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du parti révolutionnaire, puissamment aidés par l'arrivée d'un nommé Fiorentino, Italien de naissance, mais Français par domicile, s'étaient constitués en permanence. Il se précipite dans la salle du conciliabule en s'écriant: Mort aux barbares et vive la révolution ! Ses clameurs sauvages étouffent la voix plus calme de ses complices; l'un d'eux même, Mamiani, prenant la parole, lui recommande la prudence et la modération. <«< Notre cause est gagnée, dit-il, ne la compromettons pas aux yeux de l'Europe qui nous contemple; en révolution, les sacrifices de sang finissent toujours par se tourner contre les sacrificateurs; il est rare alors que les bourreaux ne deviennent pas à leur tour les victimes. Les excès produisent toujours la réaction. »

Insensible à ces paroles dictées cependant par la raison, le farouche tribun persiste dans sa violence. « Il n'y a qu'un moyen de sauver la révolution, s'écrie-t-il, et de délivrer Pie IX des ennemis qui le perdent en ruinant la cause sacrée du peuple ; les prêtres se sont mis en travers la liberté, il faut les massacrer pour que la liberté passe

«Est-ce votre opinion? lui demande Mamiani avec un geste d'horreur.

« C'est mon opinion, répondit froidement Ciceruacchio.

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« Et qui les tuera ces prêtres?

« Moi-même, si la patrie l'ordonne.

<«< Vous-même! vous pensez donc pouvoir les tuer tous?..

<< Tous, non; ce serait impossible.

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Le sang-froid de Mamiani calma tout à coup l'exaltation fébrile du tribun qui eût arrosé de sang la ville que le père Gavazzi lui avait naguère confiée.

Cependant les délibérations de la réunion centrale se poursuivent dans l'immense salle du cercle des commerçants. L'état-major et les principaux officiers de la garde civique assistent à cette séance fatalement solennelle. Ainsi que Ciceruacchio et ses accolytes, les membres du cercle populaire, en armes, ont remplacé par les couleurs vertes, blanches et rouges la médaille de Pie IX et les couleurs jaunes et blanches qui pavoisaient leurs poitrines; de temps en temps ils font entendre de sourds murmures et prononcent de lugubres menaces contre la vie des cardinaux. Mamiani et Sterbini siégent aux côtés d'Orioli appelé par acclamation au fauteuil de la présidence. Une population immense, inquiète et sombre se presse dans toute la longueur du Conso, depuis la Porte du Peuple jusqu'à la Place de Venise. En ce moment critique Fiorentino demande la parole, et par une brillante improvisation, qui dura près d'une heure, il rallie toutes les oppositions.

Alors Mamiani, Sterbini, le duc de Rignano et Ficrentino lui-même sont élus pour aller signifier aux ministres l'ultimatum du peuple, demandant: la sécu– larisation entière du nouveau ministère, la démission du cardinal Antonelli, le renvoi de l'ambassadeur d'Autriche et une déclaration de guerre insérée dans la Gazette officielle. Les ministres répondirent que, pour éviter à la ville et aux États romains les horreurs de

de l'anarchie, ils avaient consenti à reprendre provisoirement le pouvoir; qu'ils espéraient amener le Saint Père à toutes les transactions compatibles avec son double caractère de chef spirituel et de souverain temporel ; qu'ils demandaient au peuple, qui leur avait accordé jusqu'alors sa confiance, un délai de deux jours, et que, s'ils ne réussissaient pas, ils se retiteraient en masse. Ils ajoutèrent, qu'ils avaient échangé leur parole avec le cardinal Antonelli, de quitter ou de reprendre les affaires ensemble: que la démission du cardinal entraînerait par conséquent celle de tout le ministère; que c'était pour eux tous un engagement d'honneur et que sur ce point ils ne pouvaient faire aucune concession.

Après de longs pourparlers on approuva la rédaction suivante de la note à insérer dans la Gazette officielle relativement à la déclaration de guerre contre l'Autriche.

« Le ministère avec son président, unanime aujourd'hui comme par le passé, sur toutes les questions, s'occupe en ce moment, avec un cœur italien, de prendre toutes les mesures que dans sa conscience il croit NECESSAIRES OU UTILES au bien de l'État et au triomphe de la cause italienne. >>

L'esprit de vertige, la fiévreuse précipitation des hommes, qui réglaient à cette heure les destinées de Rome, étaient telles, qu'ils n'aperçurent point le pléonasme qu'ils intercalaient dans ces quelques lignes.

Il était sept heures un quart lorsque la députation se rendit au sein de l'assemblée pour annoncer au peuple. la réponse des ministres. Une foule immense occupait toujours les avenues du Corso. Alors élevant la voix, Fiorentino lut la note qu'on avait obtenue des ministres,

et comme elle soulevait des clameurs, Sterbini en quelques paroles prouva que, pour le moment, on ne pouvait espérer ou demander autre chose sans compromettre le terrain qu'on avait déjà gagné. Plusieurs orateurs s'étant succedé et ayant développé des motions plus violentes les unes que les autres, Fiorentino résuma la discussion par cette harangue énergique : « Voulez-vous une révolution, voulez-vous l'anarchie, voulez-vous l'intervention étrangère? Non, non, répondit-on, point de révolution, point d'anarchie, point d'étrangers en Italie. Eh bien, répliqua l'orateur, accordez donc une trêve de deux jours aux ministres qui ont votre confiance, ce terme leur est nécessaire pour résoudre d'immenses difficultés. » Réclamé à la croisée par les cris de la rue pour répéter à la foule ce qu'il venait de dire à l'assemblee, Fiorentino pria Ciceruacchio de lui servir d'interprète : « Impossible, mon cher, s'écria le tribun; lorsqu'il s'agira de débarrasser le pauvre Saint Père des fripons qui l'entourent, à la bonne heure, je serai votre homme; mais aujourd'hui je ne saurais faire un discours aussi bien que vous. » Cependant forcé de se rendre à l'invitation générale il traduisit ainsi toutes les propositions de la journée : « Mes amis, pour brûler une paillasse il suffit d'une allumette, mais il paraît qu'il faut trois jours pour renverser un gouvernement: attendons. >>

Sur ces entrefaites, le père Ventura, le comte Amari, le baron Pisani, députés de la Sicile; Thomas Azzoni et Albert Quinterio, représentants de la Lombardie, Delfin Bolda et Castellani, délégués de Venise, remettent au Saint Père une adresse énergique, tendant à lui

prouver que la déclaration de guerre contre l'Autriche n'était point incompatible avec son caractère de chef suprême de l'Église. L'avocat Petrocchi publie une brochure dans le même sens. Angelo Fiorentino va plus loin, il livre à la publicité une espèce de libelle, terminant par ces mots: « Puisque Pie IX ne peut pas sauver les Italiens, les Italiens doivent se sauver sans lui. » Un déluge d'écrits incendiaires circulent dans la ville: les cafés, les cercles, les établissements publics en sont inondés ; les bruits les plus alarmants se succèdent et se propagent d'heure en heure. On raconte que le Saint Père, prisonnier pour ainsi dire au Quirinal, à trompé la surveillance de ses gardiens et qu'il s'apprête à s'éloigner de Rome. Les postes sont partout doublés et les troupes, reçoivent, au sujet de la prétendue fuite du souverain, l'ordre de faire de leurs corps une barricade humaine pour empêcher la voiture pontificale de passer outre... Pendant quarante-huit heures Rome se trouve dans la plus complète anarchie.

Seul au milieu de ce conflit le Pontife a conservé la sérénité de son âme. Supérieur aux événements qui l'assiégent en quelque sorte dans son palais, il possède intacte la liberté de son esprit.

Dans cet état de choses et voulant mettre un terme à l'effervescence populaire, qui menaçait de se traduire en insurrection ouverte, le souverain Pontife manda aù Quirinal le cardinal Altieri, président de Rome, et Comarca. Son Éminence se rendit aussitôt à l'appel du Souverain, qui le pria d'accepter la présidence du conseil. « Le poste auquel votre volonté m'appelle, répondit le cardinal, est difficile et dangereux, trés-saint Père,

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