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yeux, le cœur plein de sanglots et les yeux remplis dc larmes. Son émotion gagna le comte de Spaur qui, debout dans sa haute taille, les bras croisés sur sa poitrine, attendait la réponse du roi.

- «Monsieur le comte, lui dit Ferdinant II, revenez dans six heures, ma réponse sera prête. » Le comte prit congé du roi et rejoignit le nonce auquel seulement alors il confia le contenu des dépêches qu'il avait remises à Sa Majesté. -«Dieu soit loué! s'écria monseigneur Garibaldi en se jetant dans les bras de l'ambassadeur, Pie IX est sauvé!»

A cette heure avancée de la nuit, le roi, après avoir fait part à la reine de la lettre de Sa Sainteté et de ses intentions, fit immédiatement chauffer les deux frégates à vapeur le Tancrède et le Robert, et embarquer à leur bord un bataillon du 1" régiment des grenadiers de la garde et un bataillon du 9° régiment de ligne. Puis, descendant aux plus petits détails, il s'occupa avec activité de faire transporter, sur les deux bâtiments, une foule d'objets nécessaires au service du pape et de sa suite; il poussa même la prévoyance, et qu'on nous pardonne ces particularités, les petites choses grandissent quand elles ont un rapport direct avec le chef suprême du catholicisme, le roi porta la prévoyance jusqu'à songer au linge dont Pie IX et les personnes qui l'accompagnaient pouvaient avoir besoin; il fit embarquer plusieurs malles remplies de ses propres chemises.

Quelques heures après, lorsque le comte de Spaur se présenta pour recevoir la reponse de Sa Majesté : « Nous la porterons ensemble,» lui dit le roi. Et comme tout était prêt pour le départ, il pria le ministre de Bavière de

le suivre, et il monta sur le Tancrède avec la reine, le comte d'Aguila, le comte Trapani, l'infant don Sébastien et une suite brillante autant que nombreuse. Quelques instants après, les canons des forts tonnèrent, la flottille royale volait à toute vapeur sur les flots de la mer.

Au moment où le roi des Deux-Siciles, inspiré par les sentiments d'un pieux devoir, quittait sa capitale, le Ténare, commandé par le capitaine Poultier, débarquait à Gaëte le duc d'Harcourt, monseigneur Stella, et Francesco, valet de chambre de Sa Sainteté. Ce dernier portait avec lui les effets du pape renfermés en trois malles qu'un neveu de M. de Lamartine, M. de Sessia, attaché à l'ambassade de Rome, avait transportées luimême à Civita-Vecchia.

L'arrivée inattendue du Ténare, la qualité des personnages qu'il avait à son bord, redoublèrent les inquiétudes soupçonneuses du gouverneur; il était évident pour lui qu'un événement insolite se passait en ce moment à Gaëte; il cherchait vainement à s'en rendre compte, lorsqu'un officier vint lui annoncer qu'une frégate napolitaine était en vue. « C'est extraordinaire ! s'écria-t-il, je n'ai reçu à ce sujet aucun avis. » Cinqminutes après, le même officier revint lui dire qu'une seconde frégate à vapeur, portant le pavillon royal, était également avisée. Le gouverneur, au comble de la surprise, revêtit aussitôt son uniforme et se rendit sur le rivage où bientôt le Robert et le Tancrède abordèrent.

La première parole que Ferdinand II adressa au général Gross, en touchant la terre, fut celle-ci.

-> Où est Sa Sainteté ?

- » Sa Sainteté, répondit le gouverneur, elle est à Rome, sire.

-» Comment, général, répliqua le roi, le pape est à Gaëte depuis vingt-quatre heures et vous l'ignorez ! »

Dans ce moment, le duc d'Harcourt et le cardinal Antonelli se présentèrent à Sa Majesté et lui dirent que le Saint Père se trouvait à l'auberge du Jardin. On convint aussitôt, afin d'éviter la curieuse attention de la foule, que le pape irait incognito au palais du gouverneur, où, pour le recevoir, Ferdinand se rendit immédiatement. L'entrevue du pape et du roi fut des plus touchantes. Le monarque et ses fils, la reine et toute la famille. royale prosternés aux pieds de Pie IX, versèrent des larmes en rendant grâce à Dieu d'avoir conduit sain et sauf, dans les États napolitains, son représentant sur la terre. De son côté, le Saint Père, profondément touché des marques de vénération dont il était comblé, s'empressa de relever les membres de la famille royale, après avoir répandu sur leur tête la première bénédiction pontificale qu'il donnait depuis son départ de Rome.

Le même jour, il admit à sa table Leurs Majestés le roi, la reine et les princes; le Cardinal Antonelli reçut à la sienne les ambassadeurs, le commandant du Ténare et les autres officiers. A la fin du dîner, le pape se mit au balcon de son appartement et donna sa bénédiction aux équipages des frégates napolitaines, ainsi qu'à la population de Gaëte, qui s'était rassemblée en foule devant le palais, et faisait retentir les airs de ses plus vives acclamations.

Ainsi que nous l'avons dit, le premier soin du Saint Père, après avoir remercié la Providence de la liberté

qu'elle lui avait rendue, fut de publier à la face de l'univers une solennelle protestation contre les violences dont il venait d'être victime. Ce document est noble et ferme; le souverain tout en élevant vers Dieu ses justes plaintes, cherche à désarmer son bras vengeur en le suppliant d'éloigner sa colère de la tête des ingrats et des parjures.

« Pie IX, pape, à ses sujets bien aimés.

>> Les violences exercées contre nous, ces jours der-niers, et la volonté manifestée de se précipiter dans d'autres excès (Dieu veuille éloigner ces malheurs eninspirant des sentiments d'humanité et de modération dans les âmes!) nous ont contraint à nous séparer momentanément de nos sujets et de nos enfants que nous avons toujours aimés et que nous aimons toujours.

>> Parmi les motifs qui nous ont déterminé à cette séparation, et Dieu sait combien elle est douloureuse à notre triste cœur, celui dont l'importance est la plus grande, c'est d'avoir la pleine liberté dans l'exercice de la puissance suprême du Saint-Siége, exercice que l'univers catholique pourrait, à bon droit, dans les circonstances actuelles, supposer n'être plus libre entre nos mains.

» Que si une telle violence est pour le sujet d'une grande amertume, cette amertume s'accroît outre mesure quand nous pensons à la tache d'ingratitude dont s'est couvert, à la face de l'Europe et du monde, une classe d'hommes pervers, et bien plus encore à la tache qu'à imprimée sur leurs âmes la colère de Dieu qui, tôt ou tard, exécute les châtiments prononcés par l'Église. >> Dans l'ingratitude de nos enfants, nous reconnais

sons la main du Seigneur qui nous frappe, et qui veut que nous expions nos péchés et ceux des peuples. Mais nous ne pouvons, sans trahir nos devoirs, nous abstenir de protester solennellement en présence de tous, comme dans la funeste soirée du 16 novembre et dans la mati-. née du 17, nous avons protesté verbalement devant le corps diplomatique qui nous avait honorablement entouré et qui a tant contribué à fortifier notre cœur. Non, nous ne pouvons nous empêcher de protester contre la violence inouïe et sacrilège dont nous avons été l'objet. Laquelle protestation nous entendons renouveler solennellement en la circonstance présente, à savoir que nous avons été opprimé par la violence, et, en conséquence, nous déclarons tous les actes qui en ont été la suite, nuls et de nulle valeur, ni de force légale.

» Les dures vérités et les protestations que nous venons d'exposer, ont été arrachés à nos lèvres par la méchanceté des hommes et par notre conscience, laquelle, dans les circonstances présentes, nous a excité avec force à l'accomplissement de nos devoirs. Toutefois, en présence même de Dieu et tandis que nous le prions et supplions d'appaiser sa colère, nous avons la confiance qu'il ne nous sera pas défendu de communiquer notre prière par ces paroles d'un saint roi et prophète : Seigneur, souvenez-vous de David et de toute sa mansuétude.

» Cependant ayant à cœur de ne pas laisser sans chef, à Rome, le gouvernement de Notre État, nous nommons une commission de gouvernement, composée des personnes suivantes :

» Le cardinal Castracane.

>> Monseigneur Roberto Roberti.

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