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taires et scrutateurs avaient été choisis et désignés par le gouvernement parmi les hommes qui lui étaient le plus aveuglement dévoués, de telle sorte qu'il était facile de prévoir les noms qui sortiraient de l'urne.

Une salve de cent vingt-et-un coups de canon, tirés au fort du château Saint-Ange le 24 janvier, annonça au peuple romain l'ouverture des bureaux. Pour donner une apparence de fête à cette journée qui porte une date fatale dans l'histoire des révolutions, le gouvernement avait fait placer dans le voisinage des divers bureaux des orchestres de musique qui jouèrent toute la journée. Des affiches sur toiles d'une dimension extraordinaire se trouvaient également placardées auprès de chaque section électorale, appelant à l'exercice de leurs droits souverains les tièdes et stimulant la froideur des indifférents. Malgré ces efforts l'aspect de Rome fut morne et triste comme le ciel, qui ce jour là sembla voiler son beau soleil par un crêpe de deuil. Parmi les électeurs qui venaient remplir les devoir de leur souveraineté, les uns portaient la tête basse; leur attitude embarrassée indiquait assez qu'ils avaient la conscience de la mauvaise action qu'ils commettaient sous le coup de la contrainte; les autres, au contraire, affectaient en votant un air de provocation qui ne prouvait pas davantage leur sincérité.

Le soir, vers les sept heures, les boîtes du scrutin furent promenées en triomphe de la place du Peuple au Capitole ; quelques voitures, escortées par des gardes civiques, portant des torches enflammées et précédées de tambours et de trompettes, donnaient à ce cortége l'apparence d'un convoi funèbre, les urnes ressemblaient

à des cercueils, cercueils en effet puisqu'elles portaient les causes cadavériques qui devaient produire la consomption et la ruine de Rome.

Le résultat de cette première journée fut accablant pour le ministère; le nombre des personnes qui s'étaient présentées au scrutin, n'avait pu réunir la quantité de voix requises par l'ordonnance électorale, de telle sorte que le gouvernement se vit obligé de remettre au lendemain la continuation des opérations; il pallia sa défaite par un mensonge, disant que l'immense concours des électeurs n'avait point permis de recueillir tous les votes. Cette capitulation d'amour-propre était si peu fondée, que les membres du deuxième collége, consternés du peu d'empressement du peuple romain, firent dresser le soir même, sur la place de Monte-Citorio, l'un des points les plus importants de la ville par sa position centrale, un immense transparent, sur lequel ils imprimèrent en grosses lettres leur échec; électeurs, disaientils : « Celui-là qui aime véritablement la souveraineté du peuple, est forcé d'accourir aux urnes électorales pour y déposer son vote. Celui-là seul ne doit pas en approcher qui s'est déshonoré par l'infamie. Celui-là qui ne remplira pas ce devoir sacré, déclarera lui-même qu'il n'a plus ni honneur, ni patrie! »

Les triumvirs avaient toute une nuit devant eux, ils la mirent à profit pour réparer leur échec de la veille. Dès le matin ils annoncèrent, par une proclamation affichée sur tous les murs de la ville, que les noms des votants seraient glorieusement conservés dans les archives de la patrie reconnaissante, mais que ceux des amis des abus se démasquant eux-mêmes en s'abstenant, seraient

livrés aux malédictions de la postérité. A la même heure les chefs des divisions lisaient par ordre, dans les divers bureaux des ministères, une circulaire, déclarant que tous les employés qui ne voteraient point seraient immédiatement destitués. La même circulaire annonçait, en outre, que les pensions seraient enlevées aux récalcitrants. Jamais les révolutionnaires n'avaient déployé plus d'astuce et plus d'audace! On les vit, ce second jour, parcourir les hôpitaux pour disputer aux souffrances des malades, pour arracher à l'agonie des mourants, des votes révolutionnaires. Les étrangers eux-mêmes étaient raccolés sur la voie publique pour exercer le mandat de citoyens romains. Ce fut à l'aide de ces moyens iniques que la démagogie parvint à réunir vingt mille votes, parmi lesquels une grande partie portaient le nom de Pio nono; d'autres, celui de saint Pierre ou des douze apôtres; quelques-uns celui du père Roothaan, général des jésuites; ceux-ci les membres de la commission gouvernementale, nommée par le Saint Père, ceux-là ne contenaient que des zéros, enfin, beaucoup de personnes votèrent de bonne foi pour Pie IX; un vénérable capucin fut de ce nombre; cependant, par une étrange distraction, il avait ainsi formulé son billet: Sterbini, Pie IX, Galetti, ce qui fit dire à une personne présente au dépouillement du scrutin ; « La personne qui a voté de cette manière, a voulu donner au Saint Père une ressemblance de plus avec NotreSeigneur. » Comment donc ? lui demanda-t-on; en le plaçant, répondit-elle, entre deux larrons. Enfin, parmi les individus qui votèrent, il y en eut plusieurs qui ne possédaient aucune des conditions d'âge ou de capacité

légalement requises. Jamais opérations électorales ne furent entachées de manoeuvres plus frauduleuses.

L'échec du gouvernement fut encore plus significatif dans les provinces des États. A Sinigaglia, patrie du Saint Père, deux cents personnes votèrent, sur une population de vingt-sept mille cinq cent cinquante-deux âmes. Les urnes de Citta di Castello et de Corneto ne recurent pas un seul billet.

Dans la matinée du 28, la place du Capitole se décora magnifiquement. Un grand nombre de drapeaux furent arborés de distance en distance. Les banières des clubs, celles des diverses villes des États, les drapeaux des quatorze quartiers de Rome flottaient autour de celui du cercle populaire. A midi, la place se couvrit des bataillons de la garde civique et des soldats de toutes armes, et au son des fanfares, au bruit des salves de l'artillerie on proclama, avec un pompeux appareil, les noms des douze constituants élus à Rome. Ces noms, expression la plus avancée de la révolution, étaient ceux des : Sturbinetti, Armellini, Sterbini, Galetti, Campello, Scifoni, Muzzarelli, Calandelli, Mariani, Derossi, Gabussi, et Bonaparte, prince de Canino.

En attendant le jour de l'ouverture de la constituante, le gouvernement usurpateur, multipliant décrets sur décrets, poursuivait son œuvre de destruction. Par un décret, il promulgait un nouveau code militaire; par un autre, il interdisait aux testateurs le pouvoir de confier l'exécution de leurs dernières volontés à des fidéi-commissaires; par celui-ci, il abolissait la contrainte par corps à l'égard de toutes personnes étrangères au commerce qui auraient souscrit

des billets à ordre et des lettres de change; par celui-là, il réglait le personnel des ministères, puis il changeait la compétence des tribunaux de commerce : il publiait l'émission d'une énorme quantité de bons du trésor; il créait un nouveau mode pour prélever l'impôt foncier, il établissait un corps de marine partagé en trois départements, à savoir : la Méditerranée, l'Adriatique et le Tibre. Enfin, il décrétait d'accusation le général Zucchi, ordonnant à toutes les autorités et à tous les citoyens de l'arrêter sur quelque point du territoire qu'il se présentât, et de le conduire à Rome, pour le traduire devant le tribunal spécial militaire.

la

Le parti anarchique, recruté dans tout ce que contenait d'ardeur et d'impatience révolutionnaires, les cercles populaires des provinces, préluda à l'ouverture de l'Assemblée constituante par une réunion démagogique, convoquée le 2 février au théâtre d'Apollon. Là, on procéda à la proclamation de la république par d'incendiaires discussions, roulant toutes sur l'apostolat civil, sur la puissance temporelle de la papauté, premières questions qui devaient être résolues par constituante. Un jeune prêtre, l'abbé Arduini, oubliant la dignité de son caractère, s'y fit remarquer par son exaltation démagogique; décidé à appuyer par tous les moyens possibles le mouvement, pour le conduire aux limites les plus extrêmes, il termina un long discours en s'écriant que la souveraineté des papes était un mensonge en histoire, une imposture en politique ; et une immoralité en religion. Ces monstrueuses propositions, qui étaient autant d'hérésies en religion, en politique et en histoire, furent accueillies par de vifs

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