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la portion occupée par les Autrichiens; il est possible que les réformes, les prenant par derrière, les fassent avancer plus rapidement que les autres dans la voie du progrès. Le peuple auquel la constitution donne le droit de demander, peut parler haut et au besoin commander par l'émeute; mais celui qui est encore dans la servitude, ne peut que chanter ses besoins pour en faire entendre l'expression sans trop déplaire. Profitez de la moindre concession pour réunir les masses, ne fût-ce que pour témoigner de la reconnaissance. Des fêtes, des chants, des rassemblements, des rapports nombreux établis entre les hommes de toute opinion, suffisent pour faire jaillir les idées, donner au peuple le sentiment de sa force et le rendre exigeant. »

La première partie de l'histoire de Pie IX se trouve toute entière dans le premier article de ce programme révolutionnaire. Fidèles au mot d'ordre de leur chef suprême, les affiliés des sociétés secrètes se mirent aussitôt à l'œuvre, et cette œuvre leur devint d'autant plus facile que, pour la première fois, peut-être, ils entraient dans le sentiment de la justice. On les vit alors faisant cause commune avec le peuple qui n'était point dans le secret; on les vit exalter à l'unisson les vertus et les bienfaits du successeur de Grégoire XVI. Alors on les vit s'atteler à la voiture pontificale pour entraîner le chef du catholicisme plus rapidement à l'abîme qu'ils avaient caché sous des couronnes de

fleurs. Alors les manifestations populaires, les promenades aux flambeaux, les illuminations les banquets, les hymnes et les cantiques; les arts, l'éloquence et la poésie élevèrent Pie IX, noble et sainte victime, sur un piédestal, immense autel dressé d'avance pour le sacrifice........; continuons:

<< Le concours des grands, ajoute Mazzini, est d'une indispensable nécessité pour faire naître le réformisme dans un pays de féodalité. Si vous n'avez qu'un peuple, la défiance naîtra du premier coup; on l'écrasera. S'il est conduit par quelques grands, les grands serviront de passe-ports au peuple. L'Italie est encore ce qu'était la France avant la révolution; il lui faut donc ses Mirabeau, ses Lafayette et tant d'autres. Un grand seigneur peut être retenu par des intérêts matériels ; mais on peut le prendre par la vanité: laissez-lui le premier rôle tant qu'il voudra marcher avec vous. Il en est peu qui veuillent aller jusqu'au bout. L'essentiel est que le terme de la grande révolution leur soit inconnu. Ne laissons jamais voir que le premier pas à faire. »

Ce paragraphe où l'ambition personnelle du rhéteur se cache à peine sous la concession du premier rôle qu'il cède momentanément à la vanité des grands, conduit directement au paragraphe concernant le clergé; poursuivons.

<< En Italie, le clergé est riche de l'argent et de la foi du peuple. Il faut le ménager dans ces deux intérêts et,

autant que possible, utiliser son influence. Si vous pouviez, dans chaque capitale, créer un Savonarola, nous ferions des pas de géants. Le clergé n'est pas ennemi des institutions libérales; cherchez donc à l'associer à ce premier travail que l'on doit considérer comme le vestibule obligé du temple de l'égalité; sans le vestibule, le sanctuaire reste fermé. N'attaquez le clergé ni dans sa fortune, ni dans son orthodoxie, promettez-lui la liberté, et vous le verrez marcher avec

vous. >>

Mazzini, qui sait par cœur l'histoire de son pays, rend ici justice aux sentiments du clergé, il est forcé d'avouer que les prêtres ne sont point ennemis des institutions libérales; il ne renie pas comme tous ses confrères le glorieux passé, les plus belles pages de l'Italie, au contraire, il dit bien souvent: la Rome des Césars et la Rome des papes! nous verrons bientôt comment les actes du rhéteur se trouvent en contradiction avec ses paroles. En attendant suivons-le pas pas dans l'analyse de ses instructions: il arrive au peuple.

à

«En Italie le peuple est encore à créer; mais il est prêt à déchirer l'enveloppe qui le retient. Parlez souvent, beaucoup et partout de ses misères et de ses besoins. Le peuple ne s'entend pas; mais la partie agissante de là société se pénètre de ces sentiments de compassion pour le peuple et, tôt ou tard, elle agit.

Les discussions savantes ne sont ni nécessaires ni opportunes. Il y a des mots regénérateurs qui contiennent tout et qu'il faut souvent répéter au peuple. Liberté, droits de l'homme, progrès, égalité, fraternité, voilà ce que le peuple comprendra surtout quand on lui opposera les mots de despotisme, priviléges, tyrannie, esclavage, etc., etc...; le difficile n'est pas de convaincre le peuple, c'est de le réunir: Le jour où il sera réuni sera le jour de l'ère nouvelle. >>

Après avoir ainsi développé les moyens actifs qu'il faut employer vis-à-vis les ordres trinitaires qui constituent la société, le grand prêtre des sociétés secrètes résume ainsi son programme.

« L'échelle du progrès est longue; il faut du temps et de la patience pour arriver au sommet. Le moyen d'aller plus vite, c'est de ne franchir qu'un degré à la fois. Vouloir prendre son vol vers le dernier, c'est exposer l'œuvre à plus d'un danger. Il y a bientôt deux mille ans qu'un grand philosophe, nommé Christ, a prêché la fraternité que cherche encore le monde. Acceptez donc tous les secours qu'on vous offrira sans jamais les regarder comme peu importants. Le globe terrestre est formé de grains de sable; quiconque voudra faire en avant un seul pas doit être des vôtres jusqu'à ce qu'il vous quitte. Un roi donne une loi plus libérale, applaudissez en demandant celle qui doit suivre. Un ministre ne montre que des intentions progressistes, donnez-le

pour modèle. Un grand seigneur affecte de bouder ses priviléges, mettez-vous sous sa direction; s'il veut s'arrêter vous êtes à temps de le laisser, il restera isolé et sans force contre vous, et vous aurez mille moyens de rendre impopulaires ceux qui seront opposés à vos projets. Tous les mécontentements personnels, toutes les déceptions, toutes les ambitions froissées peuvent servir la cause du progrès en leur donnant une bonne direction.

« L'armée est le plus grand obstacle au progrès du socialisme; toujours soumise par son éducation, par son organisation, sa discipline et sa dépendance, elle est un puissant levier pour le despotisme. Il faut la paralyser par l'éducation morale du peuple. Quand on aura fait passer dans l'opinion générale, l'idée que l'armée faite pour défendre le pays, ne doit, dans aucun cas, se mêler de la politique intérieure et doit respecter le peuple, on pourra marcher sans elle et même contre elle, sans danger.

« Le clergé n'a que la moitié de la doctrine sociale, il veut comme nous la fraternité qu'il appelle la charité. Mais sa hierarchie et ses habitudes en font un suppôt d'autorité, c'est-à-dire, de despotisme; il faut prendre ce qu'il a de bon et couper le mal. Tâchez de faire pénétrer l'égalité dans l'Église et tout marchera. La puissance cléricale est personifiée dans les jésuites. L'odieux de ce nom est déjà une puissance pour les socialistes,

servez-vous-en. »

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