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c'est traînées par un âne qu'elles doivent arriver au lieu du supplice. » — « Bravo! » répond le peuple. Aussitôt les débris de l'écusson sont enlevés de la charrette et attachés à la queue du pauvre animal; les cris de joie s'élèvent de nouveau, les acclamations de mépris rédoublent, et le cortège reprenant sa marche, parvient bientôt après sur la place du Peuple.

Arrivés là, les acteurs de cette scène se prenant par la main, commencent autour du bûcher dressé pour l'autodafé, une ronde immense; puis tout-à-coup les anneaux de cette chaîne humaine venant à se briser, les lambeaux des armes impériales, les fragments épars des aigles autrichiennes sont jetés dans les flammes, aux applaudissements des spectateurs. « Puisse la colère du peuple italien, s'écrie une voix, dévorer le dernier barbare, comme ce feu va consumer les honteux emblêmes de sa puissance; et puissent ses cendres être jetées au vent comme le sera bientôt la poussière de ce bûcher! » Ce vœu sauvage soulève un tonnerre d'enthousiasme. Alors comme les flammes du bûcher, faute d'aliment, allaient s'éteindre, une autre voix propose de leur jeter l'àne, innocent complice de l'attentat contre l'Autriche. «Y pensez-vous, frères? répond le paysan; y pensez-vous? mon âne est aussi bon italien que vous et moi : à basl'Autriche! mais vive l'Italie! » Ce trait d'esprit sauva la vie du pauvre animal. Lorsque ce bûcher eut jeté sa dernière étincelle et qu'il ne resta plus des armes autrichiennes qu'un monceau de cendres, les glorieux soutiens de la jeune Italie passant devant le Capitole, se retirèrent dans leurs clubs pour rendre grâce à leur courage et se féliciter de leur nouvelle victoire.

Le lendemain, le gouvernement, qui comprenait la gravité de cet acte attentatoire au droit des gens, se contenta de publier, contre ceux qui s'en étaient rendus coupables, un long article dans la Gazette de Rome.

Que pouvait-il de plus ? Dans les mains du pouvoir débordé par le flot des révolutions, le sceptre suprême n'était plus qu'un roseau battu par tous les vents; la lei était sans force, l'autorité avait perdu son prestige; le grand nom de Pie IX, usé par les factions, n'était plus lui-même qu'une lettre morte aux yeux de ceux qui s'en étaient si perfidement servi; les honnêtes gens, entrés de bonne foi dans la voie des réformes, surpris, effrayés même d'avoir dépasé le but que les habiles du parti leur avaient indiqué, n'avaient ni le courage de revenir sur leur pas, ni l'énergie de rester stationnaires; ils suivaient donc, avec une fatalité désespérante, l'impulsion qui les entraînait sur la pente d'inévitables catastrophes. L'ange des ténèbres semblait avoir déployé ses ailes sur la péninsule entière. Les sociétés secrètes, après avoir jeté le masque, manœuvraient alors au grand jour dans leurs mains, la réforme changeant de cocarde et de nom, était devenue républicaine.

La révolution venait d'éclater à Parme avec des circonstances analogues à celles qui avaient inauguré la République à Paris. Un menuisier, nommé Henri Mélegan, surnommé Richetti, et armé d'un fusil à deux coups, avait tué une sentinelle en faction sur la place des Armes; c'était le signal. Aussitôt le tocsin sonne le peuple s'arme et se précipite sur les troupes dont l'attitude est purement défensive. Ainsi qu'à Paris le 23 février, l'armée est sans ordres, et le chef de l'État hésite

à demander à la force le salut du sceptre que la démagogie lui dispute. Enfin, un sentiment d'humanité l'emportant sur les raisons du droit, il ordonne à ses troupes de rentrer dans leurs quartiers: c'était donner un libre cours à la tempête populaire. Voyant ainsi paralyser son courage, le prince héréditaire, brave comme le sont tous les princes de la maison de Bourbon, arrache ses épaulettes de général et les jette aux pieds de son père. «Monseigneur, lui dit-il avec un sombre désespoir, c'est la seconde fois que vous transigez avec la révolution, quand vous devez la combattre. »

Cependant croyant apaiser l'insurrection, Charles II institue une régence et la charge d'élaborer une constitution.

Le premier soin de ce pouvoir improvisé fut de s'établir en gouvernement provisoire et en comité de salut public, le second fut d'organiser une garde civique, de renvoyer les troupes autrichiennes, et de publier une constitution démocratique. Pendant ce temps, le prince régnant avait chargé son fils de porter des dépêches à Charles-Albert. Malgré sa mission et la double inviolabilité de son caractère, le prince héréditaire se voit traîtreusement arrêté par des volontaires à peu de distance de Crémone; il est arraché de sa voiture, indignement outragé, sa vie même est en danger; mais, subjugés par l'ascendant que le courage a toujours eu sur le crime, les volontaires se contentent de le conduire, garotté comme un malfaiteur, à Crémone, et de le jeter dans une chambre du palais du gouvernement provisoire. Là, après avoir souffert, pendant seize heures. de la soif et de la faim, il subit un long interroga

toire à la suite duquel il est envoyé captif à Milan. Forcé d'abandonner à son tour ses États, Charles II confie sa femme et sa belle-fille à l'honeur de ses sujets: la première gravement malade, la seconde, enceinte de sept mois, n'avaient pu le suivre. Restés maîtres de la ville, les membres du gouvernement provisoire, oubliant les respects que l'on doit même à de simples femmes, abreuvent d'humiliations les princesses que le duc a mises sous leur protection; ils leur refusent des choses indispensables à la vie et les relèguent dans les plus sombres réduits du palais, jusqu'au jour où, pour se débarrasser du soin de veiller sur elles, ils les forcent à quitter leur capitale.

Ce fut dans un cabriolet découvert, la nuit, par une pluie d'orage, que la jeune princesse, sœur du comte de Chambord, dut, malgré sa grossesse avancée, s'enfuir pour aller chercher un asile en Toscane. Immédiatement après, embarrassé de son usurpation, le gouvernement provisoire offrit le duché de Parme à CharlesAlbert, qui le garda jusqu'au lendemain de la bataille de Novarre.

Depuis que les Autrichiens avaient été repoussés de la capitale de la Lombardie, les partis vainqueurs s'occupaient sans relâche des combinaisons ultérieures relatives à la forme d'un gouvernement italien unitaire ou confédératif. Plus habile ou plus audacieux que les autres, le parti républicain faisait à Milan de notables progrès. Il était évident pour tous que son but était d'entraîner l'Italie à constituer une seule République embrassant. dans ses rayonnements territoriaux, les petits duchés, Gênes, Venise, Milan, la Toscane, Naples et Rome elle

même. N'osant avouer ses prétentions sur le Piémont, son arrière-pensée s'arrêtait aux Alpes; il avait besoin de l'épée de Charles-Albert, l'heure de la briser n'était point encore venue. Pour le moment donc il se contentait d'agir directement sur la Lombardie, Venise, Mcdène et Parme. Cependant, en Lombardie même et surtout dans les campagnes, ce parti rencontrait une grande opposition à ces tendances. D'un autre côté, le roi Charles-Albert commençait à se préoccuper sérieusement de ce mouvement; ce fut pour l'entraver qu'il engagea les Milanais et les Vénitiens à se décider promptement sur la forme du gouvernement qui devrait les régir. L'on sait comment ces peuples répondirent à son appel.

En attendant, transformant en cri de guerre le fameux Italia fara dà sè, le parti républicain appelle aux armes l'Italie toute entière; la presse dont il dispose devient un immense arsenal d'où partent chaque jour les proclamations les plus incendiaires, un exutoire d'où s'écoulent incessamment la colère et la haine. Un jour, superbe d'arrogance et posant en Brennus, elle menace la France dont, plus tard, elle mendiera les sympathies; elle lui demande de quel droit elle s'impose à la terre italienne de la Corse; l'usurpation de la Corse est un compte qu'elle veut régler, dit-elle, avec l'épée.

Quoi qu'il en soit, le peuple romain, entraîné dans le courant électrique de l'indépendance italienne, répond à l'appel que Mazzini lui lance de Milan. Prévenu, dès la veille, qu'une grande réunion populaire aurait lieu au Colysée pour aviser aux moyens de sauver la

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