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le cas était à peu près semblable à celui des autres. Mon observation fut approuvée, et Saladin, homme de mérite et homme modéré, généralisa son rapport d'après lequel fut rendue la fameuse loi du 22 germinal de l'an III sur cette classe particulière d'émigrés.

Je ne dois pas omettre qu'étant placé dans le comité de législation pour la section des émigrés instruit comme je l'étais des vexations commises dans le Midi, je me fis un devoir de réparer cette tyrannie par des radiations. Cependant je dois dire aussi que je n'en accordai point à ceux d'entre les émigrés que je savais ou que je soupçonnais même n'être sortis de France que dans des intentions ennemies. Mais cette conduite de notre part, qui n'était que pure justice, parut un scandale aux yeux des montagnards, jusque-là si gâtés dans leur barbare domination. Ils déclamèrent d'abord vaguement sur ce qu'ils appelaient notre indulgence envers les plus grands ennemis de la liberté. Ils dirent ensuite qu'on affaiblissait par la rentrée des émigrés le gage du papier-monnaie. Enfin ils demandèrent l'annulation de toutes les radiations que nous avions accordées. Une pareille demande était entièrement opposée, et à la tranquillité publique, et aux nouveaux principes de justice et d'humanité professés à cette époque par la Convention nationale. Aussi l'Assemblée, composée alors de tous ses membres, repoussa la proposition des montagnards. Tous les bons esprits en démon

trèrent facilement l'absurdité et même les dangers dans un temps où la France entière se confiait dans la nouvelle doctrine de la Convention.

Mais tous ces changemens favorables, la suppression de la forme révolutionnaire dans les jugemens, et son remplacement par la forme établie en 1791; la rentrée de ceux que la montagne considérait comme des traîtres, des royalistes, des fédéralistes, amenèrent des réactions d'une part, et des insurrections de l'autre.

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CHAPITRE XII.

Dénonciations des départemens contre les missionnaires montagnards. Procès de Carrier, Lebon, Fouquier-Tinville. Accusation des principaux membres du comité de salut public et du comité de sûreté générale. - Mouvement du 12 germinal. Constitution de l'an III. Réaction dans le midi. -Insurrection du prairial. 1

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Tous les départemens respirèrent après le g thermidor; un commencement de liberté honnête fit trembler à leur tour ceux qui avaient abusé jusquelà de la terreur envers les autres. Il fut alors permis aux opprimés d'élever la voix et de se plaindre directement des députés missionnaires qui avaient autorisé le mal par leurs propres exemples et commis les plus grands excès à l'aide de leurs pouvoirs sans limites: l'Assemblée était dans l'usage de lire toutes les adresses, le matin à la tribune avant l'ordre du jour. Quelque temps après la chute de Robespierre, elle reçut des plaintes générales contre les oppresseurs qui avaient été soutenus par lui dans les départemens. Elle fut étourdie et souvent scandalisée de dénonciations si journalières, graves, et si méritées. Un de ses membres, interprète du sentiment commun à tous les autres, s'écria: «Eh! pourquoi donc faut-il que nous soyons >> condamnés à entendre chaque jour le récit de

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>> pareilles horreurs sans que la Convention prenne » aucune mesure à leur égard? Voudrait-on nous » faire partager la honte et la peine des forfaits » que nous détestons? Puisque nous sommes en>> fin parvenus au règne de la justice et de l'huma»nité, les députés, moins que les autres, doivent » être exempts des peines portées par les lois; le >> temps des lois tyranniques et barbares est passé, >> c'est maintenant aux lois éternelles de la justice, >> à ces lois dictées par la sagesse et la vérité, à reprendre leur en pire sur tous, et plutôt sur ceux >> qui sont tenus dans leurs fonctions de n'en faire >> et den'en suivre que de pareilles. En conséquence je propose que toutes les adresses où les députés envoyés ci-devant en mission dans les départe» mens sont dénoncés pour de grands crimes, >> soient renvoyées au comité de législation; que le » comité fasse un rapport fidèle de leur contenu >> ainsi que des pièces qui les justifient; et que la >> Convention prenne ensuite le parti qu'elle jugera >> convenable envers les dénoncés qui lui parai>> tront coupables. Il ne faut pas que les innocens, » dans cette Assemblée, partagent les reproches >> adressés à des injustices qui leur sont étrangères. >> Cette motion fut suivie d'un décret qu'on expédia au président du comité de législation. Celui-ci s'acquitta de ses devoirs en proposant au comité de nommer un rapporteur pour remplir les vues de la Convention. Mais personne ne voulut se charger de cette pénible commission; le temps s'écoulait,

et les langues ou les plumes devenant toujours plus libres sous le nouveau règne des lois et de la justice, de plus graves inculpations furent dirigées de nouveau contre les députés missionnaires. On les renvoya sur-le-champ au comité de législation; mais le décret de la Convention ne s'exécutant pas faute de rapporteur, le même député qui avait provoqué le décret prit la parole pour se plaindre de l'inaction du comité de législation. « Pourquoi donc, » dit-il, tant de retards? Est-ce que les coupables >> missionnaires auraient dans ce comité des amis ou >> des complices? J'écarte de moi tout soupçon » contre un comité si bien composé, mais je de>> mande qu'il soit fixé un délai, passé lequel ce >> comité sera renouvelé ou remplacé, s'il ne s'ac» quitte pas d'un devoir si pressant et si honorable. >> La Convention prit une détermination conforme à cette demande. Rien ne pouvait faire plus d'impression sur nous que sur nous que la menace d'un remplacement honteux. Le président convoqua la réunion générale du comité pour le soir du même jour, et tous s'y rendirent. Nous étions au nombre de vingt-deux. J'étais loin de croire que la charge du rapport tomberait sur moi, lorsqu'il y avait tant de membres plus capables de remplir cette délicate fonction. Tous s'y refusèrent. Le président s'était adressé à eux, jugeant qu'à mon âge cette tâche serait trop pénible pour moi; mais après leur refus il vint à moi et me proposa le rapport, et mes autres collègues me pressèrent tant, qu'il fallut me

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