Images de page
PDF
ePub

bénir les fidèles morts. Vive l'Italie ! Cette poétique antithèse est accueillie par de vives acclamations.

Le général Durando paraît à son tour; puis un jeune moine de l'Ordre des conventuels lui succède: Stefano est son nom de religion, Dumaine son nom de famille, la France est sa patrie. Sa figure est pâle et maladive, la parole sort avec effort de sa poitrine maigre et resserrée, son éloquence fiévreuse, éreintée expire sur ses lèvres; sa voix est un alto sans cordes, néanmoins le nain se fait géant, il a la prétention de représenter la France; humiliation! Après un tableau comparatif de l'Italie et de la France, il passe en revue les grands hommes et les grandes choses des deux pays; il fait défiler devant lui, sur la même ligne, Lammenais et Gioberti, Ledru-Rollin et Mazzini, Lamartine et Sterbini, les journées de février à Paris et celle de mars à Milan; il établit entre ces hommes une solidarité commune, entre ces choses un chiffre identique, qui doivent produire les mêmes conséquences, les mêmes résultats. La révolution est en France, donc l'Italie doit être en révolution, etc., etc...

Tel est le résumé du discours de ce moine présomptueux qui se pare du nom de la France. Il parle de la liberté et il provoque la licence, ce tombeau des choses libres! Il parle d'égalité, et il aristocratise son nom en le parant d'une noble particule qui ne lui appartient pas comme homme et qui serait incompatible avec son caractère religieux. Il parle de fraternité, et mauvais fils il prépare, par ses débordements, la tombe où il précipitera sa mère avant le temps! il parle de république, il vomit l'anathême contre les princes et il reçoit en seconde

main les bienfaits d'une pieuse princesse qui s'appelle Marie-Amélie, et qui les lui continue du fond de son exil de Claremont.

Ce moine orgueilleux qui joint à une prodigieuse mémoire une connaissance superficielle de toutes choses, quittera demain son habit religieux pour l'uniforme militaire et il ira, le sabre au poing, rançonner, sur sa route, les couvents de l'Ordre auquel il doit tout ce qu'il est et tout ce qu'il possède....

Le général Ferrari aborde à son tour la tribune. Général en chef, il descend au rôle d'un commis aux vivres pour discuter avec le peuple les conditions de la campagne; il le consulte sur la nature des aliments, sur l'importance de la solde. «Nous ne voulons point d'or! s'écrie le peuple, nous ne voulons point d'or, mais du feret du pain. »>«< Vous aurez l'un et l'autre, répond le général Ferrari; le pain est le muscle de la guerre, l'argent en est le nerf. Vous contenterez-vous de quinze baiocchi par tête et par jour?... » — «Du pain seulement et du fer! reprend le peuple en masse; l'or à l'esclave, le fer à l'homme libre?»-« Eh bien! s'écrie le général, puisque vous êtes si bons citoyens, vous n'aurez que dix baiocchi par jour. » Sterbini, voulant mettre fin à cette scène ridicule qui du cirque de Flavien fait un marché d'hommes, s'élance au pulpito. Son discours, largement accentué, n'est qu'une vigoureuse diatribe contre les riches et les nobles, contre les prêtres et les religieux, contre les palais et les couvents. «Frappons dans leur fortune, dit-il, ces inutilités de l'espèce humaine. Aux hommes du peuple le sacrifice du sang! aux privilégiés de la naissance le sacrifice de la richesse. Puisque ces der

niers, amollis

[ocr errors]

par les jouissances de la vie, ne sauraient payer de leurs personnes, il est juste qu'ils payent de leurs trésors...» «Oui! oui!» répéta le peuple en masse....— «Le rôle que nous leur faisons, reprend Sterbini, est encore assez beau ! la noblesse et le clergé seront les banquiers de la guerre de l'indépendance. Vive 1 Italie! >>

Le père Gavazzi reparaît une seconde fois à la tribune: «Braves Romains! s'écrie-t-il, les discours que vous avez entendus, les orateurs qui se sont succédé à cette tribune ont-ils suffisamment éclairé votre cœur? êtes-vous convaincus de la nécessité de courir aux armes? Vous sentez-vous la force de l'homme qui veut redevenir libre: le courage qui produit les grandes choses, la volonté qui rend invincible?»-« Oui! oui! oui !»-<«<Eh bien! que le sort en soit jeté, appelons-en !>> à Dieu et à son représentant sur la terre, qui bientôt va vous bénir comme il a béni l'Italie! Romains! dès aujourd'hui vous redeviendrez le peuple-roi! >>

Dans ce moment, un homme gros et fort, ayant à ses côtés un jeune homme de dix-sept ans revêtu du costume de minente, se trouvait auprès de l'orateur qui, l'apercevant, lui dit : « Arrive ici.... qui es-tu? - « L'ami du peuple.

[blocks in formation]

-«L'extermination du barbare et la délivrance de

ma patrie.

- « Pour cela que veux-tu faire?
-«Combattre, vaincre ou mourir.
— « Tu veux donc partir aussi, toi?

tirai.

« Je veux que l'Italie redevienne libre........, je par

— « Tu ne partiras pas à chacun sa place, la tienne est ici, dans Rome, Rome que les braves te confient en partant, entends-tu bien?

— « Alors je resterai, mais en vous donnant plus que moi-même; recevez donc mon sang, je l'offre à ma patrie. >>

Disant ainsi, Ciceruacchio, après avoir embrassé le jeune minente qui se trouvait près de lui, le jette dans les bras du père Gavazzi, qui le serre avec tendresse contre son cœur et le couvre de baisers. «Le fils sera digne du père, s'écrie-t-il; vive l'Italie et Ciceruacchio! >> «< Vive l'Italie et Ciceruacchio!» répète la foule attendrie.

Ce mouvement, soit qu'il fût préparé d'avance, soit qu'il fût improvisé, produisit un effet immense.... Quoi qu'il en soit, jamais scène ne fut mieux exécutée.

Après un moment de silence, le père Gavazzi, le poing sur la hanche droite et de sa main gauche rejetant en arrière ses longs cheveux noirs, continua ainsi :

<<< Romains!

« Voyez-vous ces tables de pierre, ces fûts de colonnes brisées, ces ruines antiques, ces chapiteaux épars? ce sont autant de pupitres que la patrie élève devant vous pour recevoir les noms des forts et des vaillants.

Ces noms, inscrits dans le cœur des Italiens, seront plus durables que s'ils étaient gravés sur des pages de marbre, de bronze ou d'airain. Maintenant, ô Romains, debout! sous le dôme du ciel qui nous prête les plus beaux rayons de son soleil, en présence de Dieu qui nous voit et lit dans nos cœurs, en présence des hommes qui nous entendent, devant cette croix symbolique emblème de la liberté, sur ce sol sanctifié par le sang des saints et des martyrs, jurons tous de ne rentrer dans Rome qu'après avoir égorgé jusqu'au dernier des barbares. »

Dans ce moment, les drapeaux et les bannières flottent sur tous les fronts, le peuple tout entier se lève, la main droite dirigée vers la croix dressée au milieu du Colysée, et, d'une seule voix, il répète la formule du serment que vient de prononcer le père Gavazzi.

Le Colysée présenta ce jour-là un spectacle sublime. Oh! si ces hommes à la tête de feu, au cœur volcanique, eussent été profondément convaincus ! s'ils avaient subi d'autres inspirations que celles de l'ambition des uns et de la perversité des autres; si le bonheur sagement déterminé de la patrie eût été le seul mobile des rhéteurs de la révolution; s'ils avaient enfin laissé toute liberté d'action à la pensée dirigeante qui présidait du Quirinal aux destinées de la péninsule; la journée du 23 mars à Rome eût eu des conséquences solennelles pour l'Italie! Que de sacrifices en pure perte, que de ruines inutiles, que de catastrophes sanglantes eussent été évités! Jamais éloquence politique n'eut de plus beaux mouvements! jamais assemblée populaire ne fut plus imposante! mais à cette éloquence il manquait la première des conditions, la vérité, comme à cette

[ocr errors]
« PrécédentContinuer »