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Le plus bel éloge, ou plutôt la plus juste définition de madame Tastu a été donnée par sa rivale et sa sœur en poésie, madame Desbordes-Valmore : « Madame Tastu, modèle des femmes... C'est une âme pure et distinguée, qui lutte avec une tristesse paisible contre sa laborieuse destinée. Son talent est comme sa vertu, sans une tache... Je l'aime; je la trouve souffrante et jamais moins courageuse. Douce femme que je voudrais oser nommer sœur ! »

Mais ce que madame Desbordes-Valmore écrivait là, à la date de 1837, quand l'époque heureuse et riante de la destinée de madame Tastu était loin déjà, et que la triste réalité remplaçait pour elle la poésie, ne reste vrai de ses commencements que pour la pureté du trait moral, et si l'on veut la voir à son entrée dans la vie, ou même durant toute sa première jeunesse, il faut se hâter d'éclairer le portrait et d'adoucir les teintes.

Née à Metz avant la fin du dernier siècle (1798), fille de M. Voïart, administrateur général des vivres, et de mademoiselle Bouchotte, sœur du ministre de la guerre sous la République, la jeune Amable fut nourrie au sein de cette bourgoisie illustrée par la Révolution, et elle y puisa les sentiments patriotiques que les invasions de 1814 et de 1815 ravivèrent à un si haut degré dans les âmes saines et franches. Son père faisait des vers avec facilité; mais sa mère, dit-on, était une personne de mérite, d'un sens judicieux, ferme, de ces femmes

qui continuafent avec modestie et solidité, dans la classe moyenne française, la lignée de madame Roland. Elle la perdit à sept ans et demi, et son enfance en redoubla de réflexion précoce et de rêverie. Elle lisait beaucoup; il fallait lui cacher les livres, qu'elle dévorait; elle avait l'oreille poétique, sensible à la mesure, et se plaisait d'instinct à composer des couplets sur des airs connus. Cependant son père s'était remarié ; il avait épousé une jeune personne douée elle-même du goût et du talent d'écrire, madame Élise Voïart; mais celle-ci, assez aimable d'ailleurs, très marquée pourtant de bel esprit et de sentimentalité, très femme de lettres, dut paraître de bonne heure un peu légère à sa jeune belle-fille et lui fit regretter plus profondément sa vraie mère.

Toute cette famille voyait beaucoup madame Dufrenoy, le poète élégiaque classique du moment. Un contemporain a parlé de cette relation en termes fort justes:

« M. Voïart, qui habitait Choisy, où sa femme traduisait les œuvres d'Auguste Lantaine, avait amené à madame Dufrenoy sa jeune fille, cé.ore bientôt sous le nom de madame Tastu. Agée de quinze à seize ans, mademoiselle Voïart, par un don inne, chantait déjà les oiseaux, les fleurs, la nature, dans des vers simples, faciles, qui coulaient de source et qui, en exprimant les idées et les sentiments de son âge, étaient en harmonie avec son air pur et virginal, ses yeux à fleur de tête, sa figure douce, languissante et inspirée à la fois (1). »

Une lettre de madame Dufrenoy à M. Coulmann, du 27 septembre 1816, annonçait le mariage de la jeune fille, âgée de dix-huit ans :

« Hier 26, Amable a reçu la main de Tastu. J'ai rempli l'office de mère. La cérémonie a été belle et touchante. Amable a montré beaucoup de décence, de piété et de modestie, sans montrer de timidité. Tastu était brillant d'allégresse; Amable ne regardait jamais son nouvel époux, mais elle portait tour à tour ses regards sur chacun de nous avec ce doux sourire qui semblait nous dire: Je suis sûre d'être heureuse!

Rien ne démentit d'abord le présage. Madame Tastu quitta

(1) Réminiscences, par J.-J. Coulmann, tome Ier, page 113.

aussitôt Paris pour Perpignan, pays de son mari, et elle y passa plusieurs années. Des prix presque annuels, remportés aux Jeux floraux, commencèrent sa réputation dans le Midi; mais la pièce qui la signala pour la première fois aux yeux des bons juges à Paris, fut celle qu'elle composa en 1825 à l'occasion du sacre. Tous les poètes, tous ceux du moins du parti monarchique, avaient été conviés à cette splendide et gothique cérémonie, et ils avaient eu obligation de la célébrer. Aucun n'avait échappé à la corvée lyrique et descriptive. Madame Tastu, que rien n'y forçait, entra dans le tournoi, mais d'une façon imprévue et libre. On lisait, en effet, dans les relations du sacre: « Les oiseleurs lâchent dans l'église plusieurs centaines de moineaux et de colombes, qui voltigent autour du trône, des tribunes, et dont la plupart sont venus se brûler à la flamme des lustres et des candélabres. » Ce furent ces Oiseaux du sacre, ces innocentes victimes, qui l'inspirèrent, et dont elle suivit la traversée rapide, dont elle déplora le destin et le sacrifice dans cette solennité de faste et d'ennui :

Pourquoi les retenir sous la voûte gothique?
Leurs cris retentissant de portique en portique
Devaient-ils réveiller l'écho religieux?

Que ne leur rendiez-vous de leurs forêts natives
Les cintres verdoyants, les mouvantes ogives,
Et la voûte immense des cieux !

Eh! qu'aviez-vous besoin de peupler vos églises
Des emblèmes vivants de ces vieilles franchises
Qu'au jour du nouveau règne imploraient vos aïeux?
Quand les temps sont changés, qu'importe à ma patrie
Des mœurs qui ne sont plus la vaine allégorie?

Elle a des biens plus précieux,

Et la Vérité seule est aimable à ses yeux!
Vous que scellent encor les vengeances royales,
Levez-vous, lourds barreaux, tombez, grilles fatales,
Qu'un pardon descende sur vous :

Si de la Liberté nous invoquons l'image,
Les cachots dépeuplés lui rendront un hommage
Digne d'elle et digne de nous !...

Et après s'être étonnée de son audace, la jeune muse, en rentrant dans des tons plus doux, insistait pourtant sur cette note finale et virile, chère alors à tant de cœurs, la liberté :

Dormez, dormez, frêles victimes

Des royales solennités;

Vous qui des bois touffus abandonnant les cimes

Vintes mourir dans nos cités,

Tandis qu'en vos abris quelques œufs près d'éclore
Sans chaleur reposent encore

Aux nids que vous avez quittés!

Voix du printemps fleuri que pleure le bocage,
Du moins, en perdant la clarté,
Cessez de redouter les réseaux ou la cage,
Vous rencontrez la mort en fuyant l'esclavage...
Mais la mort, c'est la liberté !

L'année suivante (1826) voyait paraître son premier recueil de Poésies. M. Tastu, sur ces entrefaites, était devenu imprimeur à Paris, et il avait mis un soin tout naturel à imprimer et à orner cette gracieuse publication dont il était fier. La perle du volume, et qui est restée celle de toute l'œuvre poétique de madame Tastu, est la pièce intitulée l'Ange gardien. Le journal le Globe, en prenant plaisir à la citer, caractérisa par la plume de M. Dubois, en quelques lignes bien senties, ce genre nouveau d'élégie domestique. Toute la destinée de la femme-poète, ou qui voudrait l'être, y est renfermée avec ses rêves, ses élans, ses désirs, mais aussi avec ses constants rappels à la règle, à la pudeur, à l'ordre, à la maternité, à la vie de famille, au devoir. Le tableau, dans son juste cadre, est complet, et chaque âge y a sa leçon. A chaque velléité rêveuse de l'enfant, de la jeune fille, de l'épouse, de la mère, à chaque regret et à chaque plainte étouffée d'une vocation plus ambitieuse hors du cercle tracé, l'Ange gardien est là qui lève le doigt pour avertir, qui oppose un conseil, un véto discret, une consolation supérieure, et il répond à tout par cet humble et doux refrain, qui revient à point nommé depuis le berceau jusqu'à la tombe :

MADAME TASTU.

Enfant, crois-moi, je conduis au bonheur...
Vierge, crois-moi, je conduis au bonheur...
Mère, crois-moi, etc., etc...

On était au lendemain de Corinne, on était au matin de la brillante Delphine, qui s'avançait l'étoile au front: l'Ange gardien ne blâmait rien, n'interdisait rien absolument, mais le contraste des destinées se dessinait de lui-même. Quand la jeune fille, dans un mouvement d'enthousiasme et d'orgueil naïf, s'écriait :

Quel immense horizon devant moi se révèle !

A mes regards ravis que la nature est belle!

Tout ce que sent mon âme ou qu'embrassent mes yeux
S'exhale de ma bouche en sons mélodieux!

Où courent ces rivaux armés du luth sonore?
Dans cette arène il est quelques places encore;
Ne puis-je, à leurs côtés me frayant un chemin,
M'élancer seule, libre, et ma lyre à la main?

l'Ange se contentait de répondre :

Seule couronne à ton front destinée,

Déjà blanchit la fleur de l'oranger;
D'un saint devoir doucement enchaînée,
Que ferais-tu d'un espoir mensonger?
Loin des sentiers dont ma main te repousse,
Ne pleure pas un dangereux honneur,
Suis une route et plus humble et plus douce;
Vierge, crois-moi, je conduis au bonheur.

La femme, l'épouse, exprimait à son tour le vœu d'une distraction délicate, le désir de n'avoir pas à renoncer à un art

chéri :

O, laissez-moi charmer les heures solitaires;
Sur ce luth ignoré laissez errer mes doigts,
Laissez naître et mourir ces notes passagères
Comme les sons plaintifs d'un écho dans les bois.

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