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c'est un double motif pour que je l'accepte. Je crains cependant que l'impopularité de mon nom, vis-à-vis les cercles et les clubs, ne soit un obstacle à l'esprit de conciliation que Votre Sainteté désire.

» D'autant plus que Mamiani a déclaré de la manière la plus formelle que le titre de prêtre devait être inconciliable avec celui de ministre. >>

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« A ce sujet nous entendrons Mamiani lui-même. répliqua le Saint Père, car je vais le faire prier de venir au palais: une heure après Mamiani, se rendant à l'appel du Saint Père, fut annoncé par le maître de la chambre: Pie IX lui présenta immédiatement le cardinal en lui disant: «Vous arrivez bien à propos, monsieur le comte. pour m'aider à décider son Éminence à faire partie du cabinet: elle accepterait si elle ne se croyait antipathique à l'opinion publique, qu'en pensez-vous? » — « Trèssaint Père, répondit le comte en s'inclinant, le nom du cardinal Altieri est un de ceux qui rallient tous les suffrages: puis oubliant tout à coup qu'il avait déclaré lui-même le sacerdoce incompatible avec les fonctions de ministre, il ajouta: Quant à moi je m'estimerais fort honoré de regarder, dès à présent, Son Éminence comme un collègue, et je me fais fort de lui rallier, dans la soirée, toutes les opinions. » Enfin, après un entretien de deux heures, pendant lequel le cardinal souleva contre lui-même un grand nombre d'objections contre son entrée au conseil, il finit par se soumettre au désir de Pie IX, autant par dévouement que par devoir.

Le lendemain de grand matin le cardinal Altieri reçut du cardinal Antonelli un petit billet qui en contenait un fort curieux de Mamiani. Celui-ci, revenant sur ses en

gagements de la veille, disait que, contrairement à ses désirs et à som attente, ses amis politiques s'étaient montrés tellement hostiles aucardinal-président de Rome, qu'il se trouvait personnellement vis-à-vis de celui-ci dans le plus grand embarras. Il finissait par supplier le cardi nal Antonelli de venir à son aide, en lui indiquant le parti qu'il devait prendre. La réponse du cardinal Altieri ne se fit pas attendre: prenant une plume il pria le cardinal Antonelli de remercier en son nom le comte Mamiani, qui le délivrait d'une immense responsabilité en lui procurant les moyens de décliner un honneur qu'il n'avait jamais désiré. Il recommandait en même temps, pour remplacer le sien, le nom du cardinal Orioli, adopté provisoirement par Mamiani lui-même. Cette nouvelle combinaison compléta le ministère de la manière suivante :

Le comte Terence Mamiani, à l'intérieur.

Le comte J. Marchetti, aux affaires étrangères. L'avocat de Rossi, au département de grâce et justice. L'avocat Lunati, aux finances.

Le prince Doria, à la guerre.

Le duc de Rignano, au commerce et travaux publics L'avocat Galetti, à la police.

Le comte Mamiani était l'âme et la tête de ce nouveau ministère. Natif de Pesaro, il avait fait ses études au collége romain. Honnête homme au point de vue du monde, mais d'une ambition égale à son amour de la popularité, Mamiani entre tous les amnistiés du 46 juillet fut le seul qui bénéficia du généreux décret, sans avoir pris l'engagement d'honneur exigé par le souverain Pontife.

Philosophe profond de l'école éclectique, poëte et prosateur élégant, orateur habile, esclave et maître de sa parole, ne livrant jamais rien au hasard, procédant toujours avec calcul, géométriquement, Mamiani était homme d'État plutôt par antuition que par expérience. Doucereux en apparence il était en réalité acerbe et dur. Petit de taille, élégamment serré dans ses habits, ses petites mains carressaient sans cesse ses petits favoris, sa petite moustache et la petite perruque qui coiffait son petit front. A le voir sans l'entendre on l'aurait pris volontiers pour un diplomate de Liliput, plutôt que pour le premier ministre de Rome. Cependant travailleur infatigable, le comte Mamiani eût peut-être fait un excellent homme d'État, si marchant d'accord avec la pensée du souverain Pontife il eût été moins personnel et plus chrétien.

Le jour même de son installation au ministère, la garde civique de Rome lui présenta une adresse à la quelle il répondit par le programme suivant :

<«< Les nouveaux ministres que Sa Sainteté a daigné appeler au gouvernement professent les memes principes d'amour de la patrie, de liberté, d'ordre et de justice, sous l'inspiration desquels leurs prédécesseurs régissaient la chose publique. Le nouveau ministère a par-dessus toute chose à cœur la sainte œuvre italienne, au triomphe de laquelle il dirige en première ligne tous ses soins et ses pensées, convaincu qu'il ne faut pas se contenter des effets d'une première ardeur, mais qu'il faut les répéter, les accroître incessamment avec un zèle infatigable.

» Il s'occupera également du développement régulier

et pacifique avec franchise et sans lenteur des libertés publiques et de la nouvelle vie constitutionnelle dont nous sommes redevables à l'âme généreuse de notre souverain immortel.

>> Il sondera les maux du peuple et particulièrement ceux des classes plus humbles, et avec l'aide des deux chambres il s'efforcera autant que possible de guérir dans le bas peuple les plaies profondes de l'indigence, de l'abjection et de l'ignorance.

>> Pour l'Italie et pour Rome surtout, siége auguste de la religion catholique, c'est un devoir, nous dirons même un droit de ne le céder à aucun autre pays, en progrès et perfectionnements sociaux et civils. C'est en s'appuyant sur l'histoire, sur les traditions, sur le légitime orgueil de la race romaine que les ministres conçoivent une espérance bien fondée, en proposant quelques-uns de ces réglements sociaux et politiques que le siècle impatient demande à la science moderne.

» Mais pour cela il faudra que la confiance du peuple, l'obéissance et la soumission aux lois, l'union et le courage civil de tous les gens de bien leur viennent en aide.

» Les nouveaux ministres, qui n'oseraient certainement pas exprimer de telles exigences en leur nom, le font et les maintiennent au nom du salut et de la gloire de l'Italie.>>

Le thème de ce programme était, en quelque sorte, le résumé de l'adresse qui lui avait servi de sommaire; il en était, pour ainsi dire, un calque parfait reproduisant les mêmes teintes, les mêmes nuances, les mêmes expressions. Le peuple romain ne se méprit point sur l'esprit qui avait dicté l'un et l'autre, ce qui ne l'em

pêcha point de les accueillir avec enthousiasme. La tranquilité publique commençait à renaître, lorsqu'on reçut de tristes nouvelles du théâtre de la guerre: les troupes romaines, aux ordes du général Ferrari, complétement démoralisées, après avoir subi divers échecs, s'étaient débandées à l'affaire de Cornuda; huit cents hommes même, dont la plus grande partie appartenait aux provinces, s'étaient si promptement retirés devant l'ennemi, qu'ils avaient couvert de ridicule, par leur fuite honteuse, le grand nom qu'ils avaient eu la prétention de ressusciter.

Ces nouvelles répandirent la consternation dans la ville, qui se croyant sûre de la victoire préparait déjà, pour ses fils glorieux, les palmes et les triomphes capitoliens. Alors, ainsi qu'il arrive toujours à la suite d'un revers imprévu, une polémique maladroite s'engagea entre plusieurs publicistes, qui, combattant avec leurs plumes, traitèrent d'infâmes les vaincus de Cornuda. Les autres, et le célèbre professeur Orioli fut de ce nombre, cherchèrent à pallier les hontes de la défaite en les rejetant sur l'inexpérience des volontaires et sur le désaccord qui régnait entre eux. Quoi qu'il en soit, il fut répandu, à cette occasion, de part et d'autre beaucoup plus d'encre qu'il n'avait été versé de sang sur le champ de bataille.

Les divers chances de la guerre, contraires aux armes des indépendants, commencèrent alors à refroidir singulièrement l'arrogance des journaux italiens, qui, dans le principe, ne voulant devoir la conquête de leurs libertés qu'aux efforts communs de la patrie, repoussaient avec mépris, avec menaces même, les sympa

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