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nisation de la société; c'est un parti qui croit avoir résolu tous les grands problèmes qui tourmentent l'homme et la société depuis le commencement du monde. Prenez-le toujours, messieurs, en grande considération; pensez-y toujours car vous ne le vaincrez pas dans quelques années; vous le trouverez encore longtemps, dans le pays et sur ces bancs, au sein de la Chambre, parmi les vieillards et parmi les jeunes gens; vous le trouverez longtemps redoutable, toujours dangereux, toujours faux, car il l'est essentiellement, mais longtemps actif et puissant.

Eh bien! messieurs, ces maux que je viens de signaler, ces dangers que je viens de rappeler, ce ne sont pas des maux et des dangers dont on se débarrasse en quelques années, comme on se complaît aujourd'hui à le croire. Croyezmoi, messieurs, tout n'est pas fini; il s'en faut beaucoup que tout soit fini, vous aurez encore très-longtemps besoin de lutter.

Et avec quoi lutterez-vous? Avec quoi avez-vous lutté? Vous avez un gouvernement libre, un gouvernement hérissé de libertés publiques, c'est-à-dire qui entretient, qui excite, qui provoque chaque matin les partis; je ne m'en plains pas, je n'en accuse pas la nature du gouvernement; je désire cette lutte; j'aime mieux qu'elle soit longue, qu'elle soit redoutable, et qu'elle aboutisse enfin à l'honneur de la raison et de la liberté humaine; mais je ne veux pas non plus qu'on la méconnaisse. Sachez que la nature de votre gouvernement entretient les partis et les fait vivre infiniment plus longtemps. qu'ils ne vivraient si vous pouviez les combattre avec le pouvoir absolu que vous n'avez pas, et que, grâce à Dieu, personne dans mon pays n'aura plus jamais. (Très-bien! trèsbien !)

Soyez-en sûrs, messieurs, ce n'est pas avec quelques victoires dans la rue, avec quelques lois comme celles que vous appelez lois d'intimidation, que vous en finirez véritablement avec les longs et durables dangers auxquels cette société est en proie.

Tout cela a été très-bon, très-nécessaire: il faut vaincre les partis dans la rue quand ils y descendent; il faut les enchaîner dans les lois quand ils repoussent les lois; mais savezvous ce qui a fait notre véritable force depuis cinq ans? Savez-vous avec quoi nous avons dompté ou plutôt commencé à dompter les partis? Savez-vous ce qu'il vous importe pardessus tout, ce qu'il importe par-dessus tout au pays de maintenir? Ce sont ces deux choses-ci : l'harmonie, la forte harmonie des grands pouvoirs de l'État, et, dans le sein de chacun de ces pouvoirs, une conduite prudente, habile, indépendante, suivie.

Ce qui nous a fait triompher depuis cinq ans, c'est qu'il s'est formé dans le sein des Chambres une majorité qui n'a consulté que sa propre raison, qui ne s'est pas laissé étourdir par le bruit qu'on faisait à sa porte pour l'asservir, qui ne s'est pas laissé éblouir par les promesses qu'on lui jetait à la tète pour l'égarer; une majorité qui a agi avec une ferme indépendance, qui a constitué dans les Chambres un véritable pouvoir public, un pouvoir qui a persévéré dans la politique qu'il avait adoptée, qui a compris qu'à travers la diversité des années et des situations, il fallait marcher dans la même voie, imposer aux factieux les mêmes lois; un pouvoir qui s'est offert sagement et noblement à la couronne et à l'autre Chambre; qui a marché constamment de concert. avec eux, qui a respecté les attributions et les limites de tous. les autres pouvoirs. C'est à cette politique indépendante, suivie, mesurée, c'est à la majorité qui l'a faite, adoptée, qui l'a constamment pratiquée, qu'est dû véritablement notre succès depuis cinq ans. Voilà ce qu'il nous importe de maintenir; voilà ce qui a introduit dans notre gouvernement quelque chose des mérites qui manquent si souvent dans les gouvernements libres, un peu de fixité et un peu de dignité.

Ne vous y trompez pas, messieurs, quelles que soient leur nécessité et leur légitimité, quels que soient le bien et la gloire qu'elles procurent à une nation, les révolutions ont toujours ce grave inconvénient qu'elles ébranlent le pouvoir

et qu'elles l'abaissent; et quand le pouvoir a été ébranlé et abaissé, ce qui importe par-dessus tout à la société, à ses libertés comme à son repos, à son avenir comme à son présent, c'est de raffermir et de relever le pouvoir, de lui rendre de la stabilité et de la dignité, de la tenue et de la considération. Voilà ce qu'a fait la Chambre depuis 1830, voilà ce qu'elle a commencé; car Dieu me garde de dire que tout soit fait! Non, tout est commencé parmi nous, rien n'est fait, tout est à continuer. Si vous ne persévériez pas dans la politique que vous avez adoptée, si cette majorité, qui s'est glorieusement formée et maintenue, ne se maintenait pas encore, si elle ne se maintenait pas intimement, énergiquement, en accueillant toutes les conquêtes, en s'ouvrant à toutes les réconciliations, mais en ne laissant jamais enfoncer ses rangs, en ne se laissant jamais diviser, si vous ne faisiez pas cela, si vous ne saviez pas le faire, vous verriez en quelques mois, peut-être en quelques jours, s'évanouir toute votre œuvre, cette œuvre salutaire que vous avez si laborieusement accomplie.

Messieurs, gouvernement ou Chambres, ministres, députés, citoyens, nous n'avons qu'une chose à faire, c'est d'être fidèles à nous-mêmes, de faire ce que nous avons fait, d'avancer au lieu de reculer dans la voie dans laquelle nous nous sommes engagés. Non, nous n'avons point à rétrograder, nous n'avons rien à rétracter; il faut, au contraire, que nous poursuivions, que nous avancions; et ce seront là les progrès véritables, les véritables services rendus à la révolution de Juillet, que j'aime et que j'honore autant que qui que ce soit dans cette Chambre, mais que je veux voir ferme, digne, sage, pour son salut et pour notre honneur à nous, tous. (Vives acclamations.)

à nous

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En février 1836, le cabinet du 11 octobre 1832 s'était dissous. J'étais sorti du ministère de l'instruction publique. La commission du budget avait proposé, dans le budget de ce département, et sur les chapitres relatifs aux encouragements et souscriptions littéraires, des amendements que je crus devoir combattre, et qui furent rejetés.

M. GUIZOT. Messieurs, votre commission vous fait sur ce chapitre deux propositions: l'une de le diviser en trois chapitres nouveaux qui deviendront l'objet d'un vote spécial; l'autre de déclarer, par un article additionnel, que désormais aucune distribution de livres ne pourra être faite qu'à des bibliothèques ou à des établissements publics, jamais à des particuliers.

J'ai quelques observations à soumettre à la Chambre sur ces deux amendements, particulièrement sur le second; quant au premier, je serai fort court.

Il n'est pas toujours sans inconvénients de multiplier,

comme le propose votre commission, la spécialité des chapitres, surtout lorsque cette spécialité s'applique à des objets analogues et à des sommes très-peu considérables. La spécialité a évidemment pour objet, non pas d'introduire dans le budget et dans les comptes une classification parfaitement systématique, non pas de pousser l'analyse, la décomposition des dépenses aussi loin qu'on le pourrait, mais d'y apporter la clarté, de faire en sorte que la Chambre et ses commissions puissent en toute occasion se rendre un compte exact des dépenses publiques et de leur emploi. Quand ce but est atteint, quand la clarté est parfaite, quand la Chambre peut se rendre ce compte rigoureux, le but de la spécialité est atteint.

Un membre.-Non, le but n'est pas atteint.

M. GUIZOT. Vous me répondrez. Je dis que lorsqu'il s'agit d'objets analogues et de sommes peu considérables, il n'y a pas de raison de pousser trop loin la spécialité; elle a l'inconvénient de lier les mains à l'administration dans des cas où il serait utile peut-être que l'administration fût libre. J'en donnerai à la Chambre un exemple pris dans le sujet particulier dont il s'agit. Des deux premiers articles du chapitre, l'un concerne les souscriptions aux ouvrages, l'autre les encouragements littéraires à donner aux personnes; le premier est de 134,000 francs, le second de 154,000 francs.

:

Il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, de déterminer d'avance avec une parfaite précision l'emploi complet de ces sommes divisées en beaucoup de petites sommes, et de dire il y aura tout juste pour 134,000 francs de souscriptions, pour 154,000 francs d'encouragements à des hommes de lettres. Il arrive souvent dans le courant de l'année, par des cas fortuits, que l'article des souscriptions est épuisé et qu'il reste quelques fonds vacants sur l'article des encouragements. Eh bien! il est utile alors que l'administration puisse reporter sur l'article des souscriptions le reste de fonds disponible sur celui des encouragements; car, après tout, dans l'un et l'autre cas, c'est d'encouragements littéraires qu'il

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