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qu'elle eut la facilité de s'étendre, et qu'elle fut protégée ouvertement par plusieurs empereurs.

Et dans son Siècle de Louis XIV, continue le libelliste, chapitre du Calvinisme, il dit que cette même Église, dès les commencements, bravait l'autorité des empereurs, tenant, malgré les défenses, des assemblées secrètes dans des grottes et dans des caves souterraines, jusqu'à ce que Constantin la tira de dessous terre pour la mettre à côté du trône. »

Il serait aussi étonnant que M. de Voltaire se fût exprimé ainsi, qu'il l'est de voir tant d'ignorance jointe à tant de mauvaise foi.

Est-ce pour offenser davantage M. de Voltaire que l'auteur lui prête son style? Heureusement personne ne s'y méprendra, et l'on reconnaîtra la fausseté de ses citations à la seule inspection.

M. de Voltaire n'a jamais dit que l'Église chrétienne fut assez libre dès les commencements; on sait que ce n'est pas ainsi qu'il écrit. Voici le premier passage défiguré par le libelliste, tel qu'il est dans le texte :

« Jamais il ne vint dans l'idée d'aucun césar, ni d'aucun proconsul, ni du sénat romain, d'empêcher les Juifs de croire à leur loi. Cette seule raison sert à faire connaître quelle liberté eut le christianisme de s'étendre en secret. »

Indépendamment des changements que le libelliste a jugé à propos de faire dans ce passage, on voit qu'il en a supprimé le mot en secret, qui ne favorisait point le sens contraire et forcé qu'il a tâché de lui donner par les expressions fausses et plates qu'il a substituées aux véritables. Première preuve de la fidélité de cet honnête compilateur.

Il en est de même par rapport au second passage. Ce n'est qu'à lui qu'il est permis de dire dans des caves souterraines. M. de Voltaire sait bien qu'il n'a pas besoin d'apprendre à ses lecteurs que les caves sont souterraines.

Mais, en supposant même ces deux passages tels qu'il les a cités, où cet homme admirable a-t-il pris les contradictions qu'il y trouve, et que son apologiste applaudit?

N'est-il pas certain, monsieur l'ex-jésuite, qu'avant Domitien le christianisme ne fut point persécuté? Ne conviendrez-vous point que malgré cela une religion naissante, qui contrarie toutes les autres, n'en renverse pas tout à coup les autels, et ne se professe pas d'abord publiquement?

La crainte, la prudence même, obligèrent donc les premiers chrétiens à s'assembler secrètement; ils n'étaient point persécutés, ni même rigoureusement recherchés; mais il existait des lois qui défendaient ces assemblées donc ils bravaient l'autorité de ces lois.

Les calvinistes en France, où la sagesse du gouvernement commence enfin à les tolérer, ne s'exposent-ils pas à la sévérité des lois qui proscrivent leurs assemblées?

M. de Voltaire, en recherchant comment une religion de paix et de charité avait seule produit la fureur des guerres de religion qu'aucune autre n'avait occasionnées, a donc eu raison de dire dans son Siècle

de Louis XIV, chap. xxxvi : « Ne pourrait-on pas trouver l'origine de cette peste qui a ravagé la terre dans l'esprit républicain qui anima les premières Eglises, les assemblées secrètes qui bravaient d'abord dans des grottes et dans des caves l'autorité des empereurs romains? » Et cela ne contrarie point ce qu'il dit ailleurs, chap. v de son Essai sur les mœurs, que le christianisme eut la liberté de s'étendre en secret sous les empereurs qui ont précédé Domitien l'expression seule en secret établit un juste rapport entre les deux passages, et en éloigne toute apparence de contradiction; parce qu'en effet, quoique les chrétiens fussent tolérés, et qu'ils eussent la liberté de pratiquer en secret leur culte et de l'étendre, ils n'en contrevenaient pas moins aux lois qui leur défendaient de s'assembler; par conséquent ils les bravaient même sous les empereurs qui les protégeaient, et jusqu'à ce que l'entière abolition de ces lois par Constantin fit du christianisme, que cet empereur plaça à côté du trône, la religion dominante.

Après cet éclaircissement, que monsieur l'observateur des erreurs dogmatiques et son apologiste nous permettent une question. N'est-ce que dans les temps où il a été défendu aux chrétiens de s'assembler qu'ils ont bravé l'autorité du souverain? Sans parler d'une infinité d'autres, à votre avis, monsieur le théologien libelliste, les chrétiens de la ligue qui portaient par ordre, et à l'exemple des ministres de l'Eglise, les armes et le crucifix contre Henri III et contre Henri IV; celui qui, sortant du pied des autels, et son Dieu encore sur les lèvres, courut assassiner son maître; les monstres qui portèrent des mains sacriléges sur le plus grand et le meilleur des rois du monde, et qui, pour plaire à Dieu, finirent par lui arracher la vie au milieu d'un peuple dont il était le père; que firent-ils? étaient-ils des sujets soumis? Trouverez-vous de la contradiction à dire qu'ils jouissaient, sous ces princes, de la plus grande liberté, et qu'ils bravaient leur autorité ?

Direz-vous de ces chrétiens furieux ce que vous dites, page 20 de votre premier volume, de celui qui osa déchirer l'édit de Dioclétien, qu'à la vérité ces chrétiens furent imprudents, mais, après tout, généreux et zélés pour leur religion? »

Vous ne pouviez guère faire un plus bel éloge d'une action aussi criminelle, si cet éloge pouvait séduire. « Qui est-ce qui ne préférerait pas à la prudence, la générosité et le zèle pour sa religion? » On sait assez que ces maximes furent celles de la ligue; et vous pouviez vous dispenser de nous prouver que, s'il fut alors des théologiens assez malheureux pour les prêcher aux peuples dans la chaire qu'ils appellent de vérité, il en est encore qui ont bien de la peine à les oublier.

Mais comment osez-vous les reproduire parmi nous, ces maximes abominables? Espérez-vous trouver encore dans les ténèbres de l'esprit humain des dispositions qui leur soient favorables? Grâces aux soins de la philosophie, contre laquelle vous déclamez en vain, les hommes sont éclairés sur leurs devoirs, et vous ne trouverez plus de rebelles ni de parricides. Malgré vos efforts et vos persécutions, les philosophes, ces hommes que vous calomniez parce que vous les craignez,

continueront de répandre la lumière, ils ne cesseront d'apprendre aux autres ce qu'ils se doivent, ce qu'ils doivent à leur souverain; et le fanatisme, ce monstre cruel qui n'a que trop désolé la terre, restera dans vos mains un fantôme inutile.

DES DIFFÉRENTES ESPÈCES D'HOMMES.

Seconde fausseté du libelliste,

et témoignage de son ignorance. M. de Voltaire, dit-il, tome III de l'Essai sur les mœurs, page 193, dit que « la nature humaine, dont le fond est partout le même, a établi les mêmes ressemblances entre tous les hommes. >>

Et, page 6 du même volume, il dit « qu'il y a des peuples, des hommes d'une espèce particulière, qui ne paraissent rien tenir de leurs voisins; qu'il est probable qu'il y a des espèces d'hommes différentes les unes des autres, comme il y a différentes espèces d'ani

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Théologien obscur, vous dites des mensonges. M. de Voltaire, en parlant de certaines différences qui se trouvent entre les peuples du Japon et nous, tome III de l'Essai sur les mœurs, page 193, dit : « La nature humaine, dont le fond est partout le même, a établi d'autres ressemblances entre ces peuples et nous. >>

Et dans le second endroit, page 6 du même volume :

« Il est probable que les pygmées méridionaux ont péri, et que leurs voisins les ont détruits; plusieurs espèces d'hommes ont pu ainsi disparaître de la face de la terre, comme plusieurs espèces d'animaux. Les Lapons ne paraissent point tenir de leurs voisins, etc. »

On voit qu'il n'y a presque pas un mot dans ces deux passages qui soit dans ceux cités par le libelliste. Mais quand M. de Voltaire aurait avancé que le fond de la nature humaine est partout le même, et qu'il y a des espèces d'hommes différentes, il n'y a qu'un ignorant qui pût trouver de la contradiction dans cette proposition, et qui ne sache pas que le fond de la nature est le même pour tous les êtres. Si l'auteur doute qu'avec ce même fond il puisse y avoir des espèces différentes, on le renvoie à son propre témoignage; il peut juger s'il existe entre M. de Voltaire et lui d'autres rapports que ce fond de la nature humaine.

DE MICHEL SERVET.

Troisième fausseté du libelliste.

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- M. de Vol

taire assure, ce qu'il prétend, Essai sur les mœurs, tome III, que « Michel Servet, qui fut brûlé vif à Genève par ordre de Calvin, niait la divinité éternelle de Jésus-Christ; » et dans la page suivante, il assure aussi que « Servet ne niait point ce dogme. »

C'est une chose merveilleuse que l'audace avec laquelle ces messieurs imaginent des absurdités pour dire des sottises.

Il y a dans le texte, Essai sur les mœurs, tome III, page 119, en parlant de Michel Servet : « Il adoptait en partie les anciens dogmes soutenus par Sabellus, par Eusèbe, par Arius, qui dominèrent dans l'Orient, et qui furent embrassés au xvIe siècle par Lelio Socini. »

Et dans la page suivante, après avoir rapporté le supplice que Calvin

fit souffrir à Servet : « Ce qui augmente encore l'indignation et la pitié, c'est que Servet, dans ses ouvrages publiés, reconnaît nettement la divinité éternelle de Jésus-Christ. >>

Si M. de Voltaire n'avait pas eu l'attention d'ajouter que c'était « dans ses ouvrages publiés que Servet reconnaissait la divinité de JésusChrist, on pourrait pardonner à l'auteur d'avoir voulu mettre ces deux passages en contradiction; mais, après de telles infidélités, on ne peut que le livrer au mépris qu'il a mérité.

DE CROMWELL.

Quatrième fausseté du libelliste. Je voudrais bien qu'il nous dise dans quel endroit du premier volume des Mélanges de littérature, etc., qu'il a l'audace de citer, il a pris que Cromwell, selon M. de Voltaire, a depuis qu'il eut usurpé l'autorité royale, ne couchait pas deux nuits dans une même chambre, parce qu'il craignait toujours d'être assassiné; qu'il mourut, avant le temps, d'une fièvre causée par ses inquiétudes. >>

Quoi qu'il en soit, on peut se précautionner contre les assassinats, et mourir avec fermeté. Plût à Dieu, Nonotte, que le brave Henri IV se fût précautionné!

Lorsque Cromwell fut parvenu à la souveraine puissance, il eut avec elle tous les soucis et tous les embarras dont elle est inséparable: il eut de plus le trouble que donnent l'usurpation, la crainte de perdre une autorité illégitime, et les soins de la conserver. C'est ce qui fait dire à M. de Voltaire dans ses Mélanges:

« Il vécut pauvre et inquiet jusqu'à quarante-trois ans; il se baigna depuis dans le sang, passa sa vie dans le trouble, et mourut avant le temps. >>

Cet usurpateur, digne en effet de régner par son génie et par ses talents, chercha, pour conserver son autorité, à la faire aimer des Anglais; il ne respecta point les lois, mais il les fit respecter; c'est ce qu'on trouve dans le passage suivant de la page 297 du Siècle de Louis XIV, tome Ier :

« Il affermit son pouvoir en sachant le réprimer à propos; il n'entreprit point sur les priviléges dont les peuples étaient jaloux. »

Ce pauvre libelliste ne sait pas qu'un homme habile sait respecter les lois favorables au peuple pour renverser celles sur lesquelles le trône se fonde.

La maxime de Cromwell était de verser le sang de tout ennemi puissant, ou dans un champ de bataille, ou par la main des bourreaux; c'est pourquoi M. de Voltaire a dit qu'il se baigna dans le sang; mais cela n'empêchait pas qu'il ne sût réprimer son pouvoir à propos, qu'il n'eût soin que la justice fût observée, et qu'il ne ménageât le peuple: il avait besoin de s'en faire un appui, tandis qu'il immolait ceux qui pouvaient lui nuire. Ainsi il fut en même temps équitable par rapport aux peuples, et cruel envers ses ennemis; il vécut dans le trouble; mais il y conserva une grande fermeté d'âme, et mourut avec elle.

Voilà ce qu'était Cromwell, et comment il convenait à M. de Voltaire de nous le montrer: voilà ce que tout le monde reconnaît dans cet

homme extraordinaire, et ce que l'imbécillité et la mauvaise foi appellent des contradictions.

On peut juger du reste du libelle par les articles qu'on vient de réfuter; il ne méritait pas qu'on en prît la peine; mais il était bon de prouver que les erreurs attribuées, dans ce libelle, à M. de Voltaire, ne sont que les fourberies d'un calomniateur, et que les applaudissements que lui prodigue son illustre apologiste ne sont que l'éloge du crime, du mensonge et de l'ignorance, fait par un complice.

AVERTISSEMENT.

Je suis obligé d'avertir tous ceux qui ont souscrit pour les Œuvres du grand Corneille, 'que j'ai rempli toute la tâche que je m'étais imposée; que toutes ses tragédies, ainsi que l'Ariane et le Comte d'Essex, de Thomas, son frère, sont imprimées avec un commentaire; que ceux qui voudront ou souscrire, ou demander des éclaircissements, peuvent s'adresser au sieur Cramer, libraire à Genève.

Je saisis cette occasion pour faire savoir qu'on débite continuellement à Paris, sous mon nom, plusieurs ouvrages, dont non-seulement je ne suis point l'auteur, mais que même je n'ai jamais vus.

J'avertis aussi qu'une comédie intitulée le Droit du Seigneur, qu'on débite depuis quelques jours, n'est point telle que je l'ai faite; qu'elle est entièrement défigurée; que je n'ai fait présent de mes ouvrages qu'au sieur Cramer; et qu'on ne doit regarder comme mes ouvrages aucun de ceux qui ne sont pas de son imprimerie.

VOLTAIRE.

A Genève, 23 août 1763.

CATÉCHISME DE L'HONNÊTE HOMME,

OU

DIALOGUE ENTRE UN CALOYER ET UN HOMME DE BIEN;

LE CALOYER.

TRADUIT DU GREC VULGAIRE,

PAR D. J. J. R. C. D. G. D. G.'

(1763.)

Puis-je vous demander, monsieur, de quelle religion vous êtes dans Alep, au milieu de cette foule de sectes qui sont ici reçues, et qui servent toutes à faire fleurir cette grande ville? Êtesvous mahométan du rite d'Omar ou de celui d'Ali? suivez-vous les

1. Dom Jean-Jacques Rousseau, ci-devant citoyen de Genève. (ED.)

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