Images de page
PDF
ePub

politique et l'absence de toute influence étrangère sur ses décisions, sont du plus grand poids quand il s'agit d'établir cette confiance, qui par la garantie qu'elle donne aux belligérants que leurs intérêts ne seront pas compromis, contribue plus que toute autre chose à faire respecter la neutralité. Il existe dans le droit public de l'Europe des documents très remarquables qui montrent toute l'importance que les Puissances attachent à cette condition, et les événements ont prouvé plus d'une fois que là où elle n'existait pas, la neutralité, quoique formellement proclamée, a été méconnue. Rappelons à cet égard la déclaration des Puissances alliées publiée le 21 Décembre 1813, au moment où leurs armées allaient entrer sur le territoire de la confédération helvétique qui venait de proclamer sa neutralité. Voici quelques passages de cette déclaration dont le but est d'exposer les motifs qui portèrent les Cabinets à ne pas respecter la détermination que le directoire suisse avait prise (1). « La marche » irrésistible d'une guerre sur le caractère et le but de laquelle » il ne peut plus exister deux manières de voir parmi tous les » contemporains justes et éclairés; la nécessité de consolider » les heureux résultats qu'on a obtenus jusqu'à ce jour et le » désir d'atteindre, par les moyens les plus prompts et les plus énergiques, le but qu'on s'est proposé, une paix solide et durable, ont conduit sur les frontières de la Suisse les armées » des Souverains alliés et les forcent, pour la continuation de >> leurs opérations, de traverser une partie du territoire suisse. » Aux yeux du monde cette démarche est peut-être suffisam»ment justifiée par la nécessité qu'impose une entreprise dont » la justice est généralement reconnue; cependant une con

[ocr errors]
[ocr errors]

(1) Ce document important à plus d'un titre et surtout à cause des principes de droit public, qui y sont exposés, se trouve dans SCHOELL, Recueil de pièces officielles, etc., Paris 1814, tome II, p. 8 et suiv.

» sidération d'une si haute importance ne paraitrait pas suffi>> sante aux Puissances alliées, si la Suisse se trouvait dans » une situation qui lui permit d'opposer aux progrès de leurs » armes une neutralité légitime et véritable. Mais la Suisse est » si peu dans ce cas que tous les principes du droit des gens » autorisent à regarder comme nul ce qu'aujourd'hui elle appelle » sa neutralité.

>> Les Puissances alliées contestent si peu le droit de chaque » État indépendant de fixer, à son gré et suivant ses lumières, » ses rapports avec les États voisins, que c'est principalement » pour le maintien de ce droit qu'elles ont pris les armes. L'État, même le moins considérable, ne doit pas être géné » dans le choix des mesures politiques qu'il a à prendre, » aussitôt qu'il est capable de se déterminer librement et sans » influence étrangère; et si, dans une lutte entre deux voisins plus puissants que lui, il se déclarait neutre, toute violation » de son territoire serait une infraction au droit des gens.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

» Mais il ne peut pas exister de véritable neutralité pour un État tant qu'il ne jouit pas d'une véritable indépendance. La prétendue neutralité d'un État qui n'est pas accidentellement dirigé, mais qui est régulièrement gouverné par une volonté étrangère, est pour lui-même un mot vide de sens, pour ses » voisins une épée à deux tranchants, tandis qu'elle assure à » l'État dont il porte les fers, un avantage permanent sur ses » adversaires et un moyen immanquable d'exécuter ses desseins. Lorsque par conséquent dans une guerre dont le but précis » et unique est de mettre des bornes à une prépondérance me» naçante, cette neutralité fictive sert de rempart à l'injustice » et devient un obstacle pour les projets de ceux qui veulent » établir un meilleur ordre de choses. Elle doit disparaitre en » même temps que la source du mal, qu'elle protége.

[ocr errors]

Une

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

» déclaration de neutralité qui découle d'une telle source perd » tout droit au nom dont elle veut se parer. Si la puissance prépondérante est menacée d'un danger imminent, une neu»tralité de ce genre est pour elle d'un avantage plus grand qu'une coopération effective à ses mesures de défense; car il » est évident que cette Puissance ne la permettra que tant qu'elle lui sera profitable et que dans le cas contraire elle sera » annulée aussi facilement qu'elle avait été créée. Elle n'est » pour les Puissances qui veulent mettre un terme aux convul»sions et aux malheurs du monde, qu'une tentative maladroite, imaginée pour entraver l'entreprise la plus salutaire et la plus » glorieuse et par conséquent un acte d'hostilité, non seulement >> contre les Souverains alliés, mais même contre l'intérêt, les » besoins, les vœux les plus ardents, l'attente la plus vive de >> tout le genre humain. L'interprétation la plus équitable qu'on » puisse lui donner relativement à la Suisse elle-même, c'est » que le maintien de la situation politique actuelle de ce pays, » dans l'espérance de se soustraire à un fardeau passager et de s'épargner quelques sacrifices momentanés, tendrait à con» damner la Suisse à se priver pour toujours de ce qui doit lui » être le plus sacré, à vivre dans une minorité perpétuelle et » dans une servitude interminable. »

Un autre point fort essentiel pour assurer le maintien de la neutralité, c'est l'organisation intérieure du pays neutre. Il faut qu'elle soit de nature à offrir des garanties pour le maintien de l'ordre, pour la force et le respect du pouvoir, pour la conduite légale et régulière des affaires publiques. Plus l'existence de ces biens suprêmes dans l'ordre politique est consolidée par les lois, par les mœurs de la nation et par le caractère de ceux qui la gouvernent, plus l'État a de chances de voir respecter sa neutralité. Parmi les actes du congrès de Vienne il se trouve

une transaction, qui prouve combien cette manière de voir est celle des cabinets de l'Europe, et ce sont encore les affaires de la Suisse qui ont donné lieu à la manifester. En 1814, un comité composé des plénipotentiaires des cinq Puissances réunies en congrès fut institué, afin de régler la nouvelle position de ce pays dans le système européen. Un des premiers actes de ce comité fut de poser en principe qu'en retour des avantages qu'on était disposé à accorder à la Suisse en renfonçant par des arrondissements territoriaux la ligne de la défense militaire et en assurant la neutralité perpétuelle du corps helvétique, les Puissances avaient le droit de demander à cet État une garantie suffisante pour opérer dans l'esprit des monarques la conviction que les institutions que les Suisses s'étaient données, étaient propres à maintenir leur tranquillité intérieure et par cela même à faire respecter la neutralité de leur territoire (1).

Cette garantie la Belgique la présente d'une manière bien plus complète que la Suisse. Si l'on voulait sous ce rapport établir un parallèle entre les deux pays, le résultat de la comparaison serait bien à l'avantage de la Belgique. Il existe dans la constitution et dans l'organisation intérieure de la Suisse des vices, qui rendraient, de l'aveu des hommes les plus compétents, le maintien de sa neutralité très difficile (2). C'est d'abord l'incorporation de la principauté de Neufchâtel dans la confédération, sous la forme et au titre d'un canton. Ce pays, quoique appartenant à la Prusse, a été jeté au milieu des autres cantons tous organisés en républiques, et diffère d'eux par son droit public et par ses institutions. Son souverain, bien qu'étranger

(1) Voyez Actes du congrès de Vienne, tome V, et SCHOELL, Histoire des traités, etc., tome. III, p. 404, éd. de Bruxelles.

(2) Voyez le travail déjà cité de Mr. ZSOCKKE sur la confédération helvétique, dans le Staatslexikon de ROTTECK et WELCKER, t. IV, p. 623 à 627.

à la confédération helvétique, exerce cependant une action et une influence fort directe sur cette dernière, par le droit qu'il posséde d'y faire siéger à la diète un de ses sujets comme représentant du Neufchâtel. La Prusse se trouve ainsi investie d'une prérogative, que n'ont ni l'Autriche ni la France, prérogative, qui, dans certaines éventualités données, peut devenir préjudiciable à l'une ou l'autre de ces Puissances, et compromettre gravement la neutralité de tout le corps helvétique au premier conflit sérieux entre la France et l'Allemagne. Mais ce n'est pas là la seule difficulté que rencontrerait l'observation 'de cette neutralité, il y en a encore d'autres qui proviennent principalement de la faiblesse extrême du lien fédéral, tel que l'organisation intérieure de la Suisse l'a formé. La constitution de 1815, en maintenant la souveraineté particulière et propre de chaque canton dans des limites fort étendues, a autorisé en quelque sorte la prépondérance de l'intérêt cantonnal sur l'intérêt général. L'esprit de clocher, des vues étroites, des jalousies locales, des rivalités de toutes espèces, le peu de dispositions qui existe dans la plupart des cantons à faire des sacrifices dans l'intérêt de la communauté, la haine des partis, leur vivacité et leur aveuglement, voilà des faits dont l'existence n'a jamais pu être niée, qui ont été démontrés encore par des événements récents et qui, dans une crise européenne, pourraient apporter les plus grands obstacles au maintien de la neutralité de toute la confédération. Ajoutez à cela l'absence d'une autorité centrale forte et généralement respectée, l'impossibilité d'établir un pouvoir unique investi d'attributions étendues et suffisantes pour concentrer et diriger les efforts de toute la nation, la constitution défend toute espèce de dictature et il faut reconnaître qu'au milieu d'une situation difficile, d'un danger imminent augmenté par la diversité, pour ne pas dire,

« PrécédentContinuer »