Images de page
PDF
ePub

SÉVASTOPOL.

A l'époque du voyage de Catherine et de Potemkin à travers la Crimée, en 1787, sur l'emplacement où est bâti Sévastopol se trouvait un pauvre village tatare nommé Aktiar, c'est-à-dire Roches blanches. Catherine vint avec son favori, et l'on montre encore au voyageur la maison qu'on avait préparée pour la recevoir. Charmée de la position et de la commodité de l'endroit, elle résolut d'y établir son arsenal maritime sur la mer Noire, et de lui donner, à l'exemple des empereurs grecs et romains, le nom de Sévastopol (zeros, ville auguste). De retour à Saint-Pétersbourg, elle donna les ordres nécessaires pour l'exécution de son projet; mais la peste ravageait alors la Crimée, et aucun des amiraux ne voulait, par crainte du danger, accepter le nouveau commandement. Catherine, qui sentait le prix de l'héritage de Saim-Gueray-Khan, promit d'élever au rang d'amiral tout officier de mérite qui s'offrirait pour remplir ce poste dangereux. Un Anglais, le capitaine M'kensie, l'accepta et devint ainsi le premier gouverneur naval de Sévastopol.

Sévastopol, compris dans le gouvernement de la Tauride, est situé sur la pointe occidentale de la presqu'ile, sous le 44°41'30" de latitude septentrionale et le 51°15' de latitude orientale, à 24 heures du Bosphore, presqu'à l'opposite de Sinope et à 15 kilomètres de Simféreol, capitale de la Tauride. Sa population est évaluée à 30,000 habitants, y compris les soldats et les marins attachés au service du port.

La ville est bâtie en amphithéâtre, au sud du port, le long d'une pointe de terre qui court entre la petite baie du port et celle de l'artillerie. Vue de loin, elle offre un aspect plein de grandeur, mais dès qu'on avance, l'œil,

partout où il se porte, n'embrasse qu'une éternelle désolation; la côte est aride et nue, les environs ne sont pas plus riants, on y voit à peine un arbre, une maison, et la monotonie d'un terrain sablonneux, dans lequel pointent des herbes desséchées, n'est interrompue que par un petit nombre de guérites de pierre.

L'intérieur de la ville est fort propre, grâce à un ukase impérial qui exclut les juifs de son territoire; de magnifiques rues coupées à angle droit la traversent en tous sens; « une d'elles qui s'étend, dit M. Demidoff, parallèlement au grand port, sur un plan déjà élevé, réunit sur ses deux côtés tous les édifices remarquables dont puisse s'enorgueillir Sévastopol; la cathédrale, précieux édifice de la plus élégante architecture; plus loin s'élève l'hôtel de l'amirauté, un peu trop fier de ses colonnes qui sont sans proportion avec le reste de l'édifice. Quelques hôtels assez élégants qu'abrite l'ombre des stores, quelques petits jardins où la poussière dévore la verdure, voilà ce qu'on rencontre dans ce beau quartier de Sévastopol. Si vous portez vos pas au sommet de la ville, vous retrouvez encore ces jardins qui masquent discrètement de petites maisons assez propres ; mais cette partie de la cité est la proie des vents qui balaient périodiquement dans cette saison le sol découvert des rues exposées à ces orages de sables ammoncelés. » Sévastopol est entourée de murailles de pierres et de briques, entremêlées de tronçons de colonnes, de chapiteaux et d'inscriptions lapidaires, nobles débris de l'ancienne Chersonnesus. On sait que les Russes recommencèrent l'œuvre de destruction des Huns et des Mongols. Ainsi, par exemple, ils achevèrent de renverser l'antique Chersonnesus pour chercher des matériaux afin de bâtir Sévastopol; ce qui a fait dire à un célèbre voyageur anglais, Clarke, que si l'Archipel fût tombé sous la domination de la Russie, les beaux restes de l'ancienne Grèce ne seraient plus; Athènes aurait disparu, et les

conquérants moscovites n'eussent même pas laissé une seule pierre pour indiquer l'emplacement réel de cette ville célèbre. Les Turcs, ajoute-t-il, sont des gens de goût et des savants, en comparaison des Russes. A quelques lieues de Sévastopol se trouvent les ruines de la ville d'Eupatorium et le promontoire de Parthénium, célèbre par l'histoire d'Iphigénie.

Mais ce qui fait l'importance de Sévastopol, c'est son port et son arsenal maritime, que les officiers de la marine anglaise, qui l'ont visité, ne savent comparer qu'à ceux de Malte ou de Mahon.

Le port est formé de l'ancienne baie d'Aktiar. « On trouverait, dit l'auteur que nous avons déjà cité, peu de havres en Europe aussi complétement appropriés aux besoins d'une grande flotte. Un bras de mer, d'une largeur importante, s'est creusé un lit profond sur la côte occidentale de la Tauride; il pénètre dans les terres jusqu'à une distance de deux lieues. Point de rochers dangereux, point d'écueils dans ce magnifique bassin; l'entrée, qui est d'un abord convenable, est défendue par des fortifications redoutables, dont la puissante artillerie balaierait sans peine toute la largeur du goulet. Une fois dans cette grande baie, en regardant la côte du sud, vous remarquez quatre anses spacieuses, d'un abri sûr et d'un abord si facile, que l'une d'elles, la baie des vaisseaux, permet aux navires de guerre à trois ponts de venir mouiller sans danger à quelques toises de la côte. »

A l'extrémité du port, coule une rivière, la TchornaïaRitchka (ruisseau noir), qui alimente le bassin.

L'entrée du port est défendue par de fortes batteries, placées aux deux pointes qui sont opposées l'une à l'autre. Outre ces batteries, il y en a encore une vis-à-vis de la ville, et deux sur la double pointe de terre de la ville avec une redoute élevée. Une de ces batteries, qui est en demi-cercle, défend en même temps l'entrée de la baie

de l'artillerie, ce qui, sans cela, ferait courir de grands dangers à la ville. La rade n'est pas tenable pour un ennemi. Aucune flotte ne pourrait forcer l'entrée du port. Les principaux ouvrages sont en terre ou en sable, et beaucoup de canons sont peints de la couleur de ces matières, de manière à tromper la vue de l'observateur. On dit que les batteries sont armées de 600 canons.

Les chantiers de construction sont à Nikolaïeff, à cause du manque de bois. Un autre inconvénient de la baie de Sévastopol, c'est qu'elle est infestée par des myriades de vers de mer phosphorescents (toredo navalis), qui s'attachent aux navires et les mettent en peu d'années hors d'état de servir. On ne peut préserver un bâtiment des ravages de ces dangereux animaux qu'en le renversant sur le flanc pour lui faire subir l'opération du feu tous les deux ou trois ans.

Le voisinage de la mer et la situation avantageuse et dégagée de Sévastopol sur un sol sec y procure un air sain, tempéré en été par les vents, et plus doux en hiver qu'en beaucoup d'autres endroits de la Crimée par l'abri des montagnes au Nord et à l'Est. La plus grande chaleur en été ne va point au-delà de 26° Réaumur. Des vents de terre et de mer alternant successivement le matin et le soir dans la direction du port, rafraîchissent l'air et favorisent en même temps l'entrée et la sortie des bâtiments, tandis qu'en pleine mer et hors du port, ce sont les vents de nord-ouest et de nord-est qui règnent le plus.

DEMOSTHENES Baltazzi.

SOUVENIRS DE LA PROVINCE D'ORAN.

COUP D'OEIL SUR DAÏA.

Trois points distincts signalent le poste de Daïa. Au sud le pic du Tamelaka, le pic de la Vigie, et à l'est, en remontant vers le nord, le Boulafre, qui garde la route de Saïda. Entre le Tamelaka et le pic de la Vigie, se trouve un joli mamelon à la forme arrondie et trèsinférieur en élévation à ses voisins. Il ressemble à un enfant donnant ses mains à son père et à sa mère. Ces quatre montagnes forment une courbe légère et gracieuse du sud-est au nord-est; elles sont abondamment boisées. Le Boulafre et la Vigie sont les deux piliers d'entrée de la Daïa; le fort de Daïa en est la porte.

Daïa en arabe signifie refuge des eaux. Les daïa sont des bassins naturels qui reçoivent les eaux des montagnes environnantes. Mais en Afrique les eaux séjournent peu. Il en résulte que ces sortes de lacs ou étangs sont presque toujours à sec. Les courants laissent, de distance en distance, dans la route qui leur est assignée, des traces que les Arabes appellent redires. Ces redires conservent l'eau jusqu'en juin, juillet, août; tels sont la Tamelaka, qui vient se confondre avec la Daïa, en formant un angle au sud-est, et l'Oued-Sarno, qui, torrent en hiver, se jette dans l'Oued-Méquera.

Avant de donner la description du fort de Daïa, je ferai monter mes lecteurs à la Vigie; ce fortin, sentinelle vigilante de la plaine, offre à l'œil l'aspect de tout le pays. Partout des forêts; - au sud, les dernières chaînes du Tell, avec leurs élégantes et bizarres découpures, dont les teintes sont admirables aux reflets

« PrécédentContinuer »