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CHAPITRE II.

DES VOYELLES PURES.

17. On appelle voyelle un son produit par le simple jet, par la simple émission de la voix, comme a, o, u. Il y a sept voyelles en français: a, e, i, o, u, eu, ou. Toutes les voyelles peuvent se prononcer seules, sans le secours d'aucun autre son.

Le latin avait cinq voyelles a, e, i, o, u, prononcées comme en français, sauf e qui se prononçait comme notre è ouvert (dans après, cyprès) et u qui se prononçait ou (et qui a gardé cette prononciation en français dans loup de lupum, ours de u rsus, etc....). Aux voyelles latines, le français a ajouté trois sons inconnus aux Romains é fermé (dans aimé, pré, etc.), eu, et enfin notre son moderne u qui remonte à peu près aux temps mérovingiens, et qui est un adoucissement du son latin classique écrit u et prononcé ou.

Sans faire ici l'histoire complète du passage des lettres latines en français (pour laquelle je renvoie le lecteur à mon Dictionnaire étymologique), un court aperçu du sort de chaque voyelle latine accentuée en français est indispensable pour l'intelligence de ce qui va suivre.

De même qu'en français les voyelles sont longues (comme dans gite) ou brèves (comme dans petite), en latin il faut distinguer aussi les voyelles brèves (comme è dans pè dem), longues (comme ē dans rē gem), et en outre les voyelles placées devant deux consonnes (comme e dans terra); ces trois espèces différentes de voyelles donnent en français trois sons différents : en latin, ě bref par exemple donne ie (pied de pe dem), tandis que è long donne oi (roi de regem), et que e appuyé sur deux consonnes reste e (terre de terra).

VOYELLES LATINES BRÈVES: a latin devient e ouvert sel de săl, mer de măre, fève de făba. ĕ latin devient ie: pied de pědem, lièvre de leporem, piége de pedica, fier de ferum.i latin devient oi poil de pilum, poire de pirum, soit de sit, foi de fidem. o latin devient eu: neuf de novum, neuf de novem, meule de molla, Meuse de Mosa. - ŭ latin garde sa prononciation romaine ou : loup de lupum, joug de jugum, couve de cubo, où de йbi.

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VOYELLES LATINES LONGUES: a latin devient é fermé: aimé de amātum, pré de prātum, abbé de abbatem, vérité de veritatem. ē latin devient oi : moi de mẽ, toile de tēla, voile de vēlum, roi de regem. ī latin reste i en français : nid de nīdum, vin de viuum, ami de amicum, si de sic. ō devient eu : fleur de florem, seul de solum, heure de hōra, sauf devant les lettres m, n où il reste o : couronne de corona, don de dōnum, — ū latin s'adoucit en français, perd le son ou et donne notre u moderne : nu de nudum, pur de púrum, mur de mūrum, dur de durum. VOYELLES LATINES SUIVIES DE DEUX CONSONNES: a latin persiste : arbre de arbor, an de annum, arc de arcum, chant de cantum. e persiste terre de terra, fer de ferrum, herbe de herba, téte de testa. i latin devient ē ouvert sec de siccum, ferme de firmum, elle de illa, verge de virga. - o latin persiste mol de mollis, port de portum, mort de mortem, cor de cornu. u latin garde sa prononciation romaine ou : d'où de unde, ours de ursum, sourd de surdum, mouche de muscam, tour de turrim.

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18. Toutes les voyelles peuvent être brèves ou longues, suivant qu'on les prononce vite ou lentement; ainsi a dans patte est bref parce qu'on le prononce rapidement, tandis qu'il est long dans pâte. De même : e est long dans bête et bref dans jette

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Λ

toute

On indique ordinairement les voyelles longues en français par le signe que l'on appelle accent circonflexe, et que l'on place sur toutes les voyelles, sauf sur la voyelle eu qui reste sans marque spéciale, témoin heure, fleur, honneur, dans lesquels eu est long sans être marqué d'aucun signe qui le distingue de eu bref (dans jeu, feu, etc.).

L'accent circonflexe a été introduit en français par nos grammairiens du seizième siècle, qui l'avaient emprunté aux Grecs. Il

sert ordinairement à marquer la suppression d'une lettre. Ainsi le latin testa, bestia, festa, donna à l'origine le vieux français teste, beste, feste; cet s fut prononcé jusqu'au quatorzième siècle, puis il disparut, mais en allongeant la voyelle qui le précédait, et on eut alors la prononciation en é : bête, fête, téte. Cependant, bien qu'il ne se prononçât plus, cet s persista plusieurs siècles encore dans l'écriture; toutes les éditions du Dictionnaire de l'Académie française, jusqu'à la fin du dix-huitième siècle, écrivent encore beste, feste, teste, et Bossuet, Racine, Boileau, etc., n'écrivaient pas autrement. Dans la première édition de son Dictionnaire (1694), l'Académie blåmait l'emploi de l'accent circonflexe, et elle ne céda sur ce point que plus de cent ans après.

19. Il est assez difficile de dire dans quels cas précis on sait en français qu'une syllabe est brève ou longue; il y a cependant une règle pour toutes les avant-dernières syllabes: elles sont ordinairement brèves quand elles sont suivies d'une consonne double: patte, butte, trompette, belle, etc., sauf quand cette consonne double est rr: terre, serre, verre, qui sont longs.

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20. Des sept voyelles a, e, i, o, u, eu, ou, les cinq premières sont représentées en français par une seule lettre; notre langue n'a pu exprimer les deux dernières (eu, ou), qu'en composant un groupe formé de deux lettres e et u,· o etu: ces voyelles ne sont composées qu'en apparence pour les yeux, mais non pas pour l'oreille, à laquelle elles offrent un son unique, eu, ou, aussi simple que celui de a ou de o.

21. Il n'y a rien à remarquer sur a et i; mais e, o, et eu nécessitent quelques observations.

22. La lettre e sert à marquer en français trois sons tout à fait différents et qu'on devrait en réalité considérer comme trois voyelles distinctes. E possède en effet :

1o Un son très-ouvert que l'on entend dans terre,

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·

mer, enfer, succès, procès-et qui se forme en ouvrant fortement la bouche. On appelle cet e l'e ouvert; on le distingue ordinairement par le petit signe que l'on appelle accent grave et que l'on place sur l'e (frère, père, succès, procès), -sauf quand l'e est suivi de deux consonnes (comme dans : peste, reste, fresque) ou qu'il termine le mot et est suivi d'un r sonore (comme dans: fer, ver, amer, cher, cancer, hier, hiver, enfer). Ce son de e ouvert est aussi rendu tantôt par (comme dans: clair, éclair, pair, chair, aire, — qui se prononcent réellement clère, père, chère, ère), tantôt par ei (comme dans: veine, peine, Seine, que l'on prononce vène, pène, scène). Nous avons ici quatre manières (e, è, ai, ei) d'écrire le même son de e ouvert.

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ai

2o Un son aigu que l'on appelle e fermé et que l'on entend dans : aimé, bonté, santé, et dans tous les mots terminés en er lorsque r y est muet: verger, rocher, parler, aimer. Cet e se forme en fermant fortement la bouche; il se marque ordinairement par le signe que l'on appelle accent aigu. Il faut noter que e fermé est toujours bref, et ne peut pas être long comme l'e ouvert (qui est bref dans fer et long dans tempête).

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3o Un son sourd d'une nature particulière que l'on appelle e muet parce qu'il est le plus faible de tous nos sons français : c'est cet e que l'on entend à peine dans venir, tenir, et qui devient tout à fait nul dans appeler, élever, pèlerin, charretier, que nous prononçons en réalité ap'ler, él'ver, pèl'rin, char'tier. L'e muet ne porte jamais d'accent.

et

Nous avons vu au § 17 que l'e des Romains était un è ouvert, que la création de l'e fermé et de l'e muet était propre au français. Nous avons vu également au § 17 de quelles voyelles latines viennent en français e fermé et e ouvert. Quant à l'e muet, il

provient de toutes les voyelles latines non accentuées; ainsi a, e, i, o, u latins non accentués peuvent tous s'assourdir en français en e muet, comme on le voit par rose de ros am, frère de fratrem, aime de amo, temple de templum.

Pour l'origine de l'accent grave et pour celle de l'accent aigu, voy. au S 56.

23. Rien à remarquer sur o bref (dévote, note); mais ó long (apôtre, notre) a pour analogue au, eau. De même que le son de è ouvert est exprimé à la fois par è (succès), e (enfer), ai (clair), ei (Seine), le son de ó long est exprimé en français à la fois par ó (vôtre, apótre) et par au ou eau (comme dans vautrer, ép eau tre, autel, beauté).

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Le latin alter, alba, palma, bellum, devint d'abord altre, albe, palme, bel, dans notre vieille langue, qui plus tard adoucit l en u, d'où autre, au be, pau me, beau, dans lesquels au, eau sont prononcés o (de même que le latin au lui aussi a été prononcé puis écrit o en français dans or de aurum, clos de clausus, chose de cau sa, etc.).

24. Comme è ouvert et comme ố, la voyelle eu est un simple son qui est représenté en français par trois formes différentes, savoir : eu (comme dans heure), œu (comme dans bœuf, sœur, œuf), œ (comme dans oil), et enfin ue (dans accueille, cueille, org ueil, etc..., qui se prononcent comme s'ils étaient écrits: accœuille, cauille, etc...).

On a vu au S 17 que o bref latin devient eu en français, comme dans neuf de novem; mais entre o et le français eu il y a les intermédiaires du français du moyen âge, qui sont ue au onzième siècle, puis oe au douzième, eu au quatorzième, comme on peut le voir dans mon Dictionnaire étymologique. Ainsi novem donna successivement nue f au onzième siècle, noef au douzième, neuf au quatorzième. Quelques mots, comme acc ue illir, sont restés à l'étage ue et n'ont pas suivi la transformation en eu; d'autres, comme ca il, sont restés à l'étage oe contracté en a; enfin les mots comme bœuf, sœur, etc., sont un compromis entre l'orthographe du douzième siècle en oe, et celle du quatorzième en eu. De oe plus eu on a composé le groupe bizarre œu, qui a persisté dans les mots tels que sœur, cœur, etc.

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