moment précis où le roi Egfrid fut défait et tué par les Pictes, en 685.

Lorsqu'il sentit que sa fin approchoit, il renonça à l'épiscopat dont il avoit exercé les fonctions pendant deux ans, et se retira dans l'ile de Farne, pour se préparer à la mort. Deux mois après, il tomba malade. Héréfrid, abbé de Lindisfarne, alla le visiter, et lui laissa deux de ses moines pour le servir et l'assister. La maladie paroissant incurable, il demanda le viatique du corps et du sang de JésusChrist, qu'il reçut des mains de l'abbé Héréfrid. Il mourut le 20 Mars 687. Son corps fut porté au monastère de Saint-Pierre de Lindisfarne et enterré à la droite du grand autel. Bède rapporte qu'il se fit plusieurs miracles à son tombeau; il ajoute que les moines ayant levé de terre le corps du Saint onze ans après sa mort, ils le trouvèrent sans aucune marque de corruption : les jointures en étoient encore flexibles, et les vêtemens dont on l'avoit enveloppé paroissoient aussi entiers et aussi frais que le jour qu'on l'avoit enterré (1). On le mit dans un cercueil tout neuf, qui fut élevé au-dessus de l'ancien tombeau, Quatre cent quinze ans après, on le trouva encore sans corruption à Durham, où tout le monde le voyoit (2). Les moines de Lindisfarne l'emportoient avec eux toutes les fois qu'on étoit menacé de quelque incursion dela part des Danois. Enfin ils le déposèrent sur une montagne couverte de bois, et presque entièrement environnée de la Wère, dans la persuasion que leur trésor seroit en sûreté dans un lieu que la nature elle-même avoit pris soin de fortifier; ils y (1) Bède, Hist. l. 4, c. 30. (2) Malmesb. l. 4, Pontif. Angl.

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bâtirent une église, dont Aldhune, évêque de Lindisfarne, fit la dédicace en 995. On porta solennellement le corps du Saint dans cette église, et le siége épiscopal de Lindisfarne fut transféré à Dunelm ou Durham, capitale du pays (c).

Plusieurs princes donnèrent des biens considérables au monastère et à la cathédrale de Durham, que l'on avoit bâtis en l'honneur de saint Cuthbert. Différens rois, par un motif de dévotion envers le Saint, accordèrent à l'évêque de Durham le titre de comte palatin, et une juridiction civile fort étendue (d). Le plus grand bienfaiteur de l'église de Durham, fut le roi Alfred, qui honoroit saint Cuthbert comme son principal patron, et qui attribuoit à son intercession la plupart des victoires qu'il avoit remportées, ainsi que plusieurs autres grâces qu'il avoit reçues (e).

Le corps du Saint étoit encore entier lorsque Henri VIII fit piller et détruire la châsse qui le renfermoit (f). On le traita avec plus de respect que les autres corps saints, et il ne fut point brûlé comme ceux de saint Edmond, roi et martyr, de saint Thomas, etc. Les officiers du roi ayant emporté tout ce qui leur avoit paru mériter leur attention, le laissèrent enterrer 'à l'endroit audessus duquel avoit été la châsse. Le lord vicomte Montaiguë, donna l'anneau du Saint, dont la pierre étoit un saphir, à l'évêque de Chalcédoine. (g), qu'il avoit retiré chez lui durant la persécution (c) Dunelm est un nom composé de deux mots saxons ; Dun, montagne, et Holme, lieu situé au milieu des eaux.

(d) Voyez les histoires de la cathédrale de Durham, par Dugdale et par Brown-Wilis. La cathédrale qu'on voit aujourd'hui fut bâtie en 1080.

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(e) Voyez Hickes, Thesaur. Linguar. Septent. præf. p. S. (f) Nous apprenons ceci de Harpsfield.

(g) Voyez les Flores Hist. Eccles. p. 120.

suscitée contre les catholiques (h). L'évêque de Chalcédoine en fit présent aux religieuses chanoinesses anglaises de Paris..

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Lorsqu'on ouvrit son tombeau, on y trouva une copie de l'évang" selon saint Jean, faite d'après l'exemplaire a saint Boisil. Le comte de Litchfield, qui en étoit possesseur, en a fait présent à M. Thomas Philips, chanoine de Tongres, et missionnaire en Angleterre. On ne peut douter de l'authenticité de cette pièce, au rapport même des plus habiles antiquaires d'entre les Protestans, qui l'ont examinée avec soin.

La vie de saint Cuthbert étoit une prière presque continuelle. Rien ne pouvoit le distraire de ce saint exercice; il y consacroit le jour et une grande partie de la nuit. Son esprit étoit sans cesse occupé de Dieu et des choses célestes; il eût regardé comme perdu le moment dont l'emploi n'eût pas eu pour fin la gloire du Seigneur. Il ne cessoit de méditer sur les attributs de la divinité, sur le mystère ineffable de l'incarnation, sur la doctrine, les actions et les souffrances de JésusChrist par-là il purifioit de plus en plus les affections de son cœur; il entretenoit cette soif insatiable des biens éternels; il acquéroit cette union intime avec Dieu, dans laquelle on trouve un avant-goût des chastes délices du ciel. Tel est le propre de la contemplation; elle élève l'ame audessus des sens, et lui découvre un nouveau monde, dont les richesses et la beauté la ravissent hors

(h) M. l'évêque de Chalcédoine (Richard Smith) rapporte dans son histoire de la vie de Marguerite Montaiguë, que la reine Elizabeth eut toujours de grands égards pour cette dame, qui avoit été attachée à la reine Marie, et qu'elle accorda à sa maison un privilége tacite, en ne permettant pas qu'on y fit des recherches pour le fait de religion. Plusieurs prêtres catholiques s'y cachèrent, et il s'y en trouva jusqu'à soixante en même temps.

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