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multitude qui prévalaient en 1791, je n'ai vu là, passezmoi l'expression, que des vieilleries qu'on essaye de rajeunir en en faisant des chimères. (Très-bien!) Cela est impossible et, pour mon compte, toutes les fois que j'ai entendu de pareilles idées se produire, j'ai cru entendre répéter ce mot si vrai et si piquant qui a été dit, si je ne me trompe, au milieu de nous il y a quarante ans que je vous connais, vous vous appeliez alors Pétion (Hilarité générale).

Messieurs, savez-vous ce qu'il y a de véritablement nouveau pour nous ? C'est la politique suivie depuis quatre ans, c'est l'acceptation franche et complète de l'esprit constitionnel, et la lutte franche contre l'esprit révolutionnaire ; c'est la dénégation sincère des théories révolutionnaires, des idées de gouvernement révolutionnaire, et l'acceptation franche et complète des principes du gouvernement représentatif. Voilà ce qu'il y a de nouveau parmi nous. Vous qui parlez de système usé, voulez-vous savoir ce que le pays en pense? Adressez-vous à lui et écoutez sa réponse. Les mots de confiance, de conciliation, de nouveauté, dans le sens dans lequel vous les employez, ont retenti souvent depuis quelque temps aux oreilles du pays; ils lui sont agréables par eux-mêmes, ils sonnent bien, par leur propre vertu, aux oreilles humaines. Mais quand on vient au fait, lorsque le système politique suivi depuis quatre années, ce système qu'on dit usé, paraît en péril, que fait le pays? Il s'inquiète, il s'agite. Les affaires se ralentissent, les esprits se troublent; écoutez les conversations dans l'intérieur des familles ; observez le mouvement des transactions civiles; vous voyez éclater de toutes parts les symptômes évidents de l'inquiétude publique. Pourquoi ? Par ce que le pays, malgré ses préjugés, malgré les mauvaises habitudes qui lui restent depuis quarante ans de révolution et de discordes civiles, malgré ses passions même, a un instinct profond et vrai de sa situation, de son intérêt véritable, et lorsqu'il est en présence d'un danger réel et imminent, cet instinct l'emporte sur toutes les habitudes, les

préjugés, les passions. Et savez-vous quel est cet instinct du pays? Savez-vous ce dont il a le sentiment profond? C'est qu'il est à peine sorti de l'état révolutionnaire, c'est qu'il remonte laborieusement la pente révolutionnaire pour arriver à l'état vraiment social et libre. Le pays sent, sent profondément que l'esprit révolutionnaire plane encore au-dessus de lui, et est là sans cesse l'épiant pour l'agiter et l'envahir de nouveau.

Le pays est dans la même situation, dans la même disposition dans laquelle nous étions tous lorsqu'une effroyable maladie, le choléra, a dévasté la cité. Tout le monde observait, et au moindre symptôme tout le monde était inquiet, tant on redoutait la réapparition du fléau. Le pays est, à l'égard de l'esprit révolutionnaire, dans la même disposition d'esprit ; il le redoute, il l'observe, il sait que le péril est encore à la porte; et voilà ce qui l'alarme profondément quand le système de politique qui prévaut depuis quatre ans paraît compromis. Le pays a peur de retomber. dans l'abime. Les apparitions de l'esprit révolutionnaire ont leurs heures de nécessité; mais ce sont celles de l'ange exterminateur, ce n'est pas là le génie social. Voilà ce qui fait l'inquiétude du pays; voilà ce qui prouve que le système dont vous parlez est bien loin d'être usé; il est au fond le système du plus simple bon sens, de l'intérêt dominant, du véritable intérêt du pays.

Vous auriez raison si, comme tout à l'heure vous l'entendiez dire, notre politique était en effet vouée à une seule cause, si nous n'avions entrepris que de rétablir l'ordre, par une réaction violente et sans maintenir les libertés du pays. Mais c'est le caractère particulier de notre temps que nous ayons entrepris à la fois et de rétablir l'ordre, et je ne dis pas seulement de maintenir, mais d'étendre les libertés publiques. Ordinairement, l'une ou l'autre de ces tâches. suffit à l'activité d'une époque. Il y a des époques qui sont vouées aux réformes sociales, au développement des libertés publiques, d'autres au rétablissement de l'ordre, et à recou

vrer les moyens de gouvernement, les principes de sécurité sociale. Mais, messieurs, nous avons été appelés à faire les deux choses à la fois. (Très-bien, très-bien !) Rappelez-vous notre histoire depuis quatre ans, ouvrez vos procès-verbaux, vous y verrez que vous avez d'une main travaillé constamment à rétablir l'ordre, et de l'autre à étendre les libertés du pays. Ouvrez notre Charte telle que vous l'avez modifiée en 1830, notre Bulletin des lois, vous y trouverez vingt-deux lois d'extension des libertés politiques depuis quatre ans; des lois qui auraient suffi à la passion des réformes pendant un demisiècle, qui auraient alimenté pendant un demi-siècle l'ambition et l'activité des esprits les plus ardents en matière de liberté : tout cela s'est fait en quatre ans. Et en même temps que tout cela se faisait, par les mêmes institutions, par les mêmes Chambres, vous avez rétabli l'ordre, vous avez cherché à ressaisir le principe conservateur de la société. En sorte que vous avez fait (permettez-moi cette comparaison historique) ce que faisaient les Macchabées au siége de Jérusalem, ils reconstruisaient d'uné main leur cité pendant qu'ils la défendaient de l'autre contre l'ennemi extérieur. (Très-bien!) Ils avaient l'épée d'une main et la truelle de l'autre : c'est ce que vous avez fait depuis quatre ans.

Métier glorieux, métier qui honore et grandit une nation, mais métier difficile, et dont il ne faut pas méconnaître la difficulté et les périls. Eh bien! messieurs, quand on entre.. prend une tâche pareille, quand on y est voué par l'état du pays, il n'y a qu'un seul moyen de réussir; c'est que pendant que les libertés publiques se déploient hardiment, les pouvoirs publics s'exercent, se raffermissent, s'agrandissent aussi. Ce que vous réclamez pour la liberté publique, nous le réclamons aussi pour la puissance publique. Nous demandons l'empire des lois, non pas dans leur rigueur, je ne me permettrai pas de me servir de ce mot quand je parle des lois de mon pays; elles ne sont que justes; nous demandons l'empire des lois dans leur justice; nous demandons le libre et énergique exercice des prérogatives du gouvernement, des

Chambres, de tous les pouvoirs. Nous ne demandons la restriction d'aucune des libertés nationales; nous ne voulons point de ce système båtard et misérable qui travaille à affaiblir le pouvoir et la liberté; nous les voulons tous les deux réels et forts; mais si pendant que les libertés se déploient avec intensité et se multiplient, vous venez à affaiblir le gouvernement; si vous dites tantôt que la couronne est trop forte, tantôt que les Chambres ont trop de puissance, vous mettrez la société dans un péril imminent, car d'un côté vous déchaînez toutes les passions individuelles, et de l'autre vous enchaînez la force sociale; car, sachez-le bien, messieurs, le pouvoir public, c'est la force sociale, c'est la force sociale organisée; dans un pays libre comme le nôtre c'est la société elle-même se défendant, agissant dans son propre intérêt, intérêt légitime quand elle se défend et se gouverne, comme quand elle se prête au déploiement des libertés individuelles. (Approbation.)

Ce que nous voulons donc, messieurs, c'est l'action complète de la force publique, de la force sociale, aussi bien que des libertés individuelles.

A cette condition, à cette seule condition, avec cette hardiesse dans la politique nationale, on peut prétendre à rétablir l'ordre, à l'affermir, en même temps que se développe la liberté; à cette condition, on peut offrir au monde le spectacle d'un pays libre, se gouvernant régulièrement lui-même.

C'est sous ce point de vue, messieurs, que je vous prie de considérer la question de l'amnistie, sur laquelle je ne veux ajouter qu'un mot. Si l'amnistie, qui n'est pas actuellement une nécessité sociale, qui n'est pas commandée par la justice, si l'amnistie, qui ne peut être aujourd'hui qu'un acte de politique et de gouvernement, opportune tel jour et inopportune tel autre jour, si l'amnistie, dis-je, peut avoir lieu un jour sans affaiblir la puissance publique, sans donner courage aux factions, sans troubler la tranquillité des esprits, car la première condition de la force du gouvernement, c'est la sécurité des esprits, si l'amnistie peut avoir lieu à ces

conditions, il n'est aucun homme sensé qui ne l'accepte avec empressement; mais tant que ces conditions ne sont pas remplies, tant qu'il reste de vives inquiétudes pour l'ordre public, pour le repos des honnêtes gens et de la société, l'amnistie ne serait qu'un acte de faiblesse; elle n'atteindrait pas le but de conciliation dont vous parlez, elle produirait des effets tout contraires; elle ne serait pas opportune, elle serait nuisible. C'est dans ce sens et seulement dans ce sens, que nous l'avons repoussée. (Mouvements prolongés d'assentiment.)

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