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» De ce moment heureux que le ciel a fait naître, » Armé par la fureur il égorge ce traître; >> Il massacre ta femme et tes autres enfans, » Et veut éteindre en eux la race des tyrans. » Ils te joindront bientôt sous ces lugubres voûtes; » Leurs reproches amers, que déjà tu redoutes, » Allumeront ta rage; et leurs vives douleurs

» Vont mettre pour jamais le comble à tes malheurs.
» Tes peuples maintenant, dans l'excès de leur joie,
» Rendent grâces au ciel des biens qu'il leur envoie.
» Entends-tu ces clameurs, et ces heureux transports?
» Mais,c'en est trop, cruel! les temps sont venus... sors.
» Ministres de mes lois, entraînez ce barbare
» Dans les gouffres profonds que l'Équité prépare ;

» Inventez des tourmens inconnus dans ces lieux:
» Allez; que de ce monstre on délivre mes yeux. »
Elle dit: à ces mots la Vengeance attentive
Du malheureux Nadir saisit l'ombre craintive;
Elle ordonne aux Remords d'ouvrir leurs noirs cachots,
Et la met au pouvoir des esprits infernaux.
Ils s'emparent soudain de leur pâle victime;
J'ose suivre leurs pas jusqu'au fond de l'abîme:

O terreur!... quel bruit sourd, et quels gémissemens!
Quels cris!... le Désespoir, par de longs hurlemens,
Remplit de son horreur l'affreux séjour des gênes;
Des Mânes criminels il irrite les peines :
Ce monstre incorruptible et toujours agité
Répand sur l'avenir une triste clarté;

Aux Remords dévorans il doit son origine,
Et sert avec fureur la colère divine.

Au fond de ces cachots gémissent dans les fers Les mortels vicieux, corrompus et pervers. Là, je vis ces héros qui mirent tout en cendre; Ces fiers imitateurs de l'impie Alexandre Reconnaissent ici, dans leurs pleurs superflus, Qu'une victoire injuste est un crime de plus. On y voit confondus tous ces grands de la terre Dont l'odieux pouvoir opprimait le vulgaire; Ils se croyaient formés d'un limon plus parfait.... « Vos yeux se sant ouverts, leur dis-je, c'en est fait; » Vous frémissez de voir que vous étiez des hommes » Vains, cruels, vicieux... plus que nous ne le sommes. » D'un chimérique nom et d'un haut rang jaloux, >> Vous crûtes les mortels faits pour ramper sous vous. » Barbares! vous n'aviez de lois que le caprice : » La dure oppression, la fraude, l'injustice, Étaient les sceaux affreux de cette autorité,

Et le plaisir fut seul votre divinité.

» Les Phrinés, les Dipsas (1), avides de largesses, > En vous déshonorant, absorbaient vos richesses; » Tandis que la Vertu, coulant de tristes jours, » A grands cris vainement implorait vos secours. >> Rien n'est sacré pour vous: nos temples, les cieux mêmes, » Objets de vos mépris, l'étaient de vos blasphêmes!

(1) Ovide, quatrième élég. du 1.er Liv. des Amours.

» Tout était, selon vous, formé par le hasard;
» Vous êtes détrompés, malheureux, mais trop tard:
» La Vérité terrible à vos yeux s'est montrée,
» D'éclairs, de traits vengeurs, de remords entourée.
» L'inflexible à punir ne se lasse jamais :

» Tremblez, vous leurs pareils! ou changez désormais.>>
Là, dans l'immensité d'un effroyable gouffre,
Sont plongés, dans des flots de bitume et de soufre,
Les fils dénaturés, les parens inhumains;
Les juges corrompus, les cruels assassins;
Les mortels enrichis par le vol et l'usure;

Les Sporus (1), leurs amans, l'horreur de la nature;
Les trompeuses Laïs; les obscènes auteurs,
De la tendre innocence infàmes corrupteurs.
Ici sont les époux désunis, infidèles ;

Les rois voluptueux, et les sujets rebelles;

Les lâches qui, pour fuir la rigueur de leur sort,
Dans leur abattement, se sont donné la mort.
Ah! quels que soient nos maux, la vertu, la constance
Attireront sur nous l'oeil de la Providence.

Plus loin sont tourmentés par leurs propres fureurs,
Les pâles envieux, les traîtres, les menteurs;
Les tigres engraissés des misères publiques;
Les dévots imposteurs, les cruels fanatiques.
O souvenir! ô crime! en sortant des autels,
Ces monstres ont percé le plus grand des mortels. (2)

(1) Suétone, Vie de Néron.

(2) Henri IV.

Mais soudain m'appelant d'une voix souterraine, Mon affreux conducteur loin de ces lieux m'entraîne; Et d'un rapide vol m'enlevant sur les mers,

Le barbare me laisse au vaste sein des airs:
Je me sens aussitôt précipiter dans l'onde,
Et je vois s'écrouler les fondemens du monde.

LES SAISONS,

POËME

EN QUATRE CHANTS;

PAR SAINT-LAMBERT.

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