Images de page
PDF
ePub

ordres de l'évêque. Les pluies survinrent, une partie de la récolte fut perdue et la population catholique réduite à la misère. Bientôt arriva le moment de payer l'impôt. Un des habitants les plus recommandables, nommé André, atteint par la ruine générale, se vit hors d'état d'acquitter la taxe de son jardin. Les kodja-bachis, tous Grecs, le firent arrêter et jeter en prison. Les Latins adressèrent alors une requête au vékil à Constantinople, dans laquelle ils réclamaient son intervention et celle de la Porte pour faire cesser de tels abus. La Porte prit aussitôt des mesures en conséquence, et en donna avis au vékil par une lettre vizirielle qui renfermait un blâme motivé à l'égard de l'évêque et des primats de la localité.

Malheureusement, la Porte ne se montre pas toujours aussi bien disposée à l'égard des Latins, et dans la plupart des occasions, où son action est spontanée, elle laisse éclater sa partialité en faveur des Grecs. Ce n'est pas qu'elle se fasse illusion sur les protestations de zèle et de fidélité de ces derniers. Elle sait, au contraire, qu'elle n'a pas d'auxiliaires plus dévoués que les catholiques, tandis que les orthodoxes sont toujours prêts à entrer dans tous les complots; que les uns la trahiront à l'occasion, tandis que les autres se lèveront pour sa défense, comme ils l'ont fait à plusieurs reprises et le font encore en ce moment sur les bords du Danube. Elle n'a point oublié les dernières affaires de Bosnie, où tandis que les Grecs ne cherchaient qu'à lui susciter des embarras dans le pays, les Latins transmettaient à leur réprésentant à Constantinople, qui les communiquait au Divan, les renseignements les plus précis et les plus exacts sur les mouvements des révoltés. Mais ici, comme dans beaucoup de circonstances, la Porte écoute plutôt ses préventions que ses intérêts, et ne peut s'empêcher d'en vouloir aux Latins du protectorat exercé en leur faveur par les puissances catholiques.

A. UBICINI.

NOTICE HISTORIQUE ET STATISTIQUE

SUR

LES CHEVAUX CHEZ LES ARABES.

Il est entre l'Orient et l'Occident des contrastes fréquemment révélés par les coutumes aussi bien que par les idées des peuples qui habitent les deux extrémités de la Méditerranée, et qu'un poète syrien, grand partisan de l'influence des astres, ne manque pas d'attribuer au soleil, par la raison, dit-il, que ces peuples sont, les uns du côté auquel il se lève, les autres du côté où il se couche.

Parmi ces contrastes à la fois si saillants et si multiples, je me borne aujourd'hui à en indiquer un seul, c'est celui de la prédilection des Arabes pour le cheval, comparé au mépris qu'ils déversent sur le chien. Incapables de comprendre les soins que nous prenons de nos chiens, encore moins l'affection que nous leur portons, les Orientaux justifient, quant à eux, leur sympathie pour le cheval, d'abord par l'éloge pompeux qu'en a fait leur Prophète, puis par ses qualités et ses mérites personnels, enfin par les services qu'ils en obtiennent. C'est pourquoi cet animal est pour eux un continuel objet de soins et d'attentions, et ils le considèrent en quelque sorte comme partie intégrante de leur famille, avec laquelle il vit et est élevé. Habitant le désert, l'Arabe n'a qu'une tente, qui lui sert aussi d'écurie; de sorte que son cheval ou sa jument partage avec sa femme et ses enfants le seul gîte qu'il possède. On conçoit dès lors que la propension du cheval à se familiariser avec l'homme, bien qu'elle dérive généralement de sa dou

ceur naturelle, de son goût pour le calme de la domesticité, reçoive un plus grand développement chez une nation qui l'entoure de tant de soins. Aussi le voit-on s'attacher à ses maîtres malgré la liberté qui lui est donnée à la campagne, où il va brouter l'herbe, sans jamais oublier la tente de son douar, dans laquelle il rentre de lui-même.

C'est, sans nul doute, le hasard qui fournit dans le principe à l'Arabe ses premières notions sur ce qu'annonçaient les marques des chevaux et sur leurs habitudes, mais l'expérience est venue ensuite les lui confirmer, en lui en fournissant d'autres que de nouvelles observations lui faisaient définitivement adopter.

On a dit que les Arabes classaient leurs chevaux par races, qu'ils les connaissaient à leurs formes, surtout aux signes qu'ils portent et aux dispositions que ces signes annoncent. Or, toute race suppose une origine, une filiation, et en Orient, où le cheval tient un aussi haut rang dans la création, où l'Arabe garde religieusement le souvenir de tout ce qui concerne cet animal, le plus précieux après l'homme, on a dû naturellement apporter le plus grand soin à établir cette filiation et cette origine d'après les autorités les plus positives.

Cette autorité n'est autre que le Prophète lui-même. Au temps où Mahomet fondait sa puissance dans l'Yémen, un village appelé Béder, entre la Mecque et Médine, lui résista, et, comme il se portait avec ses gens pour l'attaquer, il aperçut, au moment de donner l'assaut, un intrépide cavalier qui, secondé par l'ardeur de sa monture, était arrivé le premier sous les murs de ce village, et avait ainsi excité ses compagnons à suivre son exemple.

Émerveillé de ce trait de hardiesse, auquel il devait le prompt succès qu'il venait d'obtenir, Mahomet fait appeler le cavalier, qu'il apprend se nommer Kenheil, et lui dit : « Ta monture était digne de te porter; c'est

pourquoi je te recommande, tout en te félicitant de ta bravoure, de ne la faire saillir que par des chevaux d'élite. »

Ce fait, qui prouverait que l'avantage remporté fut plutôt attribué à la monture qu'au cavalier, servit de point de départ à la généalogie de cette cavale historique, et depuis lors les races se sont distinguées par les noms des premières tribus qui ont possédé des descendants de l'illustre jument. C'est ce qui fait encore que la filiation ne s'établit pas en Orient par la postérité des mâles, mais par celle des femelles, Kenheil étant toujours synonyme de cheval de race avec l'adjonction du nom de la tribu qui l'a produit, quoiqu'on se borne généralement à cette dernière dénomination. La tradition rapporte aussi que Mahomet, appréciant singulièrement ce noble quadrupède, avait dit : « Le bonheur sera éternellement attaché à la crinière des chevaux, dont le dos est un talisman et le ventre un trésor. >>

Aussi les Arabes montrent-ils, en général, une grande répugnance à vendre leurs chevaux, ne cédant qu'à l'impériosité du besoin, ou à l'attrait exercé sur leur cupidité par l'offre d'une grosse somme d'argent. A l'égard des juments, ils n'en vendent jamais que le dos, s'en réservant le ventre, de manière que l'acheteur acquiert seulement le droit de les monter sans participer au bénéfice de leurs portées. Ils sont pourtant obligés, quelquefois, d'aliéner un quart ou une moitié de ventre. Le cheval est un talisman, puisqu'en possédant tous les signes heureux ou favorables, il doit faire, assurentils, incontestablement le bonheur de son propriétaire. C'est un trésor s'il est mâle et de race illustre, parce qu'en ne le vendant pas pour un grand prix, on ne le fait saillir que moyennant rétribution; et si c'est une jument de haute réputation, et que son poulain ait les formes et les signes estimés des Arabes, elle a une valeur inappréciable, d'après laquelle leur riante imagina

tion enfante des rêves d'or. En effet, l'on a vu vendre des chevaux issus d'une jument de race jusqu'à 10,000 fr., sans compter que la jument, si elle réunit les formes aux signes favorables, est en même temps talisman.

L'Arabe s'entretient avec son cheval comme il ferait avec une personne humaine, et il l'habitue, à force de patience, à obéir à sa voix ou à certains attouchements de convention, se réservant par ce moyen de n'employer la plus grande vitesse de sa monture que dans les cas extraordinaires.

Les anecdotes que je vais rapporter ne serviront pas seulement à prouver l'emploi de ce moyen, qui constitue un véritable secret; elles font voir encore la fécondité des Arabes en fait de sagacité et de ruse, et le respect qu'ils conservent avec cela pour les préceptes de la morale, même quand leur supercherie les porte trop souvent à les transgresser. C'est ainsi qu'ils accordent la plus franche hospitalité à quiconque la leur demande, qu'ils sont humains et affables envers leurs hôtes, tandis qu'ils dépouillent sans pitié les voyageurs qu'ils rencontrent sur leur chemin.

[ocr errors]

Première anecdote. On raconte qu'un pacha, frappé de la réputation d'une jument arabe, qu'on disait être incomparable, voulut s'en rendre acquéreur, malgré la grande difficulté qu'il savait devoir trouver à déterminer le possesseur à la lui vendre. Il essuya, effectivement, jusqu'à trois refus, bien qu'il eût élevé chaque fois son offre de quelques milliers de piastres, ce qui le surprit grandement, tout en lui causant un dépit excessif.

Le bruit de l'aventure s'étant répandu dans les diverses tribus des environs, avec l'exagération accoutumée des Orientaux, suggéra à un Bédouin l'idée d'aller offrir au pacha de lui amener la précieuse jument. La réponse du gouverneur fut, comme on doit le supposer, qu'il récompenserait largement ce service, et pour y intéresser da

« PrécédentContinuer »