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nous avons sous nos yeux, ce qu'Homère, le Tasse, nos poëtes dramatiques, ont fait pour la nature morale; il faut l'agrandir, l'embellir, la rendre intéressante.

» Vous agrandirez la nature si vous la montrez de temps en temps dans le moment où elle est sublime; et si votre plan ne vous permet pas de la saisir souvent dans ces momens, jetez à travers vos paysages les idées de l'espace, de l'ordre général, de l'infini, du mouvement ou du silence universel.

» Vous embellirez la nature si vous rassemblez dans un espace étendu, mais limité, ses beautés et ses richesses: c'est ce qu'Ovide a fait dans sa description de la vallée de Tempé, Homère dans les jardins d'Alcinoüs, l'Arioste dans l'île d'Alcine; le Tasse dans l'île d'Ar-mide; Milton, mieux qu'eux tous, dans la description du jardin d'Eden.

>> Vous rendrez la nature intéressante si vous la peignez toujours dans ses rapports avec les êtres sensibles, si dans vos descriptions vous répandez quelques vérités de physique et de mo

rale; quelques idées qui éclairent les hommes, des principes d'économie, des sentimens honnêtes, enfin si vous ne la peignez jamais sans être rempli vous-même du sentiment qu'elle doit inspirer comme sublime, grande, triste, pauvre, riche, agréable ou belle.

» Il faut ménager des contrastes; ils feront un plaisir extrême s'ils sont bien placés. Peignez des eaux, une forêt fraîche et sombre, après avoir peint l'excès de la chaleur; le lecteur vous suivra volontiers sous vos ombrages : il sera charmé de se dérober avec vous au feu du soleil brûlant et à l'aridité de la terre. Vos contrastes plairont lorsqu'ils donneront au lecteur un sentiment nouveau, une sensation nouvelle dans le moment où il les demandait.

>> Les contrastes du riant au beau, du grand à l'agréable, de l'agréable au mélancolique, ne donnent pas de vives émotions; mais ils plaisent, parce qu'ils répandent de la variété ; et il faut en répandre beaucoup dans votre ouvrage.

» Le contraste qui fera le plus d'impression, c'est celui du sublime et du terrible, avec le riant et le beau; mais il faut rarement en faire usage : 1.0 parce que ce contraste est rare dans la nature ; parce que le premier effet du sublime est l'étonnement, et que si le sublime devient fréquent, il n'étonne plus.

2.0

» Il ne faut employer ce genre de beautés que pour réveiller de temps en temps la sensibilité du lecteur. Après avoir éprouvé de la crainte, une sorte de peine, de l'étonnement, il se trouvera plus sensible; il recevra plus vivement les impressions agréables.

>> Je crois qu'au milieu des descriptions, on peut placer quelquefois, mais rarement, des tableaux qui rassembleraient une foule d'images voluptueuses et terribles, qui agiteraient l'âme en sens contraire, et la feraient passer rapidement du plaisir à la douleur : tel serait le tableau d'un bataille livrée dans le printemps, et au milieu d'une plaine enrichie et parée de tous les présens de cette saison,

» Une suite de descriptions champêtres las

serait l'attention du lecteur le plus amoureux de la campagne. Après avoir parcouru votre galerie de paysages, il demandera des tableaux d'histoire ; il s'ennuiera de vous suivre dans vos solitudes; il voudra voir l'homme, et quelque fois le voir en action.

» Il faut donc placer dans les paysages et dans les intervalles l'homme champêtre, ses mœurs, ses travaux, ses peines et ses plaisirs. >> Il n'y faut pas placer de malheureux paysans; ils n'intéressent que par leurs malheurs ; ils n'ont pas plus de sentimens que d'idées; leurs mœurs ne sont pas pures; la nécessité les force à tromper: ils ont cette fourberie, cette finesse outrée que la nature donne aux animaux faibles, et qu'elle a pourvus de faibles armes. Parlez d'eux, mais ne les mettez que rarement en action, et surtout parlez pour

eux.

» Il y a dans les campagnes de riches laboureurs, des paysans aisés; ceux-là ont des mœurs. Ce sont, dit Cicéron, des philosophes auxquels il ne manque que la théorie: la pein

ture de leur état et de leurs sentimens doit plaire à l'homme de goût, c'est-à-dire à l'honnête homme éclairé et sensible.

» On doit assortir les épisodes aux paysages. » Il y a de l'analògie entre nos situations, les états de notre âme, et les sites, les phénomènes, les états de la nature.

» Placez un malheureux dans un pays hérissé de rochers, dans de sombres forêts, auprès des torrens, etc.; ces horreurs feront une impression qui doit s'unir aux impressions de terreur ou de pitié qu'inspire le malheureux, et augmenter l'émotion du lecteur.

» Placez des jeunes gens amoureux sous de rians berceaux, sur des fleurs, dans un pays heureux, sous un ciel pur et serein, etc.; les charmes de la nature ajouteront au sentiment voluptueux qu'inspirent les tableaux de

l'amour.

» Il y a d'autres analogies, mais elles se présenteront à tout le monde; et il suffit d'indiquer cette source négligée de beautés nouvelles.

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