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le comte Rossi accepta, dans un nouvel entretien qu'il eut avec le Saint Père, la direction des affaires et les lettres de naturalisation dont il avait besoin dans sa nouvelle position, autant pour sa garantie personnelle que pour la sûreté de sa famille.

Les conditions qu'il proposa dans son prémier programme au pape ne furent pas acceptées; alors s'estimant heureux de pouvoir décliner l'immense responsabilité qu'il n'avait pas ambitionnée, il se retira à l'hôtel d'Angleterre.

Dans cet intervalle, les événements ayant subi de notables modifications, le père Vaures fut de nouveau chargé d'inviter le comte Rossi à se rendre au Quirinal. L'ex-ambassadeur, supposant avec raison qu'il s'agissait de renouer les négociations, refusa d'abord, mais sur les instances pressantes du moine français, il lui dit : << Vous m'avez toujours donné d'excellents conseils : dites-moi ce que je dois faire? - Vous rendre à l'appel du pape et accepter le poste qu'il vous offre, répondit le père Vaures.

<< La situation est si difficile !

<«< Raison de plus, d'ailleurs l'esprit de Dieu vous dirigera.

- «Que sa volonté soit faite!» répliqua Rossi; et, pressant la main du père Vaures, il ajouta ces paroles de l'Évangile In verbo tuo, laxabo rete; puis se rendant aussitôt chez le pape, il accepta définitivement la direction du cabinet constitué de la manière suivante :

Le cardinal Soglia, président et secrétaire d'État ; Ciccognani, grâce et justice ;

Montanari, commerce ;

Le prince de Rignano, travaux publics et la guerre, par intérim ;

Guarini ministre sans portefeuille ;

Rossi se réservait l'intérieur, la police, et, par intérim, les finances.

Dès lors, l'ex-ambassadeur de France, devenu ministre, se mit à l'œuvre avec courage, et fort de sa conscience, secondée par sa prodigieuse habileté, il espéra, sans trop de présomption, arriver à l'accomplissement de l'œuvre la plus difficile qui se fût jamais trouvée dans un pays complètement désorganisé. D'un dévouement sans bornes à la personne du pontife, d'un zèle infatigable, d'une activité à toute épreuve, il se rendait chaque jour au Quirinal pour imprimer lui-même aux divers rouages de la machine gouvernementale l'impulsion rapide de sa puissante volonté. Insensible aux cris de colère, aux injures, aux menaces même de la presse démagogique et des hommes du mouvement, il marchait fièrement devant lui d'un pas ferme sur le terrain qui s'était écroulé sous ceux qui l'avaient précédé. Quelques jours à peine s'étaient écoulés depuis son entrée au ministère, que l'influence de son habileté pratique se faisait déjà sentir dans toutes les branches de l'administration. Les premiers à répondre à son appel et jaloux de concourir au bien de l'État, les divers ordres du clergé et les corporations religieuses, venant à son aide, offrirent au Saint Père une somme de vingt-un millions six cent mille francs.

Dans le même temps, le ministre infatigable, voyant tout et faisant tout par lui-même, projetait la réorganisation civile de l'État romain et négociait à Naples, Florence et Turin les bases d'une confédération des États

italiens, répondant ainsi victorieusement, sur ce dernier point, aux griefs des clubs qui cherchaient à le représenter comme hostile à la ligue et par suite à l'indépendance italienne. D'un autre côté, maître sur ce terrain, il revendiquait, en faveur du pape, l'initiative de la pensée première de la ligue, prouvant que le souverain Pontife n'avait rien négligé pour concilier les conditions de justice, de sagesse et de dignité qui seules pouvaient en assurer le succès. C'est ainsi que, le 4 novembre, il réfuta, par une note redigée avec un talent remarquable et insérée dans la Gazette de Rome, les prétentions du ministère piémontais qui, dans la séance du 24 octobre, en plein sénat, en avait réclamé tout honneur. Il établit de la manière la plus péremptoire, que non-seulement le pape était le promoteur de la ligue, mais qu'il avait vu ses efforts échouer contre les exigences insensées du cabinet de Turin. Ce cabinet, en effet, voulait qu'on déclarât la ligue en principe, et, passant le royaume de Naples sous silence, il demandait qu'on lui envoyât immédiatement des troupes et de l'argent. Après avoir clairement démontré combien il était absurde de vouloir se passer du concours de l'État le plus puissant de la péninsule, après avoir fait comprendre que l'autonomie italienne et l'agrandissement du Piémont n'étaient pas des termes identiques et inséparables, l'auteur de cette note, chef-d'œuvre d'habileté politique, ajoutait :

« Le projet du souverain Pontife est clair et des plus simples, il peut se résumer en peu de paroles. Il y aura une ligue parmi les monarchies constitutionnelles et indépendantes les unes des autres. Les plénipotentiaires de chaque État indépendant se rassembleront en réu

nion préliminaire à Rome pour délibérer les intérêts communs et établir les conditions organiques de la ligue. Toute chose faite a son commencement: par cette voie droite et claire, on arrive au but; on s'en éloigne en en adoptant une autre, et, dans ce dernier cas, l'Italie, tant de fois victime de tant d'erreurs, aurait à gémir sur une erreur de plus.

>>> Concluons: Pie IX n'abandonne pas son noble et généreux dessein, qui est et fut toujours de pourvoir, par la ligue politique italienne, à la sûreté, à la dignité, à la prospérité de l'Italie et des monarchies constitutionnelles de la Péninsule. Pie IX n'est pas dirigé par des vues d'intérêt privé ni d'ambition, il ne recherche, il ne désire, il ne demande que le bonheur de l'Italie et le développement régulier des institutions qu'il a données à son peuple. Mais en même temps il ne saurait oublier ce qu'il doit à la dignité du Saint-Siége et à la gloire de Rome. Toute autre proposition incompatible avec ce devoir sacré ne pourrait être adressée qu'en vain au souverain de Rome et au chef de l'Église. Le suprême pontificat est la seule grandeur qui soit debout et qui, restant à l'Italie, lui attire le respect et les hommages de l'Europe et du monde catholique; jamais Pie IX, comme pontife souverain et comme Italien, ne saurait l'oublier. >>

Certes, ce langage était noble, digne et logique; cependant il ne satisfit point les chefs du parti extrême qui, réunis à Florence et Turin, préparaient, inter scyphos, les jours mauvais qui devaient conduire à la république. Le nom seul des hommes violents que les cercles de Rome avaient envoyés au congrès confédé

ratif pour les représenter indiquait clairement le but où convergeaient les espérances et les efforts des conspirateurs. Ce fut dans une de ces réunions que le renversement du ministère Rossi fut décidé, dût-on recourir aux moyens les plus extrêmes. Cette décision, qui renfermait un arrêt de mort, fut provoquée et chaleureusement applaudie par les deux principaux délégués de Rome; l'un d'eux même, élevant son verre, porta ce toste: «Je bois au nouveau ministère!-Lequel, lui demanda-t-on. Celui qui, dans quelques jours, remplacera l'ami de l'infâme Guizot. » Dans ce verre il y avait du sang, et dans ce toste un cri d'agonie.

En attendant, l'espèce de tranquillité dont on jouissait à Rome depuis l'avènement au pouvoir du comte Rossi fut tout à coup troublée par un incident qui n'avait rien de politique en apparence.

Le bruit s'étant subitement répandu qu'un garde civique avait été insulté et maltraité par un israélite, des groupes se formèrent aux environs du Ghetto. D'abord ils se contentèrent d'injurier les juifs qui regagnaient leur demeure ; mais, à l'approche de la nuit, leur attitude devint tellement menaçante, qu'on dut recourir à l'intervention de la force armée. L'émeute implacable, acharnée, donnait la mesure des progrès que la multitude de Rome s'apprêtait à faire dans la science de la liberté, de l'égalité et de la fraternité.

Le ministre Rossi prouva en cette circonstance qu'il comprenait et interprétait la liberté autrement que les hommes qui, l'invoquant sans cesse du bout des lèvres, la répudiaient au fond de leur cœur. C'était le premier acte contre lequel il avait à sévir comme ministre ;

il

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