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PREFACE.

En publiant cette nouvelle grammaire destinée à l'enseignement pratique du français dans les classes élémentaires de nos lycées 1, je n'ai point à justifier le sous-titre qui l'accompagne il est inutile aujourd'hui d'insister sur le rôle nécessaire de l'histoire dans l'enseignement usuel des langues:

L'usage présent, dans toute langue, dépend de l'usage ancien et ne s'explique que par lui; dès lors quoi de plus naturel que de faire servir l'histoire de la langue à l'explication des règles grammaticales, en remontant depuis l'usage actuel jusqu'au moment où elles ont pris naissance? Outré l'avantage d'être rationnelle, la méthode historique en possède un autre : la mémoire retient toujours plus nettement ce dont notre esprit s'est rendu compte, et l'enfant se rappellera d'autant mieux les règles de la grammaire qu'elles auront 'déjà un point d'appui dans son intelligence. C'est cette méthode que les Allemands, toujours attentifs à éveiller le ju

4. Je publie simultanément à l'usage des enfants qui n'étudient pas les langues anciennes et des élèves des écoles primaires une seconde grammaire plus courte t tout à fait à la portée des commençants,

gement de l'enfant, emploient depuis longtemps dans leurs écoles pour l'enseignement de leur langue nationale. C'est la méthode inverse qui avait été suivie en France. jusqu'à ce jour. Au lieu d'intéresser l'enfant en lui donnant la raison de chaque règle, et l'explication de tous ces faits grammaticaux, si souvent en apparence bizarres ou incohérents, on lui avait présenté la grammaire française comme les articles indiscutables d'un code pénal, qu'il devait appliquer sans les raisonner ni les comprendre. En réduisant ainsi la grammaire au rôle d'un insipide procès-verbal de l'usage, en ne faisant appel dans cet enseignement, tout mécanique et passif, qu'à la mémoire de l'enfant, au détriment de son intelligence, on avait fait d'une étude attrayante et curieuse un objet de dégoût et d'ennui.

Vainement, depuis vingt ans, bien des maîtres éminents, M. Egger à la Sorbonne, M. Baudry dans la Revue de l'Instruction publique, dénonçaient chaque année la stérilité d'un tel enseignement. Vainement, dans une enquête ouverte en 1861 par l'administration sur les résultats de l'enseignement grammatical, 243 instituteurs sur 1207 avouaient courageusement que cette étude était à peu près stérile, et demandaient une réforme complète sans pouvoir la formuler1. Il ne fallut rien moins que la guerre de 1870 et

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4. Voy. sur les résultats de cette enquête, le Manuel général de l'instruction primaire (t. III, no 42, octobre 1866). Voici quelques passages extraits des mémoires des instituteurs : « A un enseignement mécanique il faut substituer un enseignement rationnel (Eure). On apprend trop par cœur (Calvados). Les élèves récitent, mais n'exercent point leur intelli-. gence (Ardèche). Le paysan sent que l'instruction est mal dirigée, qu'elle n'est pas assez pratique (Bas-Rhin). L'enseignement est trop abstrait (Doubs). Les méthodes étant défectueuses, les parents considèrent l'enseignement comme inutile (Pas-de-Calais). — Que l'enseignement devienne plus pratique (Somme). — L'enseignement est trop abstrait (Dordogne). · L'enseignement est trop obscur (Nord). L'enseignement actuel est trop théorique (Corrèze).

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le patriotique cri d'alarme de M. Bréal', pour provoquer sur ce point une refonte partielle des programmes et des méthodes universitaires. Dans sa circulaire du 8 octobre 1872, le ministre de l'instruction publique, M. Jules Simon, annonçait que « l'enseignement de la grammaire ne se bornerait plus désormais à l'étude purement mécanique des règles, mais que ces règles deviendraient pour le professeur matière à explications. » De toutes les réformes proposées par M. Jules Simon, ce fut peut-être la seule que maintint en l'accentuant, l'année suivante, le conseil supérieur de l'instruction publique. Par sa circulaire d'octobre 1873, qui rétablissait sur presque tous les points l'ancien état de choses, la commission du conseil supérieur, composée de Mgr Dupanloup et de MM. Egger et Patin, décida « que l'enseignement de la grammaire serait modifié, et que le professeur devait s'inspirer des recherches et des découvertes de la philologie comparée, pour donner aux élèves l'explication des règles préalablement apprises par cœur. »

Je n'ai donc point à défendre l'utilité de la méthode historique, puisque son application à l'enseignement du français est une doctrine officielle aujourd'hui. Mais elle ne s'est pas également imposée à l'opinion du public pédagogique, et bien des maîtres (oubliant qu'on doit toujours l'explication des choses qu'on enseigne) se refusent encore à l'adopter, soit par défiance de l'inconnu, soit par attachement aux vieilles méthodes. Leur argument décisif, c'est que l'explication de la grammaire française n'est autre chose, disent ils, que l'étude du vieux français, et que cette érudition est un objet de luxe pour des enfants qui ont tout juste sept années devant eux pour apprendre le nécessaire. Ces défenseurs des intérêts de l'enfance s'exagèrent assurément la perte de temps: un

1. Dans son beau livre : Quelques mots sur l'instruction publique. Paris, Hachette, 1872.

élève de septième apprend dans sa Grammaire française que notre langue forme son féminin en e ou son pluriel en s, ou qu'elle possède deux genres; il apprend dans sa Grammaire latine que les Romains avaient trois genres, ou qu'ils formaient leur féminin en a. L'année suivante, qui empêche le professeur de sixième de jeter un pont entre les deux idiomes, et de montrer à l'enfant comment les trois genres du latin se sont réduits à deux en français, ou que si notre langue forme son féminin en e muet (charmant, charmante), et non pas en u ou en o, c'est parce que le latin formait son féminin en a (bonus, bon; hona, bonne) et que notre langue change toujours cet a en e muet à la fin des mots (porta, porte; rosa, rose; bona, bonne) ?

Pourquoi le français forme-t-il son pluriel en s et non pas en ↳ ou en m? Parce que les substantifs français viennent de l'accusatif latin, qu'en latin la marque de ce cas était précisément un s au pluriel (rosas, les roses; nidos, les nids; dolores, les douleurs), tandis que l'absence de s était la marque du singulier (rosama, la rose; nidum, le nid; dolorem, la douleur).

Si la grammaire historique rend aisément compte des règles, elle éclaircit aussi facilement les exceptions. Pourquoi les noms en al font-ils leur pluriel en aux ? Parce qu'à l'ori gine de la langue les noms en al formaient régulièrement leur pluriel en als: au temps de Hugues Capet, un cheval, un mal, étaient au pluriel des chevals, des mals. Plus tard, au temps de saint Louis, cet / s'adoucit en u devant une consonne, et de même que Val Girard (le vallon de Girard) est devenu Vaugirard, et que les vieilles formes altre, albe, palme (du latin alter, alba, palma) sont devenues au tre, aube, paume, les terminaisons en als donnèrent aus, d'où des chevaus, des maus, qui sont plus tard devenus des chevaux et des maux, comme feu, bijou et caillou ont été feus, bijous et caillous avant d'être feux, bijoux et cailloux.

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