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prouva en cette occasion qu'il était déterminé à persévérer dans une voie énergique tracée par la logique des sinistres événements qui, des principales villes de l'Europe, faisaient, à cette époque, les capitales des théories révolutionnaires arrivées à l'état d'application. En effet, l'Europe semblait à cette heure bouleversée de fond en comble: se décalquant sur Paris révolutionné, les nations creusaient à leur tour et déchiraient avec le fer de l'insurrection les entrailles des vieilles sociétés pour chercher dans le vide des idées nouvelles les mystères dangereux de l'inconnu. Et, chose étrange! dans les diverses capitales, les révolutionnaires procédaient de la même manière pour aboutir aux mêmes conséquences.

Le comte Rossi n'ignorait point leurs projets; il savait qu'entre enx et lui il y aurait lutte, cette lutte dont, presque toujours en Italie, le dernier mot est l'assassinat. Il ne s'en effraya point, car du moment où il s'était rendu à l'appel de Pie IX, il avait fait le sacrifice de sa vie.

Le jour de l'ouverture de la Chambre était proche ; dans la prévision des événements qui pourraient surgir à l'occasion de cette cérémonie, le ministre appela des villes voisines de la capitale et réunit dans Rome un nombre imposant de carabiniers, la seule force défensive sur laquelle il croyait pouvoir compter; il les passa même en revue pour leur rappeler leur devoir et stimuler leur dévouement à la cause de l'ordre, menacé sourdement par les ennemis de la société.

Ceux-ci lui firent un crime de cette mesure, les carabiniers eux-mêmes en témoignèrent du mécontente

ment. N'importe, le courage civil et l'énergie du comte Rossi s'élevant à la hauteur des circonstances, il déclara qu'il ne reculerait devant aucun moyen pour défendre les droits du Saint-Siége et qu'il saurait au besoin monter à cheval pour combattre les factieux. « Pour arriver jusqu'au pape dit-il, il me faudra passer sur le corps.» En attendant il donna l'ordre d'arrêter et d'incarcérer à Corneto, prison destinée aux ecclesiastiques, le fameux moine Gavazzi qui parcourait les légations soufflant la discorde et attisant de sa parole ardente les passions révolutionnaires. La rage des conspirateurs alors ne connut plus de bornes. Les journaux radicaux, leurs complices, obéissant au mot d'ordre parti naguère de Turin, exalent leur haine contre le ministre ; il n'est sorte d'injures qu'ils ne lui adressent, ils ne reculent devant aucune violence pour exciter les passions contre lui. Sterbini se faisant de sa plume une arme provocatrice, publie une série d'articles qui devaient, en excitant le crime, le pousser à de sanglantes catastrophes. « Il y a dit-il, une école qui apprend à faire naître les occasions de bombarder, d'incendier, de détruire les grandes capitales. Cette école est représentée à Rome par M. Rossi. M. Rossi est chargé à Rome de faire l'essai de cette politique. Mais comme les révolutions et les conjurés manquent chez nous, il fallait créer des prétextes pour pousser le peuple à quelque mouvement violent afin de pouvoir ensuite l'écraser et l'asservir. Les faits qui sont sous nos yeux démontrent que telle est la pensée de ce ministère. »

En réponse à ces diatribes, dont il appréciait parfaitement le but et la portée, le comte Rossi fit insérer

le 14 dans la Gazette de Rome un article qui devait en quelque sorte servir de péroraison à ses luttes politiques.

Après avoir dit que les assemblées législatives avaient fait peu de bien dans leur session précédente le courageux publiciste terminait par ces mots :

<«< Tout le monde sait qu'il y a des louanges qui offensent, et des blâmes qui honorent >>

Ce document, qui appartient désormais à l'histoire, était à peine connu du public qu'un certain nombre de personnages au cœur ulcéré, à la figure sombre, se réunissaient secrètement dans la petite salle de spectacle de Capranica. Les conjurés avaient emprunté à l'amphithéâtre de l'hôpital Saint-Jacques l'acteur qui devait jouer le principal rôle dans le drame qu'ils allaient répéter pour la représentation du lendemain. Cet acteur immobile et glacé, le front livide, les lèvres crispées était déjà en scène, c'était... un cadavre. L'heure, minuit sonnait à l'horloge de monte Citorio, le lieu, ce corps inanimé, debout, appuyé contre une coulisse du théâtre, donnaient à cette assemblée sinistre un caractère qui glaçait d'horreur, et provoquait le frisson de l'effroi n'importe surmontant un premier mouvement de terreur, ces hommes liés par un serment terrible se partagèrent les rôles; alors l'un d'eux, à la taille élevée, au bras nerveux, à la main sûre, le menton encadré par une barbe rouge, saisissant un poignard, s'approcha de la coulisse, et de sa main gauche découvrant dans le col du cadavre la veine qui rend la blessure mortelle, il frappa sans trembler. Le coup avait porté juste, un éclair de joie féroce passa dans les yeux des conjurés.

Le succès du drame qu'ils venaient de répéter était infaillible; ils partirent en se donnant rendez-vous pour le lendemain au palais de la Chancellerie.

CHAPITRE IX.

Préparatifs pour l'ouverture des Chambres. Nombreux avertissements. Imprudence et courage du ministre Rossi. — Energique La cause du pape est la cause de Dieu. Assassinat

résolution.

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- Détails. Discours que le ministre Portrait de Rossi.

Pendant que cette horrible scène se passait au théâtre Capranica et qu'un fer homicide frappait son effigie, Rossi, présidant le conseil des ministres, rendait compte à ses collègues des mesures qu'il avait prises pour la tranquillité du lendemain, jour de l'ouverture des Chambres. En contradiction avec la majorité du cabinet il désirait confier la garde du palais de la Chancellerie aux carabiniers plus sûrs, disait-il que la garde civique composée d'éléments en partie hostiles. Persistant dans cette opinion il envoya chercher à minuit par son cocher, Joseph Decque, le colonel de ce corps qui répondant aussitôt à son appel se rangea de son avis. Cependant l'opinion contraire de ses collègues prévalut et l'on décida que la garde civique ferait le service du palais. Tout ce que Rossi put obtenir fut qu'un piquet d'élite occuperait la cour de la Chancellerie et formerait la haie

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