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Dès les huit heures du matin, les membres du corps diplomatique et un grand nombre de personnages distingués s'étaient réunis dans la salle du palais de la Chancellerie, où devait avoir lieu cette cérémonie. A midi et demi, Son Éminence le cardinal Altieri, délégué' par Sa Sainteté pour la représenter dans cette occasion mémorable, apparut accompagné des ministres. Un instant après, suivant le cérémonial indiqué, s'étant assis et ayant fait asseoir les membres de l'assemblée, il lut d'une voix ferme et pleine de dignité le discours suivant :

«Messieurs les membres du Haut-Conseil,
» Messieurs les députés,

>> Sa Sainteté m'envoie auprès de vous, chargé de l'agréable et flatteuse mission d'ouvrir en son nom les deux conseils législatifs. Le Saint Père veut en même temps que je vous exprime combien cet acte d'autorité souveraine est satisfaisant pour son cœur, puisqu'il lui donne lieu d'espérer que, grâce à votre concours, il verra s'améliorer le gouvernement de la chose publique.

>> Sa Sainteté se félicite avec vous, messieurs, et rend grâce à Dieu de ce que le moment soit venu d'introduire dans ses États les formes politiques qui, tout en étant requises par l'exigence des temps, sont conciliables aveć la nature de son gouvernement pontifical. C'est à vous, messieurs, qu'il appartient désormais de fertiliser ces institutions nouvelles et d'en retirer tout le bien que Sa Sainteté avait en vue en vous les accordant.

» Le Saint Père ne cessera d'adresser au Dispensateur de toutes les lumières des prières ferventes pour

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qu'il répande dans vos intelligences l'esprit de véritable sagesse, afin que les lois et les institutions dont vous vous occupez soient empreintes du caractère de la religion et de la justice, seules bases solides et véritables de toute sécurité, de toute liberté et de tout progrès.

>> Le Saint Père a ordonné à ses ministres de vous mettre au courant de tout ce qui a rapport à l'état de notre législation et de l'administration publique. Il leur a particulièrement enjoint de vous soumettre l'état des finances dans le but de vous proposer les moyens les plus convenables de rétablir l'équilibre en aggravant le moins possible les charges des populations. Il a également recommandé aux ministres de vous présenter, dans un bref délai, les projets de loi annoncés par le statut fondamental.

» Le Saint Père recommande à votre loyauté et à vos soins incessants l'ordre et la concorde intérieurs: avec la concorde, messieurs, la liberté tournera au profit de tous, avec elle se développeront les bonnes lois, les larges réformes, les sages institutions. Instruits par l'expérience, soutiens de la sainte religion dont le siége est dans cette ville, vous pourrez espérer que Dieu ne vous refusera pas la plénitude des biens nécessaires pour vous rendre les dignes émules de la gloire de vos aïeux. »

De nombreux applaudissements accueillirent ce discours, programme dont chaque phrase renfermait une pensée digne de la belle âme du pontife. Oh ! si fidèles à la sainte mission qui leur était confiée, à la ligne de conduite qui leur était si libéralement tracée les représentants de la nation avaient résisté, comme

ils le devaient, à la fièvre révolutionnaire qui rongeait le corps social, les Romains seraient arrivés sans secousse, progressivement à la possession complète de cette liberté que des ambitieux ont voulu leur imposer, plus tard, avec des ruines et du sang!

La veille de l'ouverture des deux Chambres, le souverain Pontife avait publié un motu proprio pour régler, suivant l'article 64 du statut fondamental, la loi sur la presse. Cette institution était si large, elle jouissait d'une telle liberté, que les directeurs des journaux n'étaient soumis à aucun cautionnement, et que l'amende la plus considérable, perçue pour outrages à la religion, à ses ministres ou au souverain, n'excédait pas la somme de cent écus romains.

Le 9 juin, les deux Chambres se rendirent, pour entrer en fonction, chacune dans le local qui lui avait été assigné. Le Haut-Conseil, au collége de l'Appolinaire; celui des représentants, au palais de la Chancellerie. Les députés se trouvèrent presque tous à leur poste. A midi et demi, le président d'âge, Albini, assisté de l'avocat Armellini et du comte Potenziani, monta au fauteuil : les deux plus jeunes députés, remplissant les fonctions de secrétaires, se placèrent l'un à droite, l'autre à gauche du bureau. Quatre sténographes prirent place autour d'une table ronde posée en avant de la tribune, au bas de l'escalier qui y conduisait. Cinq ministres et cinquante-deux députés assistaient à cette séance. Les tribunes réservées au public étaient magnifiquement garnies; celle du corps diplomatique se trouvait au grand complet. L'intérêt était

d'autant plus grand qu'on savait que le ministère devait lire son programme Le président s'étant assis, le comte Mamiani, d'une voix sonore, largement accentuée, lut son discours remarquable par une perfidie habilement déguisée sous le voile des sentiments religieux et sous celui de la franchise politique.

Après avoir dit que Pie IX, comme père de tous les fidèles, se retranchait dans les hautes régions de son autorité céleste, qu'il régnait dans la sphère pacifique et sereine du dogme, et distribuait au monde le pain de la parole divine, qu'il priait, bénissait et pardonnait, Mamiani ajoutait que le pape, comme souverain constitutionnel du pays, abandonnait à la sagesse des députés le soin de pourvoir à la plus grande partie des affaires temporelles !!!! Cette assertion, contraire, en tous points à la vérité, était le prélude des hérésies politiques dont cette harangue abonde.

Relativement à la guerre, le ministre ajoutait : « Vous n'ignorez pas, messieurs, comment, pour nous conformer à la sollicitude paternelle de Sa Sainteté, nous avons confié au roi Charles Albert le commandement immédiat de nos troupes et de nos volontaires, et les avons placés sous sa sauvegarde, tout en réservant au pontife et à son gouvernement les droits et les prérogatives qu'exigent sa dignité et la nôtre, ainsi que vous pourrez en juger d'après les termes de la convention, dès que vous en aurez pris connaissance. Du reste, à peine pouvons-nous dire que nous avons dignement secondé l'ardeur impatiente de nos cités.

>> Il y a dans l'histoire des peuples de ces moments suprêmes dans lesquels l'esprit national les envahit et

et les remue si profondément, que non-seulement toute force résistante et antagoniste est brisée, mais qu'elle devient même un stimulant de l'action contraire.

>> Alors une seule pensée s'empare des esprits, un seul sentiment brûle dans tous les cœurs, et cette unanimité si soudaine, si vive, si féconde en merveilles, paraît en quelque sorte, à ceux-là même qui y participent, tenir du prodige, et poussés par un enthousiasme sacré, ils jettent ce cri si puissant et adoptent cette noble devise: Dieu le veut!

>> Le souverain Pontife, témoin d'un de ces mouvements irrésistibles, mais en raison de son ministère sacré, ayant horreur de la guerre et du sang, a eu l'idée digne d'un cœur apostolique et à la fois italien de s'interposer entre les combattants et de faire comprendre aux ennemis de notre commune patrie la cruauté de l'inutilité de leurs efforts pour priver les Italiens de leurs frontières naturelles ou pour les empêcher de former désormais, dans l'unité et la concorde, une seule et grande famille. Dès que le ministère a été instruit de cette démarche de Sa Sainteté, il s'est empressé de lui en témoigner sa reconnais

sance. >>

Plus loin, Mamiani, paraphrasant le fameux Italia fara da se, ajoute : « Ce que nous avons en commun, avec tous les bons Italiens, le plus à cœur, c'est qu'on nous laisse à nous-mêmes le soin de pourvoir à nos propres destinées. >>

Puis faisant allusion à la France qu'il ne nomme point, mais qu'il désigne clairement, il poursuit : « La plus grande des infortunes qui pourraient arriver en ce

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