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Le lendemain matin, quelques maisons du Corso avaient conservé leur physionomie de réjouissance, le son des cloches vibrait encore, lorsqu'on apprit que courrier, parti de la porte Angelica et rentré par celle du Peuple, avait reçu des mains de Mamiani trois piastres pour apporter une fausse nouvelle. En effet, la victoire si pompeusement célébrée n'était en réalité qu'une épouvantable défaite. Jamais un peuple sérieux ne fut plus singulièrement abusé que ne l'avait été le peuple romain, jamais une déception semblable ne fut infligée à une population entière. L'armée de l'Autriche, bien loin d'être anéantie, venait de remporter une éclatante victoire.

. D'un seul coup la sanglante bataille de Custoza avait privé Charles-Albert des avantages militaires qu'il avait mis trois mois à gagner. Toute la ligne d'opération de l'armée piémontaise était coupée, le Mincio traversé en plusieurs endroits, Peschiera reprise, le matériel préparé à grands frais pour entreprendre le siége de Mantoue perdu, et le vieux maréchal Radetzki, malgré les fatigues d'une bataille de quatre jours livrée sous un soleil dévorant, se trouvait en état de poursuivre sans résistance le cours de ses succès. Trois jours s'étaient à peine écoulés qu'il chassait l'armée royale de Bozzolo, de Crémone et faisait passer l'Oglio à son aile droite; il ne laissait plus à Charles-Albert d'autre parti à prendre que celui de se retirer sur l'Adda, où les fortes positions de Crême, Lodi et Pizzighettone pourraient lui permettre de rallier son armée dispersée, rompue et devenue méconnaissable.

Pendant ce temps, la plus grande confusion régnait

dans Milan. Les mesures de vigueur décrétées par le comité de défense publique n'avaient suscité qu'un mouvement désordonné et dominé par la terreur. Les gardes nationaux et les conscrits lombards, découragés, manquaient d'élan et d'enthousiasme. Les paysans, bien loin de se lever en masse, appelaient de tous leurs vœux les Autrichiens qui possédaient leurs sympathies. Le patriotisme se perdait en clameurs, en dénonciations et en prises d'armes tumultueuses: au lieu de marcher résolument au combat, les républicains préparaient les balles régicides qui devaient menacer quelques jours plus tard la poitrine de Charles-Albert, dont le brillant courage, rehaussé par l'intrépidité de ses deux fils, s'était si généreusement consacré à la cause de l'Italie, cause perdue par la lâcheté des uns, la faiblesse des autres, et surtout par la conduite oblique du parti républicain. C'était ce parti qui, trois mois auparavant, dans le conseil du roi, avait repoussé les conditions du cabinet de Vienne, sous le prétexte que l'Italie se trouvait trop à l'étroit dans la carte géographique de l'Europe.

En effet, le 24 mai précedent le Baron Hummelauer, autorisé en cela par le baron Pillersdorf, ministre de l'intérieur, et en même temps président du ministère impérial, avait soumis au cabinet de Saint-James le memorandum suivant comme base de la médiation proposée : « La Lombardie cessera d'appartenir àl'Autriche. Elle sera libre de rester indépendante ou de s'unir à tel État de l'Italie qu'elle croirait devoir choisir. Elle se chargera d'une part proportionnelle de la dette autrichienne. L'État vénitien restera sous la souveraineté de l'empereur; il aurait une administration séparée, tout

à fait nationale, réglée par les réprésentants du pays, sans l'intervention du gouvernement impérial, et réprésenté auprès du gouvernement central de la monarchie par un ministre qui dirigerait ses relations avec ce gou

nement.

» L'administration vénitienne aurait pour président un archiduc, vice-roi, qui résiderait à Venise en qualité de lieutenant de l'empereur. L'État vénitien paierait ses propres dépenses et contribuerait à celles de l'empereur pour 200,000 livres par an. Il prendra pour son compte une partie de la dette nationale. L'armée vénitienne sera entièrement nationale, mais soumis au ministre de la guerre. »

Ces conditions étaient d'autant plus acceptables que le gouvernement britannique, faisant taire ses sympathies pour les plus nobles efforts des Vénitiens, avait répondu aux appels réitérés du gouvernement provisoire de Venise qu'il ne pouvait rien faire pour le rétablissement de la république de Saint-Marc, attendu que les grands principes de la politique devaient être suivis aux prix des sentiments les plus pénibles et des plus vifs regrets. Dans cette circonstance lord Palmerston avait déclaré de la manière la plus explicite, que Venise ne devait et ne pouvait pas compter sur les forces de la Grande Bretagne.

Au point de vue de la nationalité italienne le rejet de ces négociations qui prouvaient la condescendance et la bonne foi du cabinet autrichien, est une faute énorme dont le parti républicain de la jeune Italie sera seul responsable aux yeux de la postérité. Les prétentions de ce parti, déclarant que l'Europe était trop grande et

I'Italie trop petite, sera pour l'avenir un sujet perpétuel d'étonnement. Et il faut bien le dire, jamais parti ne s'est montré plus incapable, plus ignorant, płus au-dessous des circonstances. Composé d'éléments multiples, hétérogènes, recrutés par l'ambition dans la phalange des avocats, des médecins, des poëtes et des rhéteurs, ce parti, en haine de la religion et de la monarchie, a perdu l'Italie.

Dans ce même temps un aventurier, Garibaldi, et un homme, dont le nom devrait être exécré par tous les Italiens, Mazzini, firent un chaleureux appel à la jeunesse italienne. « Venez, venez, s'écriait celui-ci, accourez-tous des provinces de Comasco, de Brescia, de Bergame, en un mot, de toute la Lombadie, Génois, hommes de Piémont, de Parme, de Modène, de Toscane, allons, marchons au camp de l'Italie, au boulevard des Alpes; nous saurons le défendre et, s'il le faut, le franchir. »

Ainsi disait cet homme qui osait avouer hautement. que le renversement de la papauté et la destruction des monarchies italiennes était le but suprême de ses efforts. le terme de ses espérances. Il agissait ainsi, alers que son parti mettait tout en œuvre à Rome pour compromettre Pie IX dans une lutte si suspecte dans son but et dont les résultats sinistres étaient connus de quiconque ne se laissait point aveugler par la folie de l'orgueil et par les extravagances de l'ambition.

Les armées de l'Italie, si braves qu'elles fussent, devaient être inévitablement vaincues, non point seulement, parce que la force motrice de l'unité manquait à l'ensemble de leur pensée et de leur action, mais sur

tout, parce que les chefs qui s'étaient mis à leur tête, s'étaient fait de l'autel et du trône pour arriver à l'indédance de la patrie un piédestal qu'ils auraient brisé le lendemain de la victoire. La preuve, que ces hommes voulaient autre chose que l'indépendance du territoire italique, se trouve clairement énoncée dans leur refus des conditions honorables que leur avait offertes le cabinet de Vienne. Le dieu des bataillons, ce dieu, qu'ils prenaient sans cesse à témoin de la justice de leur cause, ne pouvait bénir leurs efforts suprêmes, car leurs lèvres hypocrites d'accord avec leur cœur mentaient audacieusement dans les rapports de l'homme avec la divinité, dans ce que la conscience a de plus saint et de plus sacré, la prière.

Les Mazziniens, rêvant la république, ont perdu Italie que Pie IX seul à la tête de l'élément monarchique pouvait sauver.

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