Images de page
PDF
ePub

il mit douze religieux avec un supérieur. Parmi ces religieux, il s'en trouva un qui, par défaut de ferveur, contracta l'habitude de sortir de l'église immédiatement après la psalmodie, au lieu de rester à la méditation avec les frères. Pompeïen 'son supérieur l'ayant averti charitablement de sa faute, il se corrigea; mais il retomba trois jours après. Benoît, qui en fut informé, promit d'aller remédier au désordre. Il s'agissoit effectivement 'd'une de ces fautes qu'il est important de ne pas laisser invétérer, puisque le dégoût de la prière et de la méditation est toujours suivi des plus grands maux. Le Saint, convaincu de la vérité de ce principe, se rendit promptement au monastère où étoit le religieux contre lequel on lui avoit porté des plaintes; mais il voulut, avant de prendre un parti, examiner les choses par lui-même. Il aperçut, après la psalmodie, un enfant noir qui tiroit le moine par le bord de sa robe, et l'entraînoit hors de l'église. Saint Maur eut aussi cette vision. Il fut aisé d'y découvrir les piéges du démon, qui, pour réussir à perdre les hommes, s'attache principalement à les détourner de la prière. Cependant le moine continuoit toujours de s'absenter de la méditation. Benoît crut qu'il seroit dangereux d'attendre plus long-temps, et qu'il falloit user de rigueur; il prit donc une baguette, et en frappa le coupable. Ce châtiment eut son effet; et le moine fut délivré pour toujours de sa tentation. Saint Grégoire, de qui nous apprenons ce fait, rapporte plusieurs miracles opérés par saint Benoît vers le même temps.

On venoit de tous côtés visiter le serviteur de Dieu, dont la réputation s'étendoit de plus en plus. Des personnes de la première qualité, tant de Rome que des autres pays, accouroient à son monastère;

elles oublioient, en le voyant, l'éclat extérieur qui les environnoit, et se prosternoient humblement à ses pieds pour recevoir sa bénédiction, et implorer le secours de ses prières. Quelques-uns même lui offrirent leurs enfans, afin qu'il les instruisît et les formât à la pratique de la vertu. On comptoit parmi ces enfans, Maur et Placide, qui étoient fils, l'un du sénateur Equice, et l'autre du sénateur Tertulle.

Mais le démon, jaloux de voir Benoît étendre de jour en jour l'empire de Jésus-Christ, lui suscita de nouvelles épreuves. L'instrument dont il se servit fut un mauvais prêtre du voisinage, nommé Florent. Ce malheureux, ennemi de tout bien, publia d'horribles calomnies contre la réputation du Saint. Benoît, en vrai disciple du Sauveur n'opposa que la douceur et le silence; il fit plus, dans la crainte d'aigrir davantage l'esprit d'un homme acharné à le perdre, il quitta Sublac, pour se retirer au Mont-Cassin: mais il apprit, peu de temps après son départ, que Florent avoit été écrasé sous les ruines d'une galerie. Il fut sensiblement touché d'une fin aussi tragique, et il imposa une pénitence à Maur, pour avoir donné à entendre qu'il n'étoit pas fâché que son maître fût délivré de son persé

cuteur.

Il y avoit sur le sommet du Mont - Cassin (f) un ancien temple et un bois consacrés à Apollon, qui comptoit encore des adorateurs en cet endroit. Ces restes d'idolâtrie enflammèrent le zèle de Benoît. Il prêcha l'évangile ; et par la force réunie de ses discours et de ses miracles, il fit un grand nombre de conversions. Il brisa l'idole, et coupa le bois; ayant ensuite démoli le temple, il éleva

(f) Dans le pays des Samnites, qui fait aujourd'hui partie du royaume de Naples.

sur ses ruines deux oratoires ou chapelles, sous l'invocation de saint Jean-Baptiste et de saint Martin. Voilà l'origine du célèbre monastère du Mont-Cassin, dont notre Saint jeta les premiers fondemens en 529, à la quarante-huitième année de son âge, la troisième de l'empire de Justinien, sous le pontificat de Félix IV, Atalaric étant roi des Goths en Italie. Ce fut vers ce temps-là que le sénateur Tertulle rendit une visite à saint Benoît; il venoit encore dans le dessein de voir son fils Placide. Il donna au nouveau monastère des biens qu'il avoit dans le voisinage, et une terre considérable située en Sicile.

Parmi ceux qui prirent l'habit au Mont-Cassin, étoit un vénérable ermite nommé Martin. Il avoit tant d'amour pour la solitude, qu'afin de n'être pas seulement tenté de sortir de sa cellule, il y avoit attaché son corps avec une grosse chaîne de fer. Benoit, qui craignoit qu'une telle singularité ne vint du désir de se faire remarquer, lui dit : « Si » vous êtes véritablement serviteur de Jésus-Christ, » vous n'avez pas besoin de chaîne de fer; celle » de son amour suffira pour vous rendre inébran» lable dans votre résolution. » Martin donna une preuve de son humilité en obéissant sans réplique, et en reprenant la vie commune. Benoît, au rapport de saint Grégoire, gouvernoit encore un monastère de religieuses, peu éloigné de celui du Mont-Cassin. En même temps qu'il en fondoit un d'hommes à Terracine, il envoya saint Placide en Sicile pour y en fonder un autre.

Nous conviendrons volontiers que saint Benoît n'étoit point versé dans la littérature profane; mais, ce qui est infiniment plus précieux, il étoit animé de l'esprit de Dieu, et possédoit la plus belle des sciences, celle des choses spirituelles: aussi saint

Grégoire le représente-t-il comme un homme dont l'ignorance étoit accompagnée d'une vraie lumière et d'une vraie sagesse (g); et pour lui appliquer ce que saint Arsène disoit de saint Antoine, son alphabet valoit beaucoup mieux que toutes les vaines sciences du monde. On ne peut guères douter qu'il ne fût dans les ordres sacrés, et même diacre (h). Il alloit, au rapport de saint Grégoire, prêcher quelquefois dans les lieux voisins; et, par l'effet d'une charité sans bornes, il distribuoit aux pauvres tout ce qu'il possédoit sur la terre, afin d'amasser dans le ciel des trésors qui ne périssent point.

Ce fut au Mont-Cassin que saint Benoît écrivit sa règle. On y remarque un homme consommé dans la science du salut, et suscité, dans les desseins de Dieu, pour conduire les ames à la plus sublime perfection. Il y règne un esprit de sagesse et de discernement qui touchoit saint Grégoire à un tel point, qu'il ne balançoit pas de la préférer à toutes les autres règles. Elle fut depuis adoptée par tous les moines d'Occident, qui la suivirent pendant quelque temps; elle est principalement fondée sur le silence, la solitude, la prière, l'humilité et l'obéissance (i).

(g) Scienter nesciens et sapienter indoctus.

(h) C'est ce que le P. Mabillon a prouvé, Annal. Ben. t. V, p. 122, ad an. 543, d'après d'anciens tableaux de saint Benoît et d'anciennes inscriptions. Plusieurs modernes, entre autres Muratori, Scrip. Ital. t. IV, p. 217, ont avancé, mais sans fondement, que saint Benoît étoit prêtre.

(i) La règle de saint Benoît charge l'abbé de tout le gouvernement du monastère; elle prescrit sept heures de travail manuel par jour, et deux heures de lecture spirituelle, outre la méditation qui doit se faire depuis la fin de matines jusqu'au point du jour. En quelques endroits on a substitué au travail des mains, l'étude et d'autres occupations qui ont la gloire de Dieu pour objet. La même règle interdit l'usage de la viande. (Voyez les pères Martene et Calmet.) Gette loi de l'abstinence a été rétablie dans plusieurs maisons,

Saint Benoît appelle son ordre une école où l'on apprend à servir Dieu. Effectivement, le but

entre autres, dans celles qui suivent la réforme de la congrégation de Saint-Maur.

Saint Benoît, vivant dans un pays où il étoit d'usage de boire du vin et de l'eau, accorde par jour, à ses religieux, une certaine mesure de vin, appelée hémine. On a beaucoup écrit sur cette hémine, qui a varié selon les temps et les lieux. Lancelot a tâché de prouver que saint Benoît avoit en vue l'hémine romaine, ou le demi-setier, qui contenoit dix onces. (Voyez Montfaucon, Antiq. expl. t. III, l. 4, c. 7, p. 149, et Mabillon, Præf. in sect. 4.) D. Ménard pense que l'hémine de saint Benoît ne contenoit que sept onces et demie. Il s'agit, suivant Mabillon, loc. cit. et Martène, in cap. 40, Reg., de l'hémine des Grecs, qui contenoit une livre et demie ou dix-huit onces. L'opinion de Lancelot a paru avec raison la plus probable à D. Calmet. Ce dernier, in cap. 40, Reg. t. II, p. 62, prouve par la tradition des écrivains de son ordre, et par divers monumens, que l'hémine en question contenoit trois coups. Saint Benoît accordoit par jour à chaque religieux une livre et demie ou dix-huit onces de pain, comme il fut décidé dans le célèbre concile d'Aix-la-Chapelle, tenu sous Charlemagne.

Le célèbre Côme de Médicis, sans parler de plusieurs autres législateurs, lisoit souvent la règle de saint Benoît; il la regardoit comme une source féconde de maximes propres à former dans l'art de bien gouverner les hommes.

La règle de saint Benoît a exercé la plume d'un grand nombre de commentateurs aussi recommandables par leur piété que par leur savoir. On trouvera leurs noms dans D. Calmet, t. 1, p. 1; nous allons citer les principaux d'entre les modernes. 1. Hæften, prieur d'affligem, dont l'ouvrage, divisé en douze livres, est intitulé : Disquisitions monastiques, etc. 2. Steingelt, abbé d'Anhusen, qui a donné un bon abrégé des Disquisitions. 3. D. Ménard, qui a écrit sur la règle de son ordre, dans son commentaire sur la concorde des règles de saint Benoit d'Aniane. 4.o D. Mège, dont les commentaires (trop diffus) sur la règle de saint Benoit, furent imprimés à Paris en 1687, in-4.° 5.o D. Martène, dont le Comment. in Reg. S. Ben. parut à Paris en 1690, et fut réimprimé en 1695, in-4. Il a beaucoup mieux réussi que dom Mège. Effectivement, son édition de la règle est plus exacte, et son commentaire plus judicieux et plus savant que celui de son confrère. Il n'en a pas même parlé, quoiqu'il eût paru trois ans avant le sien. C'est que D. Mège avoit scandalisé son ordre par ses sentimens relâchés sur la manière de pratiquer et d'imposer les humiliations, ainsi que sur plusieurs autres points. Il bien des monastères chez les Bénédictins où l'on ne met pas

[ocr errors]

Ꭹ a

« PrécédentContinuer »