Images de page
PDF
ePub

CHAPITRE IV.

Projet de meurtre contre les Girondins, le 10 mars 1793. — Lois

contre les émigrés.—Comités des douze dans chaque commune.

-Comité de défense ou de sûreté générale dans la Convention.

par

Je n'ai jamais pu mettre dans ma tête qu'il fût possible à des hommes réunis la confiance publique dans une Convention, pour faire le bonheur général, d'employer le fer et l'assassinat contre leurs propres confrères. Je reviens sans cesse à cette idée, parce que, sans cesse dans la Convention nationale, il m'a fallu être en observation pour ma sûreté m'y conduire avec tant de prudence que, sans trahir ni la vérité ni mon devoir, je ne fusse pas égorgé ; et pour quel crime?... pour n'être pas d'un avis conforme à celui de la montagne, sur des matières d'intérêt public, soumises à des délibérations qui devaient passer en lois pour ceux qui nous avaient envoyés. L'on conçoit aisément que, dans des révolutions comme la nôtre, où, dans les principes des états-généraux, il s'agissait de réformes meurtrières pour les fortunes comme pour les puissances établies depuis des siècles, on devait s'attendre à de fortes oppositions, à de grandes résistances de la part des parties lésées; mais par-là même, les députés unis d'intérêt, agissant dans les mêmes principes, n'ont eu que plus de torts de se diviser au

profit des ennemis communs, et de se diviser, chose inouie, jusqu'à se donner la mort entre eux.

J'ai tout lieu de croire que les Girondins n'en auraient pas si mal agi, n'en seraient pas venus à des assassinats de guet-à-pens, si le sort eût favorisé la supériorité de leurs talens et la justice de leur cause. Les montagnards devaient bien juger aussi que, par de pareilles actions, ils perdaient la chose publique en se déshonorant; mais ils étaient si passionnés, si aveugles dans leur haine contre ceux qui s'opposaient à leur domination sanguinaire, qu'ils ne voyaient les moyens d'établir la république que dans ce qui la détruisait. Voici comment ils s'y prirent dans leurs desseins homicides.

Il y avait à cette époque, dans Paris, un reste des troupes qui s'étaient battues au château le 10 août, et quelques autres troupes de nouvelle levée, qui firent ombrage aux assassins; ils demandèrent que la Convention nationale mit ces troupes sous la réquisition du ministre de la guerre. Ce fut un premier signal d'alarme pour les victimes qu'on se proposait d'immoler. Je croyais n'y être pour rien, à cause de mon silence et de mon éloignement de tous les partis comme de tous les complots. Je ne m'affectais de tout cela que pour les autres, à la cause desquels, comme je l'ai déjà dit, je m'intéressais et devais m'intéresser, de préférence à celle des cannibales qui les poursuivaient. Cependant il ne s'agissait de rien moins que d'envelopper dans le carnage tous les appelans au peuple.

La motion de faire sortir les troupes de Paris, fut présentée le 5 mars; on la combattit; mais il fallut ici, comme là, céder à la force. La réquisition de ces troupes fut ordonnée. Heureusement, elle le fut en vain, parce que les coups mortels devant être frappés le 10, il n'était pas possible que dans cinq jours tout fût disposé pour le départ de ces troupes. Elles étaient donc à Paris, quand ce grand jour arriva; et tous en furent instruits, parce que de pareilles conjurations, dans lesquelles trent tant d'individus plus ou moins exaltés, ne restent pas entièrement secrètes de cette manière, les Girondins prévenus n'assistèrent point aux séances du soir, ni le 9 ni le 10.

:

On fait honneur à la commune de Paris d'avoir conjuré cet orage, et voici comment. Il ne faut jamais oublier, dans la lecture de cette histoire, que depuis l'ouverture du corps législatif, qui suivit l'Assemblée constituante, jusqu'à la mort de Robespierre, et environ deux mois après, la société des jacobins a eu toute influence, et dans le corps législatif et dans la Convention. Rien de tant soit peu sérieux n'a été proposé dans les assemblées nationales qui n'ait passé par le creuset de cette société toute-puissante. Après avoir menacé les députés qui ne voteraient pas la mort du roi, elle considéra, comme indignes de la confiance publique, ceux qui n'avaient voté que sa réclusion ou son bannissement. Les Girondins les fatiguaient aussi par leur système de sagesse, opposé à toutes leurs

folies; et cela, avec des moyens et des talens qui offusquaient et blessaient les maîtres orgueilleux de la montagne et de la société. On jura leur perte. Il y avait dans Paris un autre club, encore plus violent dans ses principes et ses procédés, le club des cor- . deliers. Ces deux clubs se réunirent le soir du 9 au 10 mars, pour l'exécution du grand projet de massacre des girondins et des appelans au peuple.

que

Mais comme une pareille exécution ne pouvait avoir lieu dans Paris, à l'insu ou contre le gré de la commune, tout autant dévouée à la montagne les deux clubs, on lui fit part de la disposition où l'on était à cet égard. Soit que la commune improuvât de bonne foi une si horrible résolution soit qu'elle vit de plus près les obstacles qu'elle rencontrerait ou les suites funestes qu'elle aurait, elle détourna ces deux clubs de leurs desseins, et en donna même avis à la Convention nationale. Elle annonça qu'il se formait des rassemblemens qui causaient des craintes raisonnables. On lit ces paroles dans le procès-verbal de la séance du soir du ro mars : « On fait lecture d'une lettre du con>> seil général de la commune de la ville de Paris, >>portant qu'il y a plusieurs attroupemens qui font >> craindre les suites les plus fàcheuses, tendantes » à une nouvelle insurrection; que plusieurs indi>> vidus, même de la Convention nationale, sem» blent être menacés; qu'il est question de faire >> sonner le tocsin et de fermer les barrières. »

Ceci se passa dans la séance du soir au 10 mars,

et dans la nuit du 10 au 11. Toutes les troupes qu'on avait mises sous la réquisition du ministre de la guerre, furent sur pied. Le ministre Beurnonville, compris dans la proscription, les dirigeait lui-même, et voilà plus vraisemblablement ce qui sauva cette fois les Girondins et les appelans au peuple.

Après ce récit on demandera peut-être pourquoi les Girondins, les appelans au peuple n'ont pas soudain quitté Paris? Ils n'avaient, certes, rien de plus prompt ni de mieux à faire : quoi qu'il en dût résulter, il n'était plus possible de rester un seul jour à Paris après un tel assaut qui en annonçait d'autres mieux dirigés.

Il importait donc de se tirer des mains de cette infàme commune qui violait à la fois les lois sacrées de la représentation nationale et de l'hospitalité. Nous étions dans les fers à Paris; les Girondins eux-mêmes ne cessaient de le dire, sans prendre aucune mesure pour en sortir; ils ne faisaient que déclamer , que se plaindre, que menacer d'une assemblée à Bourges ou autre part, et ils restaient toujours là, où ils ont fini par être pris et égorgés. Ce qui les endormait, c'est qu'avec une majorité passagère, ils obtenaient certains, décrets à leur avantage, mais sans pouvoir les faire exécuter par les obstacles que leur opposait toujours la montagne. Il fallut même consentir à celui qui déclara que la commune de Paris avait bien mérité de la patrie, pour avoir empêché qu'on en vînt à des attentats contre les députés; et la même commune osa

« PrécédentContinuer »