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Je disais que je croyais reconnaître trois axiomes: la souveraineté du peuple, point d'aristocratie, point de priviléges, etc.

Maintenant je lis:

« Mon dessein n'est point de discuter philosophiquement ces axiomes; ils contiennent, dans leur vaste sein, toutes les questions qui n'ont cessé d'agiter l'homme et le monde ; questions qui ne se laissent pas toucher en passant. Je veux seulement savoir quel est le vrai sens qu'attache à ces maximes générales le public qui les professe, ou même y croit sans les professer. Je veux, en effet, rechercher si elles ne recèlent que l'anarchie, n'offrent aucune prise à l'autorité, ne renferment pas enfin le germe méconnu de quelque profession de foi, de quelque symbole politique, propre à devenir le drapeau d'une société qui veut être régulière, et la doctrine avouée d'un pouvoir qui veut être fort. »

La Chambre voit que l'intention de ce passage était précisément de rechercher ce qu'il y avait de vrai dans ces maximes, et comment elles pouvaient être le drapeau d'une société qui veut être régulière, et la doctrine avouée d'un pouvoir qui veut être fort. Voici comment, messieurs, et dans quel sens je les ai entendues, et je crois qu'elles doivent être entendues.

« Et d'abord, qu'entendent aujourd'hui par la souveraineté du peuple ceux qui s'en portent les défenseurs? Est-ce l'exercice constant et direct du pouvoir par la totalité des citoyens? Les plus chauds partisans du principe n'y ont jamais songé; ils ont déclaré le peuple incapable d'exercer par lui-même le pouvoir, et lui ont réservé seulement le droit de le déléguer, c'est-à-dire d'y renoncer, sauf à le reprendre pour le déléguer à d'autres. J'entre dans cette hypothèse. Qu'entend-on par cette délégation du pouvoir? Est-ce l'élection universelle de tous les pouvoirs, et, dans chaque élection, le suffrage universel? En fait, à coup sûr, personne n'y pense; en droit, cette transformation de la souveraineté du peuple ne fait que la rendre plus absurde encore. Elle la

fonde sur ce principe que nul n'est tenu d'obéir au pouvoir qu'il n'a pas choisi, aux lois qu'il n'a pas consenties. Que devient alors la minorité? Non-seulement elle n'a pas choisi le pouvoir qui a été élu, elle n'a pas consenti les lois qui ont été faites, mais elle a élu un autre pouvoir, elle a voulu d'autres lois. De quel droit la majorité lui imposera-t-elle l'obéissance? Du droit de la force? Mais la force n'est jamais un droit. Dira-t-on que la minorité peut se retirer? Mais alors il n'y a plus de peuples; car les majorités et les minorités variant sans cesse, si à chaque occasion la minorité se retire, bientôt la société ne sera plus. Il faut donc que la minorité reste et se soumette. Voilà donc la souveraineté du peuple encore une fois transformée; elle n'est plus que la souveraineté de la majorité. Que devient-elle sous cette nouvelle forme? La minorité est-elle, en effet, dévouée en esclave à la majorité? Ou bien serait-ce que la majorité a toujours raison, sait parfaitement et ne veut jamais que le bien? Il faut choisir,'il faut affirmer ou que la majorité a droit sur la minorité, ou qu'elle est infaillible. L'iniquité est d'une part, l'absurdité de l'autre. Évidemment ce n'est point là ce que pensent, ce que veulent les hommes mêmes qui attachent au dogme de la souveraineté du peuple le principe et le salut de la liberté.

«Que pensent-ils donc et que veulent-ils? Quel sens a pour eux ce dogme prétendu qui ne passe de transformation en transformation que pour apparaitre toujours plus faux et plus impraticable? Ils le professent cependant, ou, s'ils n'osent, ils l'invoquent au fond du cœur, et en déduisent toute leur politique.

« Voici le fait. Pendant bien des siècles, le gouvernement des nations modernes n'a eu pour principe et pour règle que des intérêts privés. Le grand nombre était non-sculement gouverné, mais possédé par le plus petit nombre qui, seul maitre de la force, s'attribuait aussi tout le droit. Par degrés, la force s'est répandue hors de l'étroite enceinte où elle résidait; la sphère des richesses, des lumières, de toutes les su

périorités réelles s'est élargie. Le droit du petit nombre a été dès lors mis en question, et comme un droit ne peut-être attaqué que par un droit, c'est dans le grand nombre qu'on en a cherché un pour battre en ruine celui du petit nombre. Ainsi est née la théorie de la souveraineté du peuple ; elle a été le prétexte rationnel d'une nécessité pratique, un point de ralliement offert aux forces matérielles par suite du déplacement des forces morales, et pour terminer, au nom d'une idée, une question de pouvoir déjà résolue dans le fait. C'est une expression simple, active, provoquante, un cri de guerre, le signal de quelque grande métamorphose sociale, une théorie de circonstance et de transition. >>

Au centre. Très-bien! très-bien!

M. le ministre de l'instruction publique.-Je continuerai la lecture si la Chambre le désire.

Au centre. Oui, oui, lisez !

M. le ministre de l'instruction publique.-Je demande à la Chambre la permission de lui lire une seule phrase dans laquelle je résume mon opinion sur le sens raisonnable que j'attache à la souveraineté du peuple.

Voix nombreuses.-Oui! continuez!

M. le ministre de l'instruction publique, lisant.—«Que la révolution soit finie, et sa victoire assurée, on parlera encore de la souveraineté du peuple; mais par là on désignera et on réclamera simplement le gouvernement des intérêts généraux, par opposition au gouvernement de tels ou tels intérêts. privés. C'est, en effet, tout ce qu'entendent par ces mots les hommes mêmes qui se croient le plus fermement attachés à la théorie. Pressez-les de la ramener à des termes précis, de l'adopter dans sa rigueur; ils céderont de poste en poste, ils se perdront en explications, en palliatifs, en détours; et cette prétendue souveraineté du peuple, si terrible par les souvenirs de guerre qui s'attachent à son nom, se réduira, dans ⚫ leurs propres mains, à n'être plus que la domination sûre et régulière des intérêts dominants en effet dans le nouvel ordre social. »

Aux centres.-Très-bien! très-bien! nous n'avons pas d'autres doctrines, nous n'avons pas d'autres principes.

M. le ministre de l'instruction publique.-La Chambre me permettra de n'ajouter aucune conclusion à ce que je viens de dire; ce que je pensais alors, je le pense aujourd'hui, et je crois que c'est sur la souveraineté nationale ainsi entendue que repose notre gouvernement.

De nombreux applaudissements succèdent à ce dis

cours.

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