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-> Certainement, et je persiste.

— » Eh bien, il peut se faire que la providence ait jeté les yeux sur vous pour concourir à la délivrance du

pape.

- » Je suis prête, parlez, que faut-il faire?

» Partir demain matin pour Albano avec votre fils et son gouverneur.

— » Après ?

» M'attendre là.

-» Je vous attendrai.

-->> Maintenant occupez-vous des préparatifs de notre départ, car notre absence de Rome pourrait se prolonger au delà de nos prévisions. »

D'origine française et l'une des femmes les plus distinguées de Rome, la comtesse de Spaur mesura d'un coup d'œil l'importance de la mission qu'on lui confiait elle ne s'en effraya point et se mit aussitôt en mesure de la remplir. Elle commence par dire aux gens de sa maison qu'un projet de mariage entre une princesse de Bavière et le fils aîné du roi des Deux-Siciles l'appelait subitement à Naples ainsi que son mari: alors. tandis que ses femmes préparent ses malles, elle brûle des papiers dans la prévision des visites domiciliaires qui pourraient être la conséquence de son départ, puis elle remplit d'or ses bottines, double de diamants ses robes, met en sûreté un portefeuille du pape, prépare ses pistolets qu'elle tire en maître et passe le restant de la nuit en prières devant son crucifix.

A six heures du matin, après avoir écrit quelques mots à sa famille pour la rassurer, elle monte dans une

Lerline russe, attelée de quatre chevaux, et donne T'ordre de partir pour Albano.

Elle est arrêtée aux portes de la ville. Où allez-vous? lui demande-t-on. A Albano d'abord, à Naples ensuite.

- » Où sont vos passeports? -Les voici.

vous?

>> Pourquoi le comte, votre mari, n'est-il pas avec

-> Parce que les affaires de son gouvernement le retiennent à Rome.

— » Quand vous rejoindra-t-il ?

» Lorsque ses affaires seront terminées : du reste vous le verrez, puisqu'il doit passer par cette porte.

» Il suffit. » La berline alors se remet en route, elle s'arrête à quelques pas de là pour prendre deux nouveaux chevaux qui l'attendaient, et au grand galop, soulevant des flots de poussière, elle arrive en deux heures et demie à Albano et descend à l'hôtel de Paris.

L'évasion du Saint Père, combinée avec le duc d'Harcour et le comte de Spaur, avait été fixée au 24, dans la soirée. Quelques instants avant l'heure indiquée le duc d'Harcourt, qui avait obtenu une audience, arriva au Quirinal dans une voiture de gala, précédée de coureurs et de torches, il demande à voir le pape; on refuse, il insiste, il est enfin introduit dans le cabinet pontifical, dont la porte aussitôt se referme sur lui. Il était cinq heures; le ciel était sombre, sans étoiles la nuit prêtait ses obscurités à la réussite du projet. Il ny avait pas un instant à perdre. Le comte

de Spaur, d'accord avec le pape, attendait à un endroit désigné d'avance, le Saint Père, qui le rejoindra bientôt. Pendant ce temps-là, Pie IX, avec l'aide de l'ambassadeur de France, changeant de costume, se chausse de souliers noirs fermés par deux larges boucles d'argent; il prend un pantalon de couleur sombre, endosse une redingote noire, se couvre la tête d'un large chapeau rond et les yeux d'une paire de lunettes, puis, après s'être agenouillé pendant deux minutes devant le crucifix de son oratoire, il sort, portant une lanterne à la main, par une porte dérobée qui le conduit aux longs corridors du conclave. Un homme fidèle et sûr, attaché au palais et nommé Philipani, l'accompagne. Pendant ce temps le duc d'Harcourt, resté dans le cabinet du pape, lisait à haute voix, pour détourner l'attention des surveillants qu'un long silence aurait pu provoquer. Tout à coup il entend du bruit dans les appartements que le pape vient de traverser, il s'émeut: le pape aurait-il été découvert, sa fuite serait-elle entravée? Non, car Dieu veillait sur le saint Pontife, qui s'était trouvé tout à coup arrêté par une porte qu'on avait oublié d'ouvrir; c'était pour lever cet obstacle imprévu que M. Philipani revenait sur ses pas. Pendant que cet homme dévoué faisait un long détour, Pie IX, seul, sa lanterne à la main, attendait devant la porte qui s'ouvrit enfin, après un retard de dix minutes. Le pape alors s'élança dans la voiture.

A sept heures le duc d'Harcourt resté seul dans le cabinet pontifical pour éloigner les soupçons, se retira disant aux gens de l'antichambre et aux gardes de faction à la porte même des appartements pontificaux,

que le Saint Père indisposé s'était mis au lit; puis, se rendant à l'ambassade, il monte dans une chaise de poste et brûlant la route de Civita-Vecchia, il y arrive à minuit pour s'embarquer sur le Tenare.

Il était six heures et dix minutes lorsque, sur l'ordre qu'il en reçut, le cocher, qui conduisait la fortune de Rome, descendant la colline, traversa la place Trajane, suivit les rues qui mènent au Colisée et parvint bientôt au Therme de Titus où le comte de Spaur attendait près de l'église de Saint-Pierre et Saint-Marcelin avec sa voiture et son chasseur armé, ainsi que lui, de poignards et de pistolets. Enfin une demi-heure après avoir quitté le Quirinal, le Saint Père, l'âme navré de douleur, mais parfaitement résigné à la volonté de Dieu, franchissait sans difficultés la porte de Saint-Jean de Latran.

La voiture qui transportait l'illustre fugitif rejoignit dans la nuit la comtesse de Spaur qui attendait dans la vallée de l'Aricia près d'Albano. Au moment où les voitures se rencontrèrent quatre carabiniers, faisant une patrouille, s'arrêtèrent; mais douée d'une admirable présence d'esprit la comtesse de Spaur, sans descendre de sa berline de voyage, s'écria avec un ton d'humeur : « C'est vous, monsieur le docteur, vous vous faites bien attendre; c'est fort mal! on ne pourra donc jamais vous corriger de vos lenteurs? » Pendant ce temps-là le Saint Père, descendant sans dire un seul mot de sa voiture, monta dans celle de la comtesse.

Les carabiniers, loin de soupçonner que le pape se trouvait devant eux, relevèrent eux-mêmes le marchepied en souhaitant aux illustres fugitifs un heureux

voyage. Le Saint Père se trouvait au fond de la berline, auprès de la comtesse de Spaur; en face, le jeune Maximilien de Spaur avait pris place auprès de son gouverneur, M. Liebel; une femme de chambre occupait le siége de devant, le comte de Spaur et son fidèle chasseur occupaient celui de derrière.

<< Pardonnez-moi, très-saint Père, s'était écriée la comtesse de Spaur, lorsque le pape fut entré dans la voiture, pardonnez à votre indigne servante si la nécessité lui procure à vos côtés une place qu'elle ne mérite point. -« Vous êtes aujourd'hui, répondit le pape, un des instruments dont la Providence a voulu se servir pour accomplir un de ses mystérieux desseins.» Puis, voyant l'émotion de la comtesse, il ajouta : «Ne craignez rien, Dieu est avec nous. » Une partie du voyage se fit assez heureusement. mais à Fondi, le Saint Père fut encore sur le point d'être reconnu ; à sa vue, l'un des postillons, poussant un cri de surprise, dit à l'un de ses camarades: « Regarde donc cet abbé, il ressemble au portrait du pape que nous avons chez nous »

La berline, changeant de chevaux à chaque relais, dévorant l'espace sous les yeux du comte de Spaur, qui stimulait avec de l'or le fouet des postillons, avait franchi la frontière des États romains, Pie IX était sauvé ! Ce fut alors que levant les yeux au ciel et rendant grâce à Dieu de sa divine protection, le saint pontife récita d'une voix émue le beau cantique du Te Deum, auquel s'associèrent des lèvres et du cœur ses bienheureux compagnons de voyage.

La voiture du pape, arrivée à neuf heures et demie

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