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LXXV

-Chambre des députés.-Séance du 28 août 1835. —

Le projet de loi sur la presse, suscité par l'attentat de Fieschi, avait été présenté le 4 août 1835. M. Sauzet en fit le rapport, le 18 août, au nom de la commission chargée de l'examiner. La discussion dura du 21 au 29 août et fut aussi violente que longue. Je pris la parole, le 28 août, pour répondre, en les résumant, aux diverses attaques dont le projet de loi et la politique du cabinet avaient été l'objet. Le projet de loi fut adopté, le 29 août, par 226 voix contre 153. Les trois lois furent promulguées le 9 septembre. J'en ai déterminé dans mes Mémoires le vrai caractère '.

M. GUIZOT, ministre de l'instruction publique.— Messieurs, je ne veux pas rentrer dans les discussions qui ont occupé 1 T. III, p. 310-317.

la Chambre ces jours derniers. Je ne veux pas traiter la question particulière qui l'occupe en ce moment, mais je ne puis laisser passer sans réponse les paroles que vous venez d'entendre. Personne ne rend plus de justice que moi à la bonne foi, à la conviction consciencieuse de l'honorable préopinant. Mais je réclame pour moi, comme pour tous mes collègues, la même justice. Comment, messieurs, c'est l'intérêt de la Charte, c'est la défense de la Charte qui nous a appelés à cette tribune, qui nous a fait porter dans cette Chambre les lois que nous avons eu l'honneur de lui présenter; c'est la Charte, de tous côtés attaquée par les factions; la Charte, insultée comme vaine, comme bâclée dans un moment, sans réflexion, comme ne liant personne; la Charte mise en péril, je le répète, tous les jours; c'est la nécessité de la défendre qui commande notre conduite, nos paroles: et on nous accuse de détruire la Charte, que nous travaillons à sauver!

Messieurs, nous vous l'avons dit dès le premier moment; nous n'avons présenté ces lois que pour faire rentrer tout le monde, toutes les factions, dans la Charte, pour faire de la Charte la loi de la France, une loi réelle et puissante, au lieu d'une loi méconnue, violée depuis trois ans. (Très-bien! très-bien!) C'est par ce motif seul que nous avons présenté ces lois, et l'on vient nous dire que nous violons la Charte, que nous détruisons la Charte, nous qui, je le répète.............. (Interruptions...... Interpellations diverses......)

M. ODILON BARROT.-Vous la violez dans ses dispositions. les plus vitales! (Violente agitation.)

Voix aux centres.- A l'ordre! à l'ordre!

M. ARAGO.-Rentrez dans la Charte.

M. le ministre de l'instruction publique. Nous sommes dans la Charte, messieurs, nous y sommes les premiers.

M. ODILON BARROT.-Oui, comme les jésuites sont dans 'Evangile...... (Nouvelle agitation.)

M. le ministre de l'instruction publique. Nous soutenons...... (Bruit.) Messieurs, vous avez parfaitement le droit

de soutenir le contraire; je vous ai écoutés attentivement, je vous demande la même justice.

Nous soutenons que c'est nous qui sommes dans la Charte. (Oui! oui!)

A gauche.-Non! non! (Nouvelles rumeurs)
M. BUGEAUD. Je demande la parole.

M. le ministre de l'instruction publique. Nous soutenons que c'est nous qui sommes dans la Charte, nous soutenons.... (Bruits à gauche.) Mais, messieurs, je vous répète que j'ai eu l'honneur de vous écouter avec attention, je vous demande d'en faire autant.

M. HAVIN.-Adressez-vous aux centres!

M. le président.-Il y a eu réclamation de toutes parts..... (Non, non! oui, oui !)

M. le président.-Permettez. Je suis équitable et sévère envers tout le monde; la première interruption (Mouvement à la gauche.) est partie de là; je m'y suis opposé, et j'ai invité les interrupteurs à se calmer.

Voix des centres.-Ils ne l'ont pas fait.

M. le président. — S'ils ne l'ont pas fait, je n'y puis rien faire; je ne puis que rappeler à l'exécution du règlement. Ensuite, quand M. le ministre de l'instruction publique a dit: C'est nous qui sommes dans la Charte, les trois quarts de la Chambre ont répondu oui, un quart a répondu non, et tout le monde a parlé.

Plusieurs voix.-C'est vrai !

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M. le ministre de l'instruction publique. Je reprends les paroles que vient de répéter votre honorable président, et je dis que c'est nous qui sommes dans la Charte, que c'est nous qui venons ici la défendre, et que, dans l'état auquel on travaille à la réduire depuis trois ans, si nous n'apportions pas, si vous n'apportiez pas à l'appui de cette Charte, une défense efficace, elle serait bientôt perdue. (Marques d'assentiment.)

On a adressé à nos lois, messieurs, de singulières accusations, des accusations étrangement contradictoires.

J'ai entendu les mots de ruse et de subterfuge. On nous a

dit : « Votre loi n'est pas franche; ce qu'elle ose faire, elle n'ose pas le dire. »

Messieurs, c'est là un reproche nouveau pour nous, et auquel nous ne sommes guère accoutumés. On ne nous reproche pas en général de ne pas oser dire ce que nous faisons; ce n'est pas de ruse, c'est de violence, c'est d'emportement, en général, qu'on nous accuse. Mais dans quelle occasion, je vous le demande, a-t-on parlé plus sincèrement que nous ne l'avons fait en présentant cette loi? Dans quelle occasion a-t-on plus formellement exprimé l'intention qui avait présidé à la loi ?

Quoi! nous sommes venus vous dire expressément : oui, il y a une presse que nous regardons comme inconstitutionnelle, comme radicalement illégitime, comme infailliblement fatale au pays et au gouvernement de Juillet; nous voulons la supprimer c'est la presse carliste, la presse républicaine; voilà le but de la loi.

Nous sommes venus vous dire : les représentations théâtrales livrées à elles-même, à toute leur licence, sont la honte et la mort morale du pays; nous voulons arrêter ce mal; nous vous proposons de les soumettre à l'autorisation préalable.

Je vous le demande, messieurs, est-il possible de parler plus sincèrement, d'appeler plus crûment les choses par leur nom? Peut-on trouver là quelque ruse, quelque subterfuge? Jamais, messieurs, jamais loi ne s'est avouée plus franchement, jamais intention n'a été plus hautement déclarée.

Je sais bien qu'on a employé les mots de ruse et de subterfuge, parce qu'on n'a pas trouvé dans notre projet de lei, à côté de la conversion de certains délits en attentats, l'énonciation formelle de la juridiction devant laquelle nous avions dessein de les porter. Mais, en vérité, on n'a pas pu croire, on n'a pas pu supposer que nous eussions la pensée d'éluder cette question, d'éviter cette discussion.

Le subterfuge aurait été trop puéril, trop vain; on ne

peut raisonnablement l'attribuer un instant à des hommes sérieux; et je puis le dire, il est peu digne d'hommes sérieux de le supposer. A l'instant même où votre commission a jugé nécessaire ou seulement convenable d'énoncer formellement dans la loi quelle était la juridiction devant laquelle nous croyions que de telles accusations devaient être portées, nous y avons adhéré; nous avons déclaré que c'était là notre pensée, et que nous ne faisions pas le moindre obstacle à ce qu'elle fût écrite dans la loi. Certes, il n'y a eu là ni ruse, ni subterfuge; nous n'avions pas cru l'énonciation nécessaire, mais nous n'avons jamais songé ni à éluder la question, ni à dissimuler sur ce point notre véritable pensée.

On a dit encore... Je demande pardon à la Chambre, j'ai été appelé à la tribune par cette accusation d'attenter à la Charte, qui est de toutes, je le répète, celle qui nous tient le plus fortement à cœur.

M. ODILON BARROT. Vous avez raison!

-

M. le ministre de l'instruction publique. — ....Car il n'est personne qui ait, plus que le gouvernement, plus que nous en particulier, le ferme dessein d'adhérer fortement à la Charte, le parti pris de la défendre, le parti pris d'en faire la loi réelle, la loi puissante, et non pas la loi vaine de la France. (Aux centres: Très-bien! très-bien!)

On nous dit encore, puisque la Chambre me permet de passer en revue les reproches qui nous ont été ainsi adressés, on nous dit encore que nous nous méfions du pays. Certes, messieurs, ce n'est pas là notre pratique depuis cinq ans : quel a été, depuis cinq ans, le principe de notre politique? D'avoir foi dans le pays, foi dans sa sagesse, foi dans sa fermeté.

Quand nous avons entrepris l'œuvre difficile à laquelle nous nous sommes voués, l'œuvre de consommer une révolution en l'arrêtant, en la contenant, sur quoi avons-nous compté? Quand nous n'avons eu recours ni aux mesures violentes, ni aux lois d'exception, ni à la suspension des libertés publiques, sur quoi avons-nous compté? Sur la sa

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