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du soleil couchant; ces chaînes nous séparent des hauts plateaux; au sud-ouest la vallée de l'Oued-Sba (rivière du Lion); c'est là, à quatre lieues du fort, que l'on trouve les prairies qui alimentent l'administration; — à l'ouest, des forêts coupées par la route qui conduit à Tlemcen; - au nord, des bois rapprochés de la route de Bel-Abbès; - à l'est enfin, la Daïa en prairies et la plaine inclinée que traverse la route de Saïda.

En plongeant la vue à vos pieds, vous apercevez, dans un espace étroit, trois marabouts en ligne, et pour pendant, un bouquet de trois beaux chênes. Le fort et ses jardins, les tuileries, les fours à chaux, un abattoir, quelques tentes de spahis, etc., entremêlés de groupes d'arbres, entourent le point principal.

Un carré, de 200 mètres de coté, isolé dans le petit plateau que je viens de décrire et dont l'inclinaison a lieu vers la Daïa, forme l'enceinte du camp. Trois bastions sont déjà construits; celui de l'est reste à faire. Un redan en terre ayant la forme d'un trapèze défend en outre la face nord du camp. Ce trapèze, dont le petit côté enfile la route de Saïda, contient un second trapèze intérieur clos de murs et renfermant les fourrages; le reste de l'espace est occupé par quelques masures de cantiniers.

L'entrée du fort est à la place nord; elle est sans architecture, représentant une double porte de grange cintrée. Il n'y a de solidement construit que les bastions et les murs d'enceinte. L'intérieur du camp se compose de baraques alignées, couvertes en tuiles et seulement provisoires, logeant les troupes, les administrations, les ateliers. Le nouveau plan à exécuter est la construction définitive d'une église dans le bâtiment de la porte d'entrée actuelle; la nouvelle porte serait à la face ouest, en regard de Tlemcen. L'hôpital, les casernes, se rapprocheront des banquettes des fortifications; le redan doit disparaître, et la population civile sera internée dans

le camp. Tel est ce fort ou plutôt cette triste prison. L'aspect du pays est sévère et mélancolique; c'est une nature sauvage, abrupte, forte, sans élégance, sans grâce, une véritable thébaïde. De belles forêts s'étendent dans la direction du sud; on y voit des sapins gigantesques, des chênes énormes, des genévriers d'un diamètre remarquable. Au milieu de ces beaux produits de la nature, croissent le diss et l'alfa. Des zones entières sont dépourvues de terres végétales et ne montrent plus aux ardeurs du soleil qu'un sable jaune et infécond, lavé par les eaux; ailleurs, ce sont de vastes nappes de rochers, des arbres vieux comme le monde, brisés par la tempête, brûlés par la foudre, ou mutilés sans intelligence par la main des Européens; des ravins accidentés et pittoresques, etc.

L'autorité n'est pas encore parvenue à empêcher l'ıncendie des forêts. En été, pendant les ardeurs du sirocco, les Arabes, croyant purifier l'air, imaginent de mettre le feu aux bois. Cette année, plus que jamais, le fléau a été désastreux. Dans toutes les directions qui entourent Daïa, l'incendie a dévoré d'immenses espaces. Il est à désirer que le service des eaux et forêts installe au plus tôt à Daïa et à la Teneira des agents actifs et intelligents pour conserver et améliorer ce que la nature a donné de plus riche à l'Algérie. Vainement vous tenterez de boiser l'aride Santa-Crux, conservez de préférence ce qui est si richement créé.

L'établissement d'un fort avec quelques compagnies en garnison, des magasins de ravitaillement, quelques colons qui ne s'occupent nullement d'agriculture, mais seulement de commerce, tout cela ne me satisfait point pour ce pays qu'en admirateur enthousiaste de la nature, j'éprouve du plaisir à décrire.

Je voudrais, étendant mes vues plus loin, voir établir à Daïa une nombreuse corporation religieuse, de ces hommes utiles et laborieux, qui, pénétrés du peu de cas

que le chrétien doit faire de la vie, se consacrent à de grands travaux. Je voudrais y voir une vaste chartreuse dont les nombreux habitants, sobres et laborieux, exploiteraient avec intelligence les bois, créeraient les routes, travailleraient à la culture des terres et refouleraient au loin dans le désert les hôtes sauvages qui depuis des siècles ont choisi pour demeure les ombrages et le gazon de la Daïa.

Indépendamment du sapin, bois propre à la construction et qui a la dureté du chêne de France, vous avez le chêne vert, arbre de charronnage, bois dur et élégant pour la fabrication des lits, des tables et autres meubles; le genévrier, bois d'ébénisterie; le lentisque, dont la racine donne un plaqué admirable; la racine du tuya, qui est encore supérieure. Le chêne vert produit un gland doux que les amateurs mangent en guise de châtaignes; le commerce en abuse dans la vente du café. L'on trouve encore dans les bois de Daïa l'arbousier, dont le fruit ressemble à une grosse fraise; assaisonnée avec du vin et du sucre, l'arbouse est un plat de dessert assez estimé.

Peut-être aussi, en fouillant toutes ces montagnes et ces ravins si curieux, serait-il possible d'y trouver des richesses minéralogiques.

L'hiver est excessivement froid à Daïa, qui véritablement est la Sibérie d'Afrique; mais aussi quels beaux feux vous donnent le chêne et le genévrier! Tous les orages planent sur Daïa; ce sont eux qui nous donnent de l'eau sur les plateaux intermédiaires. Cet été, la Méquera a eu trois crues remarquables inondant les plaines en amont de Sidi-bel-Abbès. Le climat est très-sain et guérit vite les fièvres contractées dans les plaines.

Comme poste militaire, Daïa est notre entrée dans le désert; il est à l'abri d'un coup de main des Arabes, qui peuvent soutenir des siéges, mais ne sauraient en faire.

Quittons Daïa, oublions ces tristes murs, la mauvaise

chère que l'on y fait, pour retourner à Sidi-bel-Abbès, Après avoir monté l'espace d'une demi-lieue au nord dans les bois, vous vous arrêtez au point culminant de la côte et vous parcourez avidement l'immense étendue qui s'offre à vos regards. Des bois, toujours des bois; des montagnes lancées dans l'espace, les unes en cônes, les autres en pyramides; nul vestige d'habitations européennes, point de tentes, et cependant çà et là quelques sillons tracés par la maigre charrue arabe. Trois lieues au-dessus, le Télagre, fontaine aux belleseaux dans la forêt des Sapins; c'est un bivouac appelé par nos soldats le Cimetière (il y existe en effet les ruines d'un cimetière arabe). Trois lieues plus loin, l'Oued-Tralimett, autre bivouac au milieu des roseaux, et enfin, en poursuivant la route, vous arrivez à la Teneira, plaine arrosée par l'Oued-Teneira. Un village européen devrait prospérer dans cette position, qui réunit les meilleures conditions pour la culture, d'excellentes terres, du bois, de l'eau. L'on m'objectera l'insalubrité; défrichez, Européens! soyez sobres, prudents, et vous vivrez longtemps en Afrique. En attendant mon village, il existe à la Teneira un caravansérail, lieu de repos où tout voyageur a le droit, sans payer, de déposer son portemanteau, de loger ses chevaux et de dormir.

Un seul Européen habite ce caravansérail et se livre avec succès à la culture; les plantations, qui ne datent que de trois années, y sont magnifiques.

En quittant la Teneira, vous montez une nouvelle chaîne de montagnes qui se dirige à l'est vers Mascara. Arrivé au point de partage, vous apercevez à quatre lieues la blanche Bel-Abbès, qui, vue à cette distance, semble assise aux pieds du Tessalla.

Mis DE MASSOL.

LE MARABOUT

SI-ADMED-BEN-YOUSSEF

ET SES DAAOUI 1.

Si-Ahmed-ben-Youssef est un des marabouts les plus célèbres et les plus populaires de l'Algérie: sans cesse par voies et par chemins, il a parcouru toute l'Afrique septentrionale depuis l'Egypte jusqu'au Maroc, laissant partout, en souvenir de son passage, une dááoua qui résumait en quelques mots les qualités ou les défauts caractéristiques d'une ville, d'un village, d'une tribu, d'une fraction, d'un douar même. Ses dááouis sont en général tournées avec esprit; elles expriment souvent une pensée juste, et la plupart sont devenues proverbes. Malheureusement, elles ne se trouvent écrites nulle part et nous devons nous borner à en reproduire seulement un petit nombre que nous avons recueillies, sous la tente, de la bouche même des Arabes.

Si-Ahmed-ben-Youssef naquit dans la première moitié du 11° siècle de l'hégire, aux environs de Mascara, dans la fraction des Ouled-Merahh de la tribu des Hachem. Voici ce que rapporte la tradition arabe :

Son père, qui était originaire de Figuig dans le Moréreb, traversait la tribu des Hachem avec sa mère, lorsque celle-ci fut prise des douleurs de l'enfantement; la petite caravane s'arrêta sous l'ombre épaisse d'un lentis

. Dááoua, pluriel dááoui. Ce mot n'a pas d'équivalent exact en français. Il a plusieurs acceptions suivant le sens de la phrase; il peut signifier: invocation, épigramme, action de bénir, de maudire, de prophétiser, etc.

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