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Descendez aux modernes; prenez des préservatifs dans l'archevêque Tillotson, le plus sage et le plus éloquent prédicateur de l'Europe.

<< Toutes les sectes, dit-il', s'échauffent avec d'autant plus de fureur, que les objets de leur emportement sont moins raisonnables. » « All << sects are commonly most hot and furious for those things for which « there is least reason. »

« Il vaudrait mieux, dit-il ailleurs, être sans révélation; il vaudrait mieux s'abandonner aux sages principes de la nature, qui inspirent la douceur, l'humanité, la paix, et qui font le bonheur de la société, que d'être guidé par une religion qui porte dans les âmes une fureur si sauvage.» « Better it were that there were no reveal'd religion; and that human nature were left to the conduct of its own principles mild and merciful and conducive to the happiness of society, than to be acted by a religion which inspires men with so wild a fury. » Remarquez bien ces paroles mémorables : elles ne veulent pas dire que la. raison humaine est préférable à la révélation; elles signifient que s'il n'y avait point de milieu entre la raison et l'abus d'une révélation qui ne ferait que des fanatiques, il vaudrait cent fois mieux se livrer à la nature qu'à une religion tyrannique et persécutrice.

Je vous recommande encore ces vers que j'ai lus dans un ouvrage qui est à la fois très-pieux et très-philosophique :

A la religion discrètement fidèle,

Sois doux, compatissant, sage, indulgent comme elle,
Et sans noyer autrui songe à gagner le port:

La clémence a raison, et la colère a tort.

Dans nos jours passagers de peines, de misères,
Enfants du même Dieu, vivons du moins en frères,
Aidons-nous l'un et l'autre à porter nos fardeaux.
Nous marchons tous courbés sous le poids de nos maux;
Mille ennemis cruels assiégent notre vie,

Toujours par nous maudite, et toujours si chérie;
Notre cœur égaré, sans guide et sans appui,
Est brûlé de désirs, ou glacé par l'ennui.

Nul de nous n'a vécu sans connaître les larmes.
De la société les secourables charmes

Consolent nos douleurs au moins quelques instants;
Remède encor trop faible à des maux si constants.
Ah! n'empoisonnons pas la douceur qui nous reste.
Je crois voir des forçats dans un cachot funeste,
Se pouvant secourir, l'un sur l'autre acharnés,
Combattre avec les fers dont ils sont enchaînés 2.

Quand vous aurez nourri votre esprit de cent passages pareils, faites encore mieux; mettez-vous au régime de penser par vous-même. Examinez ce qui vous revient de vouloir dominer sur les consciences. Vous

1. Sixième sermon. 2. Poëme sur la loi naturelle, part. III. (ED.)

460 AVIS AU PUBLIC SUR LES CALAS ET LES SIRVEN.

serez suivi de quelques imbéciles, et vous serez en horreur à tous les esprits raisonnables. Si vous êtes persuadé, vous êtes un tyran d'exiger que les autres soient persuadés comme vous: si vous ne croyez pas, vous êtes un monstre d'enseigner ce que vous méprisez, et de persécuter ceux mêmes dont vous partagez les opinions. En un mot, la tolérance mutuelle est l'unique remède aux erreurs qui pervertissent l'esprit des hommes d'un bout de l'univers à l'autre.

Le genre humain est semblable à une foule de voyageurs qui se trouvent dans un vaisseau; ceux-là sont à la poupe, d'autres à la proue, plusieurs à fond de cale, et dans la sentine. Le vaisseau fait eau de tous côtés, l'orage est continuel: misérables passagers qui serons tous engloutis! faut-il qu'au lieu de nous porter les uns aux autres les secours nécessaires qui adouciraient le passage, nous rendions notre navigation affreuse! Mais celui-ci est nestorien, cet autre est juif; en voilà un qui croit à un Picard', un autre à un natif d'Islèbe 2; ici est une famille d'ignicoles, là sont des musulmans, à quatre pas voilà des anabaptistes. Hé! qu'importent leurs sectes? Il faut qu'ils travaillent tous à calfater le vaisseau, et que chacun, en assurant la vie de son voisin pour quelques moments, assure la sienne; mais ils se querellent, et ils périssent.

Conclusion. Après avoir montré aux lecteurs cette chaîne de superstitions qui s'étend de siècle en siècle jusqu'à nos jours, nous implorons les âmes robles et compatissantes, faites pour servir d'exemple aux autres; nous les conjurons de daigner se mettre à la tête de ceux qui ont entrepris de justifier et de secourir la famille des Sirven. L'aventure effroyable des Calas, à laquelle l'Europe s'est intéressée, n'aura point épuisé la compassion des cœurs sensibles; et puisque la plus horrible injustice s'est multipliée, la pitié vertueuse redoublera.

On doit dire, à la louange de notre siècle et à celle de la philosophie, que les Calas n'ont reçu les secours qui ont réparé leur malheur que des personnes instruites et sages qui foulent le fanatisme à leurs pieds. Pas un de ceux qu'on appelle dévots, je le dis avec douleur, n'a essuyé leurs larmes, ni rempli leur bourse. Il n'y a que les esprits raisonnables qui pensent noblement; des têtes couronnées, des âmes dignes de leur rang, ont donné à cette occasion de grands exemples; leurs noms seront marqués dans les fastes de la philosophie, qui consiste dans l'horreur de la superstition, et dans cette charité universelle que Cicéron recommande, charitas humani generis3; charité dont la théologie s'est approprié le nom, comme s'il n'appartient qu'à elle, mais dont elle a proscrit trop souvent la réalité; charité, amour du genre humain, vertu inconnue aux trompeurs, aux pédants qui argumentent, aux fanatiques qui persécutent.

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1. Calvin, né à Noyon. (ED.) 2. Luther, né à Eisleben en Saxe. (ÉD) 3. Cicéron n'a pas employé cette expression. (ED.)

COMMENTAIRE

SUR

LE LIVRE DES DÉLITS ET DES PEINES,

PAR UN AVOCAT DE PROVINCE.

(1766.)

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1. Occasion de ce commentaire. J'étais plein de la lecture du petit livre Des délits et des peines', qui est en morale ce que sont en médecine le peu de remèdes dont nos maux pourraient être soulagés. Je me flattais que cet ouvrage adoucirait ce qui reste de barbare dans la jurisprudence de tant de nations; j'espérais quelque réforme dans le genre humain, lorsqu'on m'apprit qu'on venait de pendre, dans une province, une fille de dix-huit ans, belle et bien faite, qui avait des talents utiles, et qui était d'une très-honnête famille.

Elle était coupable de s'être laissé faire un enfant; elle l'était encore davantage d'avoir abandonné son fruit. Cette fille infortunée, fuyant la maison paternelle, est surprise des douleurs de l'enfantement; elle est délivrée seule et sans secours auprès d'une fontaine. La honte, qui est dans le sexe une passion violente, lui donna assez de force pour revenir à la maison de son père, et pour y cacher son état. Elle laisse son enfant exposé, on le trouve mort le lendemain; la mère est découverte, condamnée à la potence, et exécutée.

La première faute de cette fille, cu doit être renfermée dans le secret de sa famille, ou ne mérite que la protection des lois, parce que c'est au séducteur à réparer le mal qu'il a fait, parce que la faiblesse a droit à l'indulgence, parce que tout parle en faveur d'une fille dont la grossesse cachée la met souvent en danger de mort; que cette grossesse connue flétrit sa réputation, et que la difficulté d'élever son enfant est encore un grand malheur de plus.

La seconde faute est plus criminelle : elle abandonne le fruit de sa faiblesse, et l'expose à périr.

Mais parce qu'un enfant est mort, faut-il absolument faire mourir la mère? Elle ne l'avait pas tué; elle se flattait que quelque passant prendrait pitié de cette créature innocente; elle pouvait même être dans le dessein d'aller retrouver son enfant, et de lui faire donner les secours nécessaires. Ce sentiment est si naturel qu'on doit le présumer dans le cœur d'une mère. La loi est positive contre la fille dans la province dont je parle; mais cette loi n'est-elle pas injuste, inhumaine, et pernicieuse? injuste, parce qu'elle n'a pas distingué entre celle qui

1. Le livre Des délits et des peines, composé en italien par le marquis de Beccaria, fut, dès 1766, traduit en français par l'abbé Morellet. (ÉD.)

tue son enfant et celle qui l'abandonne; inhumaine, en ce qu'elle fait périr cruellement une infortunée à qui on ne peut reprocher que sa faiblesse et son empressement à cacher son malheur; pernicieuse, en ce qu'elle ravit à la société une citoyenne qui devait donner des sujets à l'Etat dans une province où l'on se plaint de la dépopulation. La charité n'a point encore établi dans ce pays des maisons secourables, où les enfants exposés soient nourris. Là où la charité manque, la loi est toujours cruelle. Il valait bien mieux prévenir ces malheurs, qui sont assez ordinaires, que se borner à les punir. La véritable jurisprudence est d'empêcher les délits, et non de donner la mort à un sexe faible, quand il est évident que sa faute n'a pas été accompagnée de malice, et qu'elle a coûté à son cœur.

Assurez, autant que vous le pourrez, une ressource à quiconque sera tenté de mal faire, et vous aurez moins à punir.

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II. Des supplices. Ce malheur et cette loi si dure, dont j'ai été sensiblement frappé, m'ont fait jeter les yeux sur le code criminel des nations. L'auteur humain Des délits et des peines n'a que trop raison de se plaindre que la punition soit trop souvent au-dessus du crime, et quelquefois pernicieuse à l'Etat, dont elle doit faire l'avantage.

Les supplices recherchés dans lesquels on voit que l'esprit humain s'est épuisé à rendre la mort affreuse semblent plutôt inventés par la tyrannie que par la justice.

Le supplice de la roue fut introduit en Allemagne dans les temps d'anarchie, où ceux qui s'emparaient des droits régaliens voulaient épouvanter, par l'appareil d'un tourment inouï, quiconque oserait attenter contre eux. En Angleterre on ouvrait le ventre d'un homme atteint de haute trahison, on lui arrachait le cœur, on lui en battait les joues, et le cœur était jeté dans les flammes. Mais quel était souvent ce crime de haute trahison? c'était, dans les guerres civiles, d'avoir été fidèle à un roi malheureux, et quelquefois de s'être expliqué sur le droit douteux du vainqueur. Enfin les mœurs s'adoucirent; il est vrai qu'on a continué d'arracher le cœur, mais c'est toujours après la mort du condamné. L'appareil est affreux, mais la mort est douce, si elle peut l'être.

III. Des peines contre les hérétiques. Ce fut surtout la tyrannie qui la première décerna la peine de mort contre ceux qui différaient de l'Eglise dominante dans quelques dogmes. Aucun empereur chrétien n'avait imaginé, avant le tyran Maxime, de condamner un homme au supplice uniquement pour des points de controverse. Il est bien vrai que ce furent deux évêques espagnols qui poursuivirent la mort des priscillianistes auprès de Maxime; mais il n'est pas moins vrai que ce tyran voulait plaire au parti dominant en versant le sang des hérétiques. La barbarie et la justice lui étaient également indifférentes. Jaloux de Théodose, Espagnol comme lui, il se flattait de lui enlever l'empire d'Orient, comme il avait déjà envahi celui d'Occident. Théodose était haï pour ses cruautés; mais il avait su gagner tous les chefs de la religion. Maxime voulait déployer le même zèle, et attacher les évêques espagnols à sa faction. Il flattait également l'ancienne reli

gion et la nouvelle; c'était un homme aussi fourbe qu'inhumain, comme tous ceux qui dans ce temps-là prétendirent ou parvinrent à l'empire. Cette vaste partie du monde était gouvernée comme l'est Alger aujourd'hui. La milice faisait et défaisait les empereurs; elle les choisissait très-souvent parmi les nations réputées barbares. Théodose lui opposait alors d'autres barbares de la Scythie. Ce fut lui qui remplit les armées de Goths, et qui éleva Alaric, le vainqueur de Rome. Dans cette confusion horrible, c'était donc à qui fortifierait le plus son parti par tous les moyens possibles.

Maxime venait de faire assassiner à Lyon l'empereur Gratien, collègue de Théodose; il méditait la perte de Valentinien II, nommé successeur de Gratien à Rome dans son enfance. Il assemblait à Trèves une puissante armée, composée de Gaulois et d'Allemands. Il faisait lever des troupes en Espagne, lorsque deux évêques espagnols, Idacio et Ithacus qu Itacius', qui avaient alors beaucoup de crédit, vinrent lui demander le sang de Priscillien et de tous ses adhérents, qui disaient que les âmes sont des émanations de Dieu, que la Trinité ne contient point trois hypostases, et qui, de plus, poussaient le sacrilége jusqu'à jeûner le dimanche. Maxime, moitié païen, moitié chrétien, sentit bientôt toute l'énormité de ces crimes. Les saints évêques Idacio et Itacius obtinrent qu'on donnât d'abord la question à Priscillien et à ses complices avant qu'on les fit mourir : ils y furent présents, afin que tout se passât dans l'ordre, et s'en retournèrent en bénissant Dieu, et en plaçant Maxime, le défenseur de la foi, au rang des saints. Mais Maxime ayant été défait par Théodose, et ensuite assassiné aux pieds de son vainqueur, il ne fut point canonisé.

Il faut remarquer que saint Martin, évêque de Tours, véritablement homme de bien, sollicita la grâce de Priscillien; mais les évêques l'accusèrent lui-même d'être hérétique, et il s'en retourna à Tours, de peur qu'on ne lui fît donner la question à Trèves.

Quant à Priscillien, il eut la consolation, après avoir été pendu, qu'il fut honoré de sa secte comme un martyr. On célébra sa fête, et on le fêterait encore s'il y avait des priscillianistes.

Cet exemple fit frémir toute l'Eglise, mais bientôt après il fut imité et surpassé. On avait fait périr des priscillianistes par le glaive, par la corde et par la pendaison. Une jeune dame de qualité, soupçonnée d'avoir jeûné le dimanche, n'avait été que lapidée dans Bordeaux. Ces supplices parurent trop légers; on prouva que Dieu exigeait que les hérétiques fussent brûlés à petit feu. La raison péremptoire qu'on en donnait, c'était que Dieu les punit ainsi dans l'autre monde, et que tout prince, tout lieutenant du prince, enfin le moindre magistrat, est l'image de Dieu dans ce monde-ci.

Ce fut sur ce principe qu'on brûla partout des sorciers qui étaient visiblement sous l'empire du diable, et les hétérodoxes qu'on croyait encore plus criminels et plus dangereux que les sorciers.

1. Saint Jérôme, De viris illustribus, cap. CXXI. (ÉD.)

2. Voy. l'Histoire de l'Église.

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