Images de page
PDF
ePub
[blocks in formation]

LIBRAIRIE DE GUILLAUMIN ET Cie, ÉDITEURS

De la Collection des principaux Economistes, des Économistes et Publicistes contemporains,
de la Bibliothèque des sciences morales et politiques, du Dictionnaire
de l'Économie politique, du Dictionnaire universel du Commerce et de la Navigation, etc.

RUE RICHELIEU, 14.

1863

[ocr errors]

JOURNAL

DES

ÉCONOMISTES

APERÇU DE L'ANNÉE 1862

Cette année 1862, vide de grands événements économiques, sauf la grande Exposition de Londres, et qui s'est passée dans de perpétuelles incertitudes, se termine sous une impression pénible. Affreuse misère à Rouen et dans les environs, où plus de 130,000 ouvriers ont cessé de pouvoir nourrir leurs familles, continuation de la crise en Angleterre, expédition coûteuse et sans résultat au Mexique, lutte sanglante, stérile, funeste à tous les points de vue aux États-Unis, voilà le bilan de la situation, voilà la lourde succession que l'année qui finit lègue à l'année qui commence. Lorsque nous jetons un regard d'adieu sur l'année 1862, nous sommes partagés entre le sentiment de ce vide et celui de la tristesse. Le Journal des Économistes a donné plus d'une preuve de sa foi persévérante dans le progrès. Il a rompu plus d'une lance en sa faveur. Mais le spectacle qui frappe nos yeux, sans être de nature à décourager, atteste combien l'optimisme serait peu de mise aujourd'hui. La solidarité des peuples, qui se témoigne par tant de bienfaits, se fait sentir à nous de la manière la plus douloureuse. L'Amérique, en se déchirant, nous fait autant de mal que nous nous en sommes fait à nous-mêmes à d'autres époques. Le navrant tableau des souffrances du Lancashire, de la Belgique, de l'Alsace et surtout de la Seine-Inférieure, atteignant de grandes masses d'hommes et, avec eux, d'enfants et de femmes qu'ils nourrissaient, est de nature peut-être à faire réfléchir un peu les complaisants philosophes qui trouveraient le 15 janvier 1863.

3 SÉRIE. T. XXXVII.

1

monde tout près de la perfection au XIXe siècle. La charité privée est-elle du moins dans notre pays à la hauteur de sa mission? Les classes aisées et riches approchent-elles de la limite des sacrifices qu'elles pourraient s'imposer et du chiffre rigoureusement exigé pour que le secours donné aux ouvriers ne soit pas d'une misérable insuffisance? C'est, à Rouen, environ une dizaine de millions qu'il faudrait, dit-on, pour obtenir, au profit de cent mille familles ouvrières sans ouvrage, de quoi subvenir à leurs plus pressants besoins pendant trois ou quatre mois; les sommes recueillies dans la Seine-Inférieure ne dépassent pas beaucoup quatre cent mille francs, et à Paris deux cent mille. Ce dernier chiffre est de la plus triste éloquence. Nous ne voudrions pas d'ailleurs qu'on crût que nous accusons nos riches manufacturiers de s'en tenir là. Plus d'un a eu à supporter, dans l'industrie du coton, de lourds sacrifices, en faisant travailler au delà même de la demande. C'est celle-ci, chose remarquable, qui fait défant sous l'influence d'un certain accroissement de prix et de la gêne, plus encore que la matière première. Pendant ce temps, le nord des États-Unis, qui, quoi qu'on en ait pu dire pendant le cours de cette année, où les conversions au Sud se sont beaucoup multipliées, représente aux yeux du vieux monde la démocratie libérale et la cause antiesclavagiste, le Nord éprouve des échecs, et l'on se demande avec une croissante inquiétude quand finira la guerre américaine. Verrons-nous bientôt du moins se terminer celle du Mexique? Il est difficile de ne pas se dire qu'une parcelle des millions qui s'y engloutissent eût pu faire tant de bien! Combien n'est-il pas à regretter que la gloire du nom français se trouve engagée aujourd'hui dans ces lontaines régions!

Nous n'avons, on le voit, nulle envie d'entonner des hymnes. Pour aujourd'hui, il n'y a pas lieu. La paix, dont nous appelons l'avènement durable, n'en donne point des signes prochains. Rarement le monde a été plus troublé. Les ferments ne manquent ni à la Chine, ni à la Cochinchine, ni au Japon, ni à l'Inde, ni à l'empire ottoman, ni à la Grèce, ni à l'Espagne, ni à l'Italie, ni à l'Allemagne, ni au reste du monde. En même temps, ce qu'ont englouti d'hommes les campagnes de Crimée et d'Italie ôte un peu de leur valeur aux nouvelles opinions touchant les guerres « devenues de moins en moins meurtrières. » Nous sommes encore à attendre la vérification de ce nouvel axiome que les machines de destruction, plus efficaces tuent moins que les anciens procédés. Jusqu'ici ce paraît être tout le contraire. Dieu nous garde pourtant de cesser de croire dans ce lent et imparfait, mais précieux

« PrécédentContinuer »