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sur son passage. « Ces précautions ne me sont point personnelles, dit-il en déchirant et foulant au pied avec mépris une lettre qu'il avait reçue dans la soirée et qui contenait des menaces de mort; Dieu sait que je mourrais avec joie pour la cause que nous défendons, mais il importe dans l'intérêt de cette cause que l'ouverture de la Chambre s'opère avec calme et dignité. » Il était près d'une heure; alors levant la séance il se retira dans son appartement pour mettre la dernière main à son discours qui devait, disait-il, s'il était prononcé, rallier à la cause du pape les opinions les plus contraires. A six heures son valet de chambre le réveilla, il se fit apporter une tasse de café qu'il but dans son lit, ensuite il se leva et se remit au travail.

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A sept heures ses deux fils entrèrent dans sa chambre et lui demandèrent des billets pour assister à la séance. « Je n'en ai point répondit leur père.» «Comment se peut-il qu'un premier ministre n'ait point de billets? répliqua son aîné, nous nous en passerons et nous trouverons bien le moyen de pénétrer dans la Chambre.

meur.

« Je vous le défends, s'écria Rossi avec hu

- << Mais enfin pourquoi cela, père ? ajoutèrent ses fils.

- «Parce que telle est ma volonté. Vous resterez auprès de votre mère. >>

Un instant après il reçut un billet cacheté aux armes de la duchesse de Rignano; il renfermait un nouvel avertissement. « Mon cher comte, lui mandait la duchesse, le plus grand danger que vous ayez jamais couru vous menace, ne sortez pas, car vous serez assas-

siné. Si vous ne pouvez vous dispenser de paraître à la séance d'ouverture, prenez les plus grandes précautions, il y va de votre existence. » Le ministre prenant la plume répondit aussitôt à la duchesse : Ma chère duchesse, je vous suis très-reconnaissant de l'intérêt que vous me témoignez, vos craintes me semblent exagérées; dans tous les cas, j'ai pris mes précautions, rassurez-vous donc sur mon compte et surtout sur celui de votre mari.

>> Tout à vous,

>> COMTE ROSSI. >>

A neuf heures, on lui annonça la visite du banquier Righetti, que le Saint Père, sur sa demande, avait nommé sous-secrétaire d'État au ministère des finances. Le calme régnait sur le front du ministre, la joie brillait dans ses yeux; comme toutes les natures fortes il jouissait à l'idée de la lutte; aussi ce fut avec un air de triomphe qu'il montra à son ami le billet qu'il venait de recevoir de la duchesse de Rignano: ils menacent, dit-il, donc ils ont peur, et il ajouta : Ce n'est pas l'homme qu'ils veulent tuer en moi, c'est un principe fatal à leurs projets; ILS VEULENT ASSASSINER LA CONSTITUTION AU BÉNÉFICE DE LA RÉPUBLIQUE......... Un instant après il congédia le banquier Righetti et lui donna rendez-vous à midi et demi au Quirinal. Dans cet intervalle on lui fit parvenir un nouvel avis sur le complot des conspirateurs et on lui recommandait de ne pas faire un seul pas sans être entouré de gardes: Le courage civil, lui disait-on, ne consiste pas à s'exposer à un danger qu'on peut éviter. Le courage qui brave inutilement un péril quelconque

est une fanfaronnade, sinon une folie... Quelquefois, murmura Rossi, il devient un calcul politique....

A dix heures, il déjeuna tranquillement comme à son ordinaire, cherchant à rassurer, par la sérénité de son visage et le calme de ses paroles, les inquiétudes vagues que la comtesse Rossi manifestait à son égard. Dans ce moment un de ses gens vint l'avertir qu'une personne désirait le voir pour une affaire qui le concernait et d'une importance telle qu'elle ne souffrait aucun retard. << Elle attendra cependant, répondit Rossi, les affaires de l'État doivent passer avant les intérêts particuliers; dites à cette personne de repasser demain. « Le domestique sortit et revenant aussitôt, il dit au comte que la personne, en se retirant, s'était écrié : « Il est déjà peut-être trop tard, demain il ne sera plus temps. >>

<«< Vous le voyez, mon ami, reprit la comtesse, un grand malheur plane sur nous, vous avez tort de ne prendre aucune précaution.

« Vous êtes une enfant, répliqua Rossi, et se levant de table il s'habilla pour se rendre au Quirinal. Il était près de midi, le pape l'attendait,

- «Je suis heureux de vous voir, s'écria Pie IX en lui donnant sa main à baiser.

<< Je viens prendre les ordres de Votre Sainteté, répondit Rossi.

-« Je n'en ai qu'un à vous donner, ajouta le souverain Pontife.

- «Lequel, très-saint Père?

<< Celui de prendre toutes les précautions possibles pour éviter à nos ennemis un grand crime et m'épargner à moi une immense douleur. Votre vie est menacée.

- » Ils sont trop lâches, s'écria Rossi, ils n'oseront pas.

-->> Dieu le veuille, en attendant recevez la bénédiction que je vous donne de toute mon âme. »

Un instant après, prenant congé du pape, le ministre sortit rapidement des appartements pontificaux ; à voir son empressement on eût dit qu'il avait hâte de se trouver en face du péril.

Un ecclésiastique respectable, le curé de Faënza, qui récemment avait été obligé d'abandonner sa paroisse, l'attendait au bas des escaliers du palais. Dès qu'il eut aperçu le ministre, il lui barra le passage demandant à lui parler.

- » Je n'ai pas le temps de vous entendre, répondit Rossi.

— » Il faut que vous m'écoutiez cependant.

» Que me voulez-vous ?

>> Vous sauver.

-» Qui êtes-vous ?

-->> Monsignor Morini.

» Eh bien, voyons, parlez et surtout soyez court. - » Ce matin, il y a une heure, je confessais au Gésu ; une femme, le front pâle et la voix brève, s'approchant de mon confessional, me supplia de me rendre dans une chappelle voisine où m'attendait, dit-elle, un personnage, qui voulait me faire une communication d'une importance extrême... J'étais incertain... mais cette femme persistant, ajouta que je pouvais empêcher un grand crime et sauver la vie d'un homme... Je n'hésitai plus; je me rendis aussitôt à l'endroit indiqué et

j'y trouvai enveloppé dans un manteau une inconnu qui me prenant par la main me dit : Au nom de Dieu, courez au Quirinal, vous y trouverez le comte Rossi, arrêtez-le s'il en est temps encore, empêchez-le par tous les moyens qui seront en votre pouvoir de se rendre au palais de la Chancellerie; s il y va il est mort, jurés sont à leur poste, et le poignard attend...

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<< Je vous remercie, monseigneur, lui dit Rossi ; puis levant les yeux aux ciel, il ajouta avec un calme sublime: La causa del papa e la causa di Dio! andiamo: la cause du pape est la cause de Dieu ! partons. »

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Le sous-secrétaire d'État Righetti, exact au rendezvous donné, arrivait au même instant; la voiture du ministre étant prête: «Montez, lui dit Rossi, montez, si vous ne craignez rien. » M. Righetti, montant aussitôt et prenant place à ses côtés, demanda si réellement on avait à redouter quelque danger. « Les républicains que je méprise souverainement, répondit Rossi, ont résolu de se défaire de moi: je pourrais pénétrer dans la chambre par des voies secrètes, je ne le veux pas ; je veux au contraire, prouver à tout le monde que je ne crains pas ces factieux. » Puis, avec l'accent d'une conviction profonde, avec le sourire d'une résolution immuable, il ajouta : « J'espère que nous allons enterrer aujourd'hui la révolution, voici son extrait mortuaire, et de sa main droite il toucha le discours d'ouverture qu'il portait sur sa poitrine.

La voiture du ministre roulait depuis quelques minutes, lorsque tout à coup le cocher, Josephe Decque, entendit un coup de sifflet et aperçut à l'extrémité d'une petite rue un homme qui courait précipitamment dans

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