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retour du printemps pour recommencer une lutte à laquelle chacun d'eux se préparait avec une inégale activité. Le gouvernement français, encore effrayé des revers essuyés sur les bords du Rhin, occupé presque exclusivement du soin de les réparer, semblait négliger et laisser dans un coupable oubli les vainqueurs de Loano. Le dénûment affreux dans lequel se trouvait l'armée de Schérer avait empêché ce général de tirer de sa victoire le parti convenable : l'habillement, les vivres, les munitions (sans parler de la solde, qu'on ne connaissait plus depuis longtemps), manquaient a la fois, et il devint nécessaire d'employer les moyens de la discipline la plus sévère pour empêcher les soldats de se livrer à tous les excès qui sont la suite naturelle de la faim et de la misère. Leur séjour dans un pays ennemi, ou chez un peuple que la force seule et la crainte maintenaient dans un état de neutralité apparent, était peu propre à reposer ces mêmes soldats de leurs fatigues. Affaiblie encore par ses derniers succès mêmes, l'armée d'Italie n'avait reçu que de faibles renforts. Au moment où le retour des beaux jours annonçait l'ouverture de la campagne, cette armée, appelée à de si glorieux destins, ne montait pas à plus de 34,000 combattants en ligne1. Lorsque le Directoire montrait une telle indifférence pour une armée qui avait vengé les revers éprouvés sur le Rhin en 1795, les Autrichiens, au contraire, venaient de faire de grands efforts pour augmenter leurs troupes dans cette partie du théâtre de la guerre.

En effet, victorieuse de Pichegru et de Jourdan, l'Autriche avait senti qu'il était important de tourner son attention vers l'Italie, menacée par la défaite de ses généraux à Loano. Les trois mois d'hiver avaient été employés par elle à concentrer et

'Les historiens varient singulièrement sur le nombre d'hommes qui formaient à cette époque l'effectif de l'armée d'Italie. Les étrangers, et notamment le général Graham, portent ce nombre jusques à 85,000 hommes, ce qui est d'une exagération bien impudente. Le général Jomini, qui aurait été plus que tout autre à portée de vérifier la situation de cette armée, a consulté des documents inexacts, quand il avance que sa force active était d'environ 42,000 hommes, dont il présente le tableau. Nous avons eu sous les yeux une situation, corps par corps, signée A. Berthier, qui ne donne que l'effectif que nous venons d'établir dans notre narration. Cette situation est à la date du 6 avril 1796.

à accroître ses moyens de défense. Tandis qu'elle envoyait dans le Piémont des troupes fraiches, ses agents parcouraient l'Italie pour susciter aux Français de nouveaux ennemis dans les petits États qui divisent cet ancien domaine des vainqueurs du

monde. Une nouvelle coalition de tous les souverains d'Italie contre la France fut le résultat des intrigues de ces agents. Le roi de Sardaigne, déjà uni avec l'Autriche, avait promis de doubler son contingent, qui devait être porté à 60,000 combattants, sans compter les milices armées et sur pied, s'élevant à 30,000 hommes. Le roi de Naples, Ferdinand IV, naturellement indolent, parut d'abord peu disposé à seconder les vues et les demandes de l'Autriche; mais ce prince, par l'effet même de son caractère, était entièrement dominé par la reine son épouse; et cette reine, parente de l'empereur d'Allemagne, et sœur de la dernière reine de France, devait naturellement partager tous les sentiments de haine que l'Autriche montrait contre la république française. Animée par le désir de se venger d'un peuple qui avait osé faire tomber la tête de sa sœur sur l'échafaud; fière, impérieuse et dévorée d'ambition, elle n'eut point de peine à décider son mari à une coopération efficace, et Ferdinand, qui déjà avait fourni des troupes et des vaisseaux contre la France, venait de prendre l'engagement de mettre sur pied une armée de 60,000 hommes. Sur contingent, plusieurs mille hommes de cavalerie étaient déjà réunis aux troupes autrichiennes en Lombardie, et 40,000 hommes se rassemblaient en deux camps sur les frontières du royaume de Naples, et devaient se mettre en marche au premier signal.

ce

Il n'avait pas été difficile aux Autrichiens d'amener le pape à faire partie de la coalition: il semblait naturel que la cour de Rome ne restât pas neutre dans une guerre que tous les princes chrétiens annonçaient n'avoir entreprise que pour venger la mort d'un' roi regardé à Rome comme un martyr. Le saintpère s'était même déclaré précédemment en faveur de la coalition d'une manière conforme aux usages de sa cour. Pour encourager l'empereur à soutenir la coalition de toutes ses forces, Pie VI lui avait envoyé une médaille d'or, qui portait l'empreinte de saint Pierre et de saint Paul, en lui recommandant

de combattre au nom de ces deux vaillants soldats du Christ. Mais le zèle de la cour de Rome s'était accru par l'aspect du danger, le pape, pour détourner le torrent révolutionnaire près d'envahir l'Italie sous la conduite des Français, s'étant décidé, cette année, à servir la coalition autrement que par des prières et des distributions d'agnus. Les envoyés autrichiens lui avaient fait promettre de fournir un contingent de 20 à 30,000 hommes; et quoique la bravoure des soldats du pape ne fùt pas aussi renommée que leur piété, les coalisés espéraient que l'exemple du saint-père, armant lui-même pour la cause commune, échaufferait le zèle des autres États italiens, et allumerait le feu du fanatisme religieux contre les Français républicains.

Seul d'entre tous les princes d'Italie, le grand-duc de Toscane, qui, dès l'année précédente, avait fait sa paix avec la France, continuait à montrer la résolution de garder une neutralité absolue; mais les ducs de Parme et de Modène, que leur position rendait trop voisins du théâtre de la guerre, n'osant point s'exposer aux dangers d'une déclaration publique en fournissant des troupes, avaient au moins voulu prouver leur zèle en faveur de la coalition, en venant à son secours par des contingents d'argent et de munitions.

Il en était à peu près de même des gouvernements de Gênes et de Venise. Quoique ces deux États eussent, par leur constitution, quelques rapports avec celle qui régissait la république française, cependant les nobles de ces deux pays montraient peut-être, pour les principes révolutionnaires, plus de répugnance que les princes coalisés. D'autant plus attachés à la forme de leur gouvernement, qu'elle leur donnait la facilité de jouer dans leur pays le rôle de souverains, ils craignaient que l'approche des Français, en appelant le peuple à la liberté, ne brisât le joug arbitraire sous lequel ils tenaient leurs concitoyens comprimés. Cependant les nobles de Gênes se trouvaient dans une situation qui leur permettait peu de laisser agir la haine secrète qu'ils portaient aux partisans de la révolution. Placé au milieu des armées belligérantes, le territoire de cette république appartenait, pour ainsi dire, au vainqueur : rien ne pouvait cmpêcher ce dernier d'occuper la ville elle-même, si cela eût été

à sa convenance. Les Anglais, en 1793 et 1794, avaient déjà pris l'initiative en violant la neutralité du port; l'envoyé de la république française laissait même entrevoir le dessein d'exécuter cette occupation, et proposait au sénat de Gênes de l'éviter, en prêtant trente millions à son gouvernement, et en souffrant des garnisons françaises dans les forts de la côte. Les nobles génois, malgré toute leur envie, ne pouvaient donc témoigner leur attachement à la coalition que par des vœux secrets. Ils savaient d'ailleurs que, parmi le peuple, il se trouvait un grand nombre de citoyens riches, infatués des idées révolutionnaires, et ils redoutaient de les voir s'unir contre eux aux Français, si jamais ceux-ci s'approchaient de leur ville. Toutes ces considérations obligeaient le gouvernement génois à se tenir sur ses gardes, et à montrer au moins toutes les apparences d'une neutralité scrupuleuse. Venise, dont les intérêts étaient les mêmes, mais qui se trouvait plus heureusement située en raison de son éloignement, croyait n'avoir jamais rien à craindre des entreprises de la France. Elle ne cachait donc pas la haine qu'elle portait aux auteurs de la révolution; mais, fidèle au système de conduite qu'elle gardait depuis longtemps avec l'Autriche, elle ne favorisait cette puissance qu'imparfaitement.

Il résulte de cet état de choses que l'Italie, au moment de l'ouverture de la campagne, offrait une masse de forces considérable à opposer à celles dont les Français pouvaient se servir. Les différents contingents des États italiens pouvaient former un total de 150,000 hommes, qui n'étaient pas, vérité, tous préparés à faire une guerre active, mais parmi lesquels il était cependant facile de trouver d'utiles auxiliaires. L'Autriche venait de remplacer le général Dewins, tombé en disgrâce depuis sa défaite à Loano. Beaulieu avait été nommé par elle pour lui succéder et prendre le commandement en chef de toutes les forces destinées à agir pendant la campagne. Ce général, connu avantageusement par de nombreuses preuves de courage, et par quelques actions qui, dans les batailles précédentes, et surtout à la bataille de Fleurus, avaient donné une haute idée de ses talents militaires, se trouvait alors dans sa soixante-seizième année. En le proposant pour être mis à la tête des forces alliées en Italie, le conseil aulique avait pensé

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