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carabiniers, troublés, dirent qu'ils résisteraient si le Saint Père le leur ordonnait, mais qu'ils seraient inévitablement victimes de la fureur du peuple. A cela, Pie IX répondit qu'il ne pouvait commander l'effusion du sang, mais qu'il devait dire à chacun de faire loyalement son devoir. Les délégués s'inclinèrent une dernière fois devant le souverain Pontife et ils s'éloignèrent du palais.

La situation devenait de plus en plus critique ; il était évident que les anarchistes ne reculeraient devant aucune violence; au milieu de ce conflit d'éléments désordonnés, le Saint Père était aussi calme que s'il eut été question de recevoir les hommages de sujets fidèles; la tranquillité de son esprit, la sénérité de son âme, ne l'abandonnèrent pas un seul instant; debout contre la porte de son oratoire où parfois il se retirait pour aller chercher des inspirations aux pied de son crucifix, il conférait, dans le plus grand calme, avec les ambassadeurs, tous prêts, suivant la belle expression de Martinez de la Rosa, à faire un rempart de leurs corps au vicaire de Jésus-Christ. Ils étaient presque tous là, présents au nom de l'Europe catholique insultée dans la personne du chef de l'Église, le duc d'Harcourt représentant la France; Martinez de la Rosa, l'Espagne, avec son secrétaire le chevalier d'Arnao; le comte Boutenief, la Russie; le comte de Spaur, la Bavière; le baron da Venda da Cruz, le Portugal, avec son secrétaire le commandeur Husson; Figuereido, le Brésil; Lilidekerque, la Hollande; etc.,

etc.

Ces nobles personnages n'étaient pas, les seuls au

rendez-vous de l'honneur et du devoir; autour d'eux se groupaient avec dévouement les cardinaux Antonelli et Soglia, les camériers secrets, monseigneur Médici, maître de la chambre, le père Vaures, un Français le comte de Malherbe, Butaoni, maître du sacré palais, le marquis Sachetti, sous-préfet du palais apostolique, le médecin du palais, six gardes nobles, le capitaine des Suisses et ses officiers. Le cardinal Antonelli, d'accord avec ces braves militaires fidèles aux antiques traditions de l'honneur, se faisait remarquer entre tous par sa vigueur et son énergie; consulté sur le parti que l'on devait prendre, il donne l'ordre aux Suisses de défendre les portes du palais et de se rallier ensuite, s'ils étaient forcés dans ce poste, jusqu'à l'entrée de la chambre du pape, en défendant pied à pied le terrain. «Nous serons là, ajouta-t-il, pour mourir avec eux. »

Pendant ce temps, les soixante-dix hommes composant la garde suisse et n'ayant pour toute munition que trois cartouches par fusil, luttaient bravement en s'op-posant aux flots de l'invasion qui menaçait l'entrée principale du palais. Tout à coup un enfant du bataillon de l'Espérance, soulevé par plusieurs personnes, parvint à couper la plume rouge du chapeau de l'un des gardes, tandis que l'un de ses camarades réussit à s'emparer de la hallebarde d'un autre Suisse. Alors le sergent de service, un nommé Martin Grëtter, faisant quelques pas au-devant de la foule, se plaignit de cette injuste agression, mais au même instant il reçut lui-même sur le bras un coup de bâton qui lui déchira son uniforme. Cet acte de brutalité fut aussitôt accompagné des cris de: Mort aux Suisses! tuez-les! tuez-les! Les gardes

se trouvaient dans le cas de légitime défense, ils auraient pu répondre à la violence de la force, il se contentèrent de fermer la porte principale du palais. Cependant les cris de la multitude avaient pris un caractère plus hostile, ce n'était plus ceux de: Vive la constituante italienne, ou un ministère provisoire, mais ceux de: Vive un gouvernement démocratique ou la République ! qui se faisaient entendre de toutes parts.

Dans ce moment, un coup de fusil est tiré par mégarde, dans l'intérieur du palais; aussitôt, aux cris de: On égorge nos frères! aux armes ! la place se vide, la foule s'élance dans toutes les directions, les jeunes gens de la Sapience, élevés aux frais du gouvernement, se rangent du côté de l'émeute qui rallie sur son passage les ambitieux et les mécontents. Le prince de Canino, portant un fusil à la main, se met à leur tête; les gardes civiques, les troupes de ligne, les carabiniers traînant un canon derrière eux, marchant en ligne et formant une armée véritable, ils reprennent le chemin du Quirinal pour assiéger un saint Pontife entouré de quelques prêtres et défendu par soixante-dix hommes. Les troupes régulières se rangent en bataille sur la place en face du palais; le canon, appelé le Saint-Pierre, est braqué contre la porte principale; un corps considérable d'hommes armés occupent les lieux environnants, des tirailleurs s'emparent du clocher de l'église Saint-Charles, les tambours de la garde civique battent la générale et répandent la consternation dans la ville; partout la terreur précède le crime. Sur ces entrefaites, une quinzaine d'officiers appartenant à la garde civique reçoivent l'ordre de quitter l'intérieur du palais pontifical où

ils s'étaient introduits, on ne sait sous quel prétexte. Ils refusent, exprimant la crainte que la garde suisse ne leur fit un mauvais parti à leur sortie du palais. « Je réponds de mes soldats, s'écrie le capitaine des gardes, le brave capitaine Meyer de Schanensée, et je m'offre de vous accompagner, si vous me jurez votre parole d'honneur que vous ne m'abandonnerez pas et qu'il ne sera rien fait à moi-même. - Nous vous en donnons notre parole,» répondent les officiers, et l'on se met aussitôt en marche. Cette petite troupe se trouvait à la hauteur de Monte-Cavallo, sur la place de ce nom, lorsque tout à coup le trop confiant officier, victime de sa bonne foi, se trouvant abandonné des officiers parjures, se vit entouré d'hommes armés qui le couchèrent en joue en lui demandant : « Pour qui es-tu, pour le peuple ou pour le pape? Je suis pour mon devoir, répondit l'intrépide capitaine, et il ajouta : Tirez, si vous l'osez, sur un soldat qui a combattu à Vicence pour l'indépenlance de l'Italie, et qui est prêt aujourd'hui à mourir pour la défense du souverain qui lui a donné sa confiance. » Désarmés par ces nobles paroles, les insurgés se retirèrent, mais il en vint d'autres qui, s'emparant du chef suisse, le placèrent devant la bouche du canon chargé et firent le simulacre de tirer. « Je reconnais cette pièce, s'écrie froidement l'intrépide Meyer, elle se nomme le San-Pietro. Si vous y mettez le feu, T'histoire dira que, le 16 novembre, les Romains ont mis à mort un brave officier qui, avec vingt-cinq grenadiers de sa compagnie, a repris, à Vicence, cette pièce tombée au pouvoir des Autrichiens, et l'histoire ajoutera que les Romains en ont fait l'instrument de son sup

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Les insurgés ne tirèrent pas, mais le capitaine Meyer ne recouvra sa liberté qu'à l'approche de la nuit.

Les choses en étaient là, lorsque tout à coup on apprit que la populace venait de mettre le feu à la porte du palais communiquant à la voie Pia. Quelques gardes suisses et des pompiers s'élancent dans cette direction ; les premiers écartent les incendiaires à coups de fusil, les seconds éteignent les flammes qui déjà faisaient des progrès.

Sur ces entrefaites, un homme du peuple, armé d'une carabine et posté dans une maison de la rue Scanderbecqk, fait feu sur les fenêtres mêmes de l'appartement du pape; la balle brise les vitres dont les éclats retombent sur le casque du garde-noble del Bufalo; au même instant on apprend que sur un autre point, monseigneur Palma, secrétaire des lettres latines, vient d'être tué dans sa chambre d'un coup de fusil parti du clocher de Saint-Charles. Le sang coule des deux côtés; la nuit heureusement vient mettre un terme à ces scènes de désolation.

Dans le même temps, une espèce de gouvernement populaire s'installe au café des Beaux-Arts: Sterbini, le prince de Canino, Vinciguerra, deux rédacteurs du journal l'Época, Spini et Pinto, en font partie. Dès lors le mouvement insurrectionnel se concentre; tous les ordres partent de ce comité, et partout ils rencontrent une obéissance aveugle; les fonctionnaires du gouvernement, les employés militaires se rangent sans distinction sous le drapeau de la révolte; aucun n'a le courage de donner sa démission. Les honnêtes gens, les personnes les plus intéressées à l'ordre, les princes romains

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